Un article de Martine Arpin

Depuis quelques mois, je me familiarise de plus en plus avec l’atelier d’écriture à la maternelle. Je suis sous le charme. Je me nourris des textes des élèves des classes de mes collègues et passe mon temps à m’extasier devant ce qu’ils font. 5 ans! Je me dis toujours : « Il y a 5 ans, ils étaient dans le ventre de leur maman! » Quand même! Et tous ces apprentissages déjà :  s’assoir, ramper, marcher, courir, parler, grimper, faire du vélo, tester les limites… et maintenant écrire…

Ma perruche
L’autre jour j’étais dans ma maison et maman a dit: « On va aller acheter une perruche ». (étiquettes: divan, armoire, je joue, étoile filante, ?)
On a acheté une cage au magasin d’animaux. On a acheté des graines pour que la perruche mange. On a mis la perruche dans la cage et on est revenu à la maison.
Après on a mis la cage dans le salon et on a regardé la perruche. On parle avec.

Si les principes de base de l’atelier d’écriture et les pratiques derrière chaque choix pédagogique proposé et chaque intervention suggérée restent les mêmes peu importe le niveau et  peu importe la matière enseignée, reste qu’enseigner à la maternelle, c’est un monde un peu à part. Par la façon dont notre système éducatif fonctionne au Québec, la maternelle constitue tout un défi.  La réalité des enfants de 5 ans a beaucoup changé depuis les 15 dernières années… Avant d’arriver à l’école, certains fréquentent des services de garde plus d’heures par semaine que j’en passe moi-même à l’école. D’autres sont encore à la maison bien au chaud dans les jupes de maman. Des enfants fréquentent des milieux hyper (trop?) stimulants avec un programme plus chargé que ma classe de première année, tandis que d’autres prolongent le cocon familial dans un milieu plus enveloppant. Et tous les différents milieux de vie entre ces deux mondes.  Certains se font lire des histoires depuis qu’ils sont nés, dessinent, écrivent, racontent, et d’autres ne sont exposés à rien de tout ça.  En même temps que la maternelle n’est toujours pas obligatoire dans notre système d’éducation, ailleurs dans le monde il existe des programmes nationaux dès l’âge de trois ou quatre ans. Nous savons maintenant que l’intervention précoce ciblée et de qualité est au cœur de la réussite du plus grand nombre d’élèves. Les recherches en éducation et leur recensement, ont démontré que les élèves qui n’ont pas certaines habiletés de base (conscience phonologique, étendue du vocabulaire…) sont plus à risques, et plus le temps avance, plus l’écart s’agrandit et plus les problèmes persistent (source intéressante:  Pour un enseignement efficace de la lecture et de l’écriture, une trousse d’intervention appuyée par la recherche, Réseau canadien de recherche sur le langage et l’alphabétisation).

Quand on a tout ça en tête, on peut facilement imaginer combien il peut être difficile, pour une enseignante de maternelle,  de savoir où mettre la barre… Quelles attentes avoir pour ses élèves alors qu’ils pourraient ne même pas être à l’école?! Il y a matière à réflexion! On se pose beaucoup de questions, et pour y répondre, on doit encore se demander « Pourquoi les élèves sont-ils ici? Que sont-ils prêts à apprendre? Que sont-ils capables de faire? »et surtout, « Comment répondre aux besoins de chacun, autant ceux qui sont plus avancés que ceux qui ont de grands défis, de la meilleure façon possible? »

On pourrait avoir peur que la maternelle, en devenant plus « académique », perde son côté important pour la socialisation. Pourtant, l’un n’empêche pas l’autre. L’intervention de qualité ne doit pas se faire au détriment du développement personnel et social des enfants. Il s’agit de voir quelles approches permettent un développement plus complet. Et pour moi, il n’y a aucun doute que l’atelier d’écriture (et l’atelier de lecture) est ce qui permet le mieux d’offrir tout cela aux enfants que nous accueillons dans le système scolaire.

 

Pépère a perdu son cheval
Pépère a des chevaux. Les chevaux sont dans l’écurie. Moi je suis allé chez pépère.
On est allé voir les chevaux. Je les aime, les chevaux! On les regarde et on peut les flatter.
Là pépère a ouvert la porte et le cheval s’est sauvé et il courait vite. Et pépère courait après le cheval. Il l’a appelé.
Et là le cheval est revenu et pépère a fermé la porte et on est partis.

L’idée générale de l’atelier d’écriture

L’atelier d’écriture permet de créer un environnement où les élèves apprennent à faire des choses et à trouver une voix. Il est basé sur l’autonomie, la pratique, les approximations, l’accompagnement et le soutien, la répétition, l’établissement de routines et les encouragements. On offre des choix aux élèves, on leur permet de s’exprimer sur ce qui est important pour eux. Ils reçoivent un enseignement explicite de différentes stratégies et habiletés, autant liées à la communication (orale et écrite) et au développement de l’écrit, qu’à la réflexion sur ses propres apprentissages et les relations avec les autres.

Les jeux de rôle

 

Les enfants de 5 ans adorent les jeux de rôle. Ils se transforment en princesses, astronautes, maman, papa, bébé au fil des jours. Ils inventent alors des histoires, des situations, des conversations en se basant sur ce qu’ils connaissent du monde qui les entoure. Quand une enseignante amorce l’atelier d’écriture, elle leur propose un nouveau rôle…celui d’un auteur! À travers différentes leçons, ils apprennent à penser à un sujet (comme dans leurs jeux, quand ils choisissent de jouer à la princesse ou au dragon), mettent sur la page ce qu’ils veulent dire (dans leurs jeux, à l’oral, ils se racontent déjà des histoires et se font un dialogue), d’abord avec un dessin, appuyé par l’oral, puis des lettres, en faisant des approximations (comme quand on fait ses premières constructions de blocs), avec de plus en plus d’autonomie (comme lorsqu’ils apprennent à faire des boucles). Comme dans leurs jeux, ils partent des choses qu’ils font et connaissent et racontent ces histoires.  Ils apprennent qu’ils ont des choix à faire, ils développent leur conscience phonologique et s’exercent à utiliser des outils pour se faciliter la tâche.

Communiquer

À la maternelle, l’enfant se sert d’abord du dessin pour mettre sur la page ce qu’il veut dire. On lui apprend à imaginer clairement dans sa tête ce qu’il veut communiquer puis à «l’écrire ».  Au début de la maternelle, on peut s’attendre à ce que 75% du texte de l’élève soit en fait du dessin. Les élèves travaillent donc à faire une illustration détaillée, ajoutant le plus d’information possible à ce dessin.  Ils utilisent leurs crayons de couleur :  d’abord, la préhension du crayon est plus facile avec un marqueur qu’avec un crayon à la mine ou un stylo, ce qui est facilitant lorsque la motricité fine n’est pas suffisamment développée. Aussi, cela permet à l’enfant de mieux se rappeler de ce qu’il a voulu communiquer lorsqu’il revient sur son travail le lendemain,  car à cet âge, ils ont souvent oublié ce qu’ils avaient voulu raconter ou expliquer. L’enfant utilisera donc son dessin pour raconter oralement l’histoire ou l’information qu’il veut communiquer. Il répétera souvent cette histoire à voix haute, pour l’aider aussi à se rappeler. Cela lui permet de travailler ses compétences à l’oral et de développer sa conscience littéraire (une voix qui veut informer, une voix qui raconte).

La récréation
Quand on était en train de s’habiller à la récréation.
Après on est allé jouer dehors (à l’oral il ajoutait: mais là il y a eu de la pluie et on est rentrés)
Quand on est en dedans à la récréation, Alexis y joue (à l’oral il ajoutait: avec moi aux jeux).

Les stades de développement de l’écrit

Comme ils sont en tout début d’apprentissage, il y aura évidemment une grande différence entre les conceptions des élèves du langage écrit et leur compréhension de celui-ci. Ces écarts seront donc facilement et rapidement repérés en observant leurs premiers essais avec l’atelier d’écriture. La structure de l’atelier d’écriture permet de soutenir chaque élève à son niveau de développement, peu importe le stade du développement de l’écrit auquel il est rendu.

Le dessin et le langage oral prennent une place importante au début. C’est ainsi que les élèves communiquent, racontent, informent. C’est leur première forme d’écriture. Au fur et à mesure que les aptitudes en motricité fine s’améliorent et que les acquis en conscience phonémique se consolident, on peut voir apparaitre des signes ou des gribouillis, puis des lettres, ou une série de lettres pour représenter des idées. Puis, les élèves commencent à faire une utilisation plus systématique du code écrit (première lettre, première syllabe) et à écrire des phrases. Chez les élèves plus performants, on peut aussi voir apparaitre des espaces entre les mots et même la ponctuation.

La période d’écriture

 

 

 

Plus les enfants sont jeunes, moins la capacité d’attention est longue. À la maternelle, cela signifie que la mini-leçon au début de chaque période d’écriture doit être très courte… 5 à 10 minutes au maximum. Ce n’est pas facile pour nous, les enseignants…parler moins! Il faut donc que notre enseignement soit bien ciblé, que nous soyons préparées. Ensuite, les enfants écrivent. De dix minutes en début d’année, jusqu’à environ 30 minutes. En cours de route, il y a plusieurs trucs pour travailler l’endurance, et les stratégies enseignées ainsi que leur habileté à écrire augmentent, ce qui rend les 30 minutes possibles. C’est le temps pour l’enseignante de faire des entretiens individuels et en petits groupes. Pour y arriver, on doit travailler l’autonomie.  À la fin de la période, comme au primaire, il y a un temps de mise en commun.

Au-delà de l’écriture… le programme du préscolaire au Québec

Dans les ateliers d’écriture, les élèves travaillent les livres informatifs (ce que je connais, Comment faire, Tout sur…) le narratif (histoire vraie), mais aussi les textes d’opinion et même les rapports scientifiques!

À travers tous ces genres de textes, c’est d’abord une façon de s’exprimer, de communiquer qu’ils apprennent. Ils apprennent que ce qu’ils ont à dire est important. À travers l’atelier d’écriture, les élèves apprennent à être un partenaire (travailler ensemble, collaborer), poser des questions et y répondre, développer des idées, s’ouvrir au monde littéraire : auteurs, illustrateurs, genres de textes…

Ils développent, évidemment, leurs habiletés en motricité fine. Ils apprennent à affirmer leur personnalité. Ils sont invités à interagir de façon harmonieuse, ce qui leur est d’ailleurs enseigné. Ils apprennent à communiquer en utilisant les ressources de la langue et construisent leur compréhension du monde. Ils sont appelés à mener à terme des activités ou des projets, et tout cela dans un contexte signifiant, authentique et riche, qui stimule l’imagination et permet de construire une base solide sur laquelle ils pourront appuyer tous les apprentissages qui suivent…

L’atelier d’écriture s’inscrit donc parfaitement dans l’idée du développement de l’enfant que proposent les programmes pour les enfants de 5 et 6 ans. Et surtout, il doit permettre d’allumer cette petite flamme que nous souhaitons tous insuffler dans le cœur de nos élèves. Il leur permet, d’abord et avant tout, d’être reconnus pour ce qu’ils sont et aussi pour ce qu’ils peuvent faire, à travers le travail, l’effort et toujours, dans le bonheur d’apprendre et de grandir.

Un merci spécial à trois enseignantes du préscolaire:  Marie-Josée Rathé pour les textes d'élèves, Francesca Turcotte pour les photos et Karen Jacques pour la relecture.