La grammaire pour favoriser l’estime de soi et le développement socio-affectif
Lorsque j’ai commencé cet article, je réfléchissais aux dommages que peuvent causer certaines pratiques traditionnelles répétées de l’enseignement du français sur le sentiment de compétence personnelle des élèves et leur rapport à l’apprentissage de la langue. Ce sont deux conditions qui doivent être essentiellement positives pour favoriser la disposition à l’apprentissage, la rétention et le transfert en contexte menant à la maitrise.
Si les fiches d’exercices sur les homophones, les dictées traditionnelles, la recherche de définitions et l’analyse des phrases à répétition par l’apprentissage du nom de ses constituants étaient utiles et efficaces pour développer les compétences des élèves à l’écrit, notamment en ce qui a trait à l’orthographe lexical et grammatical, à la structure de phrase et au vocabulaire, les résultats en français ne seraient pas si alarmants qu’on le décrie à tous les palliers du système d’éducation, et qu’ils doivent maintenant (enfin!) faire l’objet d’une « priorité ministérielle » ici et dans d’autres pays francophones.
Puis, j’ai reçu les nouveaux modules des ateliers de lecture. Assise sur le plancher, entourée de boites et de livres, feuilletant et admirant l’un d’eux, lançant des « Oh! » et des « Wouah! », mes enfants trouvaient que j’avais l’air excitée comme une enfant le matin de Noël…
Ce que j’ai trouvé dans les nouveaux modules s’alignait parfaitement avec mes réflexions. Encore une fois, l’équipe du Teachers College a réfléchi, étudié auprès des meilleurs chercheurs dans le domaine, et travaillé dans les classes afin de paufiner cet outil précieux que sont les modules d’enseignement de la lecture et de l’écriture. L’un des ajouts majeurs concerne le travail sur la langue. Alors qu’auparavant les enseignants étaient invités à travailler cet aspect avec une autre méthode de leur choix en complément de leurs ateliers de lecture et d’écriture, ils peuvent maintenant trouver, en plus des mini-leçons, des pistes concrètes et explicites pour cette partie de notre enseignement efficace de la littératie.
Le Teachers College propose, entre autres, différentes façons d’aborder la grammaire tout en favorisant l’estime de soi et le développement socioaffectif par des gestes pédagogiques simples mais qui peuvent contribuer à un climat de classe sain et positif, et au développement personnel de chacun en même temps que celui du groupe.
Voici quelques exemples concrets :
-En travaillant sur le nom, demander aux élèves d’imaginer leur quartier et de nommer cinq choses, personnes, animaux, objets, éléments de la nature, etc qu’ils pourraient y voir en incluant des noms propres et des noms communs. On peut revenir sur ce dessin pour vérifier s’il y a des noms féminins, masculins, singuliers, pluriels…
-Utiliser des amorces de phrases liées aux intérêts des enfants. Par exemple, pour travailler l’utilisation de la virgule dans une liste, on pourrait demander aux élèves de compléter des phrases à l’oral et en faisant un geste précis pour montrer la virgule. Les amorces pourraient être :
À la récréation j’aime…
Les gens disent de moi que je suis…
J’aime célébrer…
Les meilleures collations pour l’école sont…
-Lors de l’étude des pronoms, selon l’âge des élèves, nous pourrions ajouter « Il est important de demander aux autres quel pronom ils utilisent pour eux-mêmes. Pensez au pronom que vous utilisez pour vous-mêmes. Si vous êtes à l’aise, dites-le à votre partenaire ».
-Lors de l’étude des adjectifs : Pensez à tous les adjectifs qui vous décrivent, vous! Écrivez quelques phrases qui vous décrivent. Je pourrais écrire : « Je suis une enseignante attentionnée ». Ça décrit qui je suis, et qui je veux être, comme personne. Quel genre de personne, d’enfant, d’élève, de frère, de sœur, d’ami êtes-vous? Écrivez-le! Ensuite, échangez votre feuille avec votre partenaire. Trouvez les adjectifs pour en dire plus sur cette personne. Ajoutez une phrase au sujet de votre partenaire sur sa feuille. (Nous avons fait cette activité le jour de la St-Valentin. S’aimer soi-même, apprécier nos copains, c’est aussi ça la fête de l’amour!)
-Une autre façon de travailler l’adjectif : « Pensez à une personne ou une chose importante pour vous : votre sœur, votre chien, votre robe préférée. Maintenant, pensez à trois adjectifs précis, vrais et choisis avec soin pour décrire cette personne ou cette chose. »
-Pour travailler la conjonction, inviter les élèves à penser à des choses qu’ils trouvent extraordinaires et à formuler à l’oral des phrases en utilisant les conjonctions que vous aurez préalablement écrites sur une bande de papier pour ajouter ensuite au mur de mots. (et, parce que, pendant que, lorsque, car, quand…)
De façon plus générale, et dans le même sens :
-Quand on travaille l’orthographe des mots difficiles, ou une autre notion pour laquelle on demande aux élèves d’être courageux, on peut bâtir un tableau d’ancrage « Notes à moi-même pour être COURAGEUX ». J’aime particulièrement l’idée de valider la difficulté de quelque chose et de normaliser cette difficulté. Un tableau comme celui-ci permet aux élèves de prendre conscience qu’ils ont un pouvoir sur ces difficultés. On peut inviter les élèves à nommer des moments où ils ont été courageux et persévérants. On peut aussi en profiter pour faire des liens avec des personnages de leurs histoires préférées qui sont courageux ou persévérants.
J’ai été ébouie par les façons toutes simples de rendre la grammaire et les conventions signifiantes ET liées à l’affectif des élèves. Que j’aurais aimé y penser moi-même!
Lorsque j’ai commencé cet article, j’étais loin de penser associer grammaire et développement de l’identité personnelle. Encore une fois, l’équipe du Teachers College m’a amené plus loin, de façon brillante, dans un chemin où je n’avais pas pensé aller en pédagogie.
Et ce qu’ils proposent pour la grammaire s’appuie sur les mêmes principes puissants qui font coller notre enseignement et permettent de développer un lien fort avec nos élèves et entre eux :
On apprend mieux quand il y a un sens réel à ce qu’on apprend.
On apprend mieux quand il y a une utilité réelle et tangible pour soi.
On apprend mieux quand on est bien dans notre environnement.
On apprend mieux quand on a développé son estime de soi et que l’on se soucie les uns des autres.
Écrire avec confiance sur des sujets qui comptent pour soi, dans une communauté d’apprenants partenaires, pour un auditoire qui est authentique et important donne un sens, une utilité, un environnement sécuritaire et aimant. Cela constitue aussi un appui solide pour ancrer les notions de grammaire/les conventions nécessaires à la bonne compréhension de ce que nous voulons exprimer. Quand en plus on pense à ces éléments abstraits et conventionnels d’un point de vue affectif, on rend ces éléments concrets, pleins de sens, et les bénéfices et les apprentissages seront assurément plus durables.
Sur les réseaux sociaux et dans les journaux, j’ai vu passer dernièrement un grand nombre d’articles revendiquant une école meilleure, plus humaine et plus efficace. On souhaite un milieu de vie riche et stimulant, un milieu de vie qui donne le gout à tous d’y être. Le modèle du système d’éducation de la Finlande, par exemple, inspire plusieurs d’entre nous.
On réclame, depuis un bon moment déjà, de grands changements de la part de nos dirigeants. On questionne, entre autres, les pratiques évaluatives et l’intégration des élèves qui rencontrent de grandes difficultés. On veut une école plus saine pour tout le monde. Les changements réclamés se produiront-ils un jour? Quelles formes prendront-ils? Des actions concrètes sont attendues depuis des années. Toutefois, les décideurs, qui changent au gré des gouvernements élus et qui doivent se faire une tête sur l’état des lieux durant des mois avant de prendre une décision, annoncent souvent des changements futiles et sans réel impact pour nos milieux.
Depuis quelques semaines, nous travaillons l’écriture de textes narratifs. Les élèves sont amenés à vivre à répétition le processus d’écriture tout en ayant en tête des buts précis. Certains ont des défis en ce qui a trait à la structure du texte, d’autres travaillent fort sur l’écriture des mots, d’autres tentent de rendre leurs textes captivants, certains travaillent à écrire plus en mettant en place des stratégies qui les aident à se concentrer et être plus productifs… Des défis, il y en a pour tous.
Au 2e et au 3e cycle, les élèves doivent devenir des experts de leurs sujets avant d’écrire un texte informatif. Ils doivent donc recueillir des informations à travers différentes sources. Nous savons que résumer des informations est une activité intellectuelle qui est particulièrement difficile. Il arrive donc que les élèves n’arrivent pas à collecter des informations sans les copier ou les reformuler. Je m’appuie sur la formation de Cheney Munson à laquelle j’ai participé lors de l’Institut d’été De mots et de craie pour partager des moyens de collecte d’informations qui permettent aux élèves de devenir de vrais experts de leurs sujets et d’aller au-delà de la simple reformulation d’une information trouvée.
Voici donc, en rafale, des éléments qui peuvent faciliter la cueillette d’informations.
Enseigner explicitement à prendre des notes. Voici un exemple d’enseignement que l’on pourrait faire :
Lis longtemps : « Avant de prendre des notes, je veux que tu lises beaucoup de texte. Tu dois lire au moins une page avant de t’arrêter pour prendre des notes. »
Cache le texte : « Après avoir lu la page, cache le texte pour ne plus pouvoir le voir. »
Note rapidement : « Ensuite, demande-toi ce que tu as retenu et note-le dans ton cahier de notes. Si tu ne te souviens de rien, retourne à la première étape. »
Recommence : « Recommence avec une nouvelle page ou une nouvelle source d’informations »
Voici un exemple de tableau d’ancrage :
2. Varier les types de médias présentés aux élèves pour collecter les informations. On peut leur proposer des articles de journaux, des sites internet, des balados, des vidéos, etc. Il est probable que les élèves choisissent des médias qu’ils auront plus de facilité à comprendre et, donc, qu’ils aient davantage de facilité à synthétiser.
3. Prendre le temps de collecter l’information avant de commencer à écrire. Plusieurs périodes peuvent être consacrées à la collecte d’informations. À la fin de la semaine, les élèves seront de véritables experts de leurs sujets. C’est à ce moment seulement qu’ils seront en mesure d’écrire des textes sans recopier ou reformuler les informations.
4. Demander aux élèves de faire une page synthèse avec les informations qu’ils connaissent sans avoir accès aux pages de notes. La page synthèse peut prendre la forme de dessins, de textes, de notes brèves, de schémas ou encore d’un mélange de tout cela. Celle-ci leur permettra de se rappeler. De plus, cette page synthèse leur permettra d’autoréguler la quantité d’informations dont ils se souviennent. Ils pourront alors se demander s’ils maitrisent leur sujet puisqu’ils connaissent suffisamment d’informations pour écrire leur texte ou s’ils doivent reprendre la recherche pour compléter ou pour comprendre les informations plus en détail.
5. Jouer avec les mots pour intégrer le vocabulaire spécifique au sujet. On peut inventer toutes sortes de jeux avec les mots en lien avec le sujet des élèves. Par exemple, si une équipe travaille sur le thème de l’environnement, on peut leur demander d’écrire une vingtaine de mots en lien avec leur thème sur des petits papiers pour ensuite les utiliser pour jouer à des jeux. Voici des exemples de jeux que l’on peut faire avec les mots :
-Jeu de rapidité (du type soccer mathématique) dans lequel les élèves sont séparés en deux équipes et le premier de chaque ligne doit donner une définition juste du mot ou est éliminé.
-Faire des catégories avec les mots (par thème, mots que l’on connait ou que l’on ne connait pas, les problèmes et les solutions, les pour et les contre, etc.)
-Jeux de mémoire avec les mots
-Sélectionner les mots les plus importants et expliquer pourquoi
-Classer les mots génériques et spécifiques
-Faire une carte conceptuelle
-Choisir un mot et concevoir une affiche qui sert à faire comprendre le mot aux autres équipes
-Faire des phrases avec les mots sélectionnés
-Jouer à Devine le mot (mime, fais-moi un dessin, associe le mot à la bonne définition, etc.)
En plus de développer le vocabulaire lié à leur sujet, ces jeux leur permettront d’avoir des discussions avec leurs pairs. Ainsi, ils devront faire des liens entre les informations recueillies, utiliser d’autres mots que les mots ciblés pour expliquer ceux-ci, coconstruire leur compréhension du sujet et peut-être même en apprendre plus à la suite des compléments d’information que leurs coéquipiers amèneront.
6. Faire une écriture sur demande pour synthétiser les informations apprises et faire de l’auto-régulation. Par exemple, je pourrais donner la consigne suivante : « Dans quelques minutes, je vous demanderai d’écrire un texte continu sur votre sujet de façon individuelle. Vous aurez 20 minutes pour écrire toutes les informations dont vous vous souvenez et les organiser pour que le lecteur comprenne les informations. » Cette étape aura des objectifs similaires à la page synthèse. Refaire l’exercice dans un autre contexte peut permettre à l’élève de comprendre ce qu’il a recueilli comme informations supplémentaires depuis le moment où il avait fait la page synthèse en plus de solidifier ses connaissances. De plus, le texte sur demande se rapproche de l’écriture qu’il aura à faire sur le plan de la tâche à effectuer. On facilite donc le transfert entre la collecte d’informations et l’écriture du livre. C’est aussi un bon moment pour l’enseignant de vérifier ce que l’élève connait à cette étape et de reprendre certaines étapes avec lui avant de se lancer dans l’écriture du livre.
7. Demander aux élèves de faire une table des matières entre les périodes de collecte d’informations et les périodes de rédaction du texte. Cela permet aux élèves de choisir les sous-thèmes à aborder, de faire des catégories et d’y classer les informations en plus de faire une première ébauche quant à l’organisation du texte.
Finalement, le but ultime est de prendre le temps d’aider les élèves à comprendre en profondeur les informations qu’ils recueillent. Une fois qu’ils seront des experts de leurs sujets grâce aux périodes de consolidation des informations recueillies, ils seront en mesure d’écrire sans copier ou reformuler les informations en plus d’avoir de nombreuses idées et ainsi avoir un bon volume d’écriture.
J’ai eu la chance d’aller à l’institut d’été De mots et de craie. Pendant 3 jours, j’ai eu la chance de vivre une expérience humaine des plus enrichissantes. Pendant 3 jours, Cheney Munson, formateur au Teachers College, nous a transmis une parcelle de ses nombreuses connaissances et compétences à enseigner l’écriture aux élèves du 2e et du 3e cycle du primaire. Je l’avoue, il est ma nouvelle idole 😉. Le prochain article est consacré à tenter de partager mes plus grands constats, ce qui s’est le plus imprégné dans mon cœur de prof.
Nous avons appris à réinventer le livre informatif, à en faire un livre interactif. Quand je parle de livre interactif, je parle de livres avec des rabats, des pages qui se déplient, des images qui tournent, des schémas, des dessins, des tableaux, des pochettes, des textes ou des images cachées, etc.
Dans ma classe, le livre informatif est un genre que les élèves affectionnent et ils se sentent souvent compétents puisqu’ils peuvent choisir leur sujet. Toutefois, en réinventant le livre informatif et en le rendant interactif, on rend les élèves d’autant plus motivés et surtout, beaucoup plus engagés dans leurs apprentissages. D’ailleurs, l’interactivité du livre permet aux élèves de développer leur créativité ainsi qu’un côté artistique qui est rarement utilisé dans ce type de texte. Ce livre s’écrit en équipe et nous savons que la discussion avec les pairs est une des pratiques les plus efficaces dans l’enseignement de l’écriture (Allington, 2005).
Voici le premier élément que je retiens; on peut s’amuser avec le format du livre que chaque équipe écrira. Il est parfois amusant, tout en conservant la philosophie, les étapes et les grandes lignes, de mettre les ateliers à notre couleur. L’observation de nos élèves est de mise pour s’assurer que nos ajustements tiennent compte de l’évolution et de l’intérêt de nos élèves.
Mon deuxième constat concerne la collecte d’informations. Dans ma classe, la plus grande problématique concernait la prise de notes. Il est très difficile pour les élèves de synthétiser les informations sans les recopier dans leur propre livre, ce qui est tout à faire normal puisque la synthèse est une des habiletés intellectuelles les plus complexes selon la taxonomie de Bloom. Cheney Munson nous a proposé une démarche différente qui permet de prendre des notes efficaces et de devenir des experts de son propre sujet avant d’écrire son livre. J’ai compris que l’on peut ajuster le temps que l’on passe sur la planification, l’écriture du livre et la révision. À son avis, la phase de collecte d’informations peut prendre presque une semaine complète. Une semaine où l’on alterne :
la présentation de livres modèles
la recherche d’informations (que l’on peut présélectionner pour les élèves)
les mini-leçons (pour entre autres, savoir prendre des notes efficaces)
une écriture ou des écritures sur demande pour synthétiser des informations
des jeux de vocabulaire avec les mots en lien avec le thème.
Je comprends maintenant l’importance que l’élève devienne un expert de son sujet, qu’il soit en mesure d’en parler et qu’il internalise les informations qu’il a recueillies avant d’écrire le livre au complet.
Mon dernier constat est le pouvoir du travail d’équipe. Je pense que tous les enseignants qui enseignent les ateliers d’écriture sont déjà convaincus que la collaboration avec les pairs est une des pratiques les plus efficaces puisque les élèves discutent de leurs textes, les améliorent ou trouvent des idées à l’aide de leurs pairs. À l’Institut, Cheney m’a fait comprendre que l’on peut aller encore plus loin. Pourquoi ne pas écrire le livre en équipe? Évidemment, la phase de recherche se fait davantage de manière individuelle, mais on peut les ramener en petits groupes fréquemment pour partager leurs nouvelles connaissances et les regrouper quand vient le temps d’organiser la structure du livre et d’écrire les chapitres. En discutant avec mes collègues, je me rends compte qu’il existe un malaise à évaluer les textes collaboratifs puisqu’il peut être difficile de se faire une idée de ce que l’élève est réellement capable d’écrire. Ma réponse se déploie en trois sous-réponses. Premièrement, pourquoi sommes-nous à l’aise d’évaluer des travaux d’équipe en sciences, en arts, en univers social, mais pas en écriture? Peut-être faut-il revoir notre façon d’évaluer l’écriture. Peut-être faut-il délaisser l’exactitude d’une note très précisément accordée à l’élève pour mettre plus d’énergie sur ce qu’il apprend, le type d’auteur que l’élève devient; redonner la place à l’apprentissage. Deuxièmement, les entrevues permettent de savoir ce que l’élève est capable de faire seul, de voir ses progrès, de cerner ses prochains pas. Il est donc primordial de se fier aussi à ces observations et ces conversations et non seulement à la production finale. Finalement, le but premier de l’école est d’apprendre, n’est-ce pas? Nos choix pédagogiques devraient donc être guidés en ce sens. L’évaluation devrait être planifiée, certes, mais je ne crois pas que nos choix pédagogiques devraient se faire en fonction de la simplicité de l’évaluation, mais toujours en fonction de l’apprentissage et de l’évolution de nos élèves.
Finalement, je retiens que le bonheur d’écrire, d’enseigner et de planifier reste le vecteur premier pour amener nos élèves à être de bons auteurs; des auteurs qui écrivent avec le cœur. Je souhaite que ce texte vous donne envie de vous amuser avec les livres interactifs et d’être créatifs avec votre planification tout en réfléchissant aux meilleures façons de faire évoluer vos petits auteurs.
C’est l’Halloween demain. Mes enfants sont grands, c’est avec leurs copains qu’ils célèbrent et se costument. On n’ouvre plus la porte depuis quelque temps déjà. Cette année, une autre étape: même pas de décoration à l’extérieur. Pourtant, au début du mois d’octobre, mes enfants m’ont demandé où était le bac d’Halloween. Avec le chat qui fait un bruit de sorcière qui nous fait faire le saut chaque fois qu’on monte l’escalier. Et les autres décorations qui leur ramènent des « Ah oui! Oh, c’est vrai! » chaque fois qu’ils sortent un nouvel objet. Ils m’ont aussi demandé si je ferais les biscuits à la citrouille (« Sinon, dis-le, on va les faire, nous autres… »), et le squelette en crudités. Demain, les lumières seront éteintes à l’extérieur, mais dans la maison, nous recréerons un rituel qui nous sert en fait de prétexte à être ensemble, à se rappeler de bons moments, à avoir du plaisir en famille et entre amis. Prendre le temps de célébrer, c’est créer et participer à un événement qui cimente nos identités familiales et sociales.
La célébration est aussi une étape indispensable à la mise en œuvre d’une séquence d’enseignement de l’écriture.
Peu importe la forme de célébration choisie, il est important de garder en tête l’objectif principal : donner un sens à l’acte d’écrire en classe et surtout reconnaitre, et permettre aux élèves de reconnaitre eux-mêmes, tout le travail accompli par en tant qu’auteurs pendant les six semaines d’étude en profondeur d’un genre par les ateliers d’écriture.
Comme pour toute célébration, un temps de préparation est nécessaire.
On prend le temps de choisir le texte que nous voudrons présenter. Celui qui montre notre meilleur travail d’auteur. Celui dont on est déjà le plus fier. Puis, on le prépare à être partagé avec d’autres. Cet objectif permet de contextualiser un travail de révision, de correction, et même d’édition plus approfondi. Il fait la différence entre « le faire parce que l’enseignant le demande », et le faire parce que c’est nécessaire pour le texte, pour qu’il puisse être lu, apprécié et célébré. Cette perspective amène un niveau d’engagement supérieur et plus durable.
Dans ma classe de 2e année, pour la première célébration d’écriture, plusieurs élèves ont décidé de publier le texte sur demande qu’ils avaient écrit à la fin du module d’écriture narrative Écrire des séries d’histoires réalistes (Chenelière, 2019). Nous avions trouvé une idée en groupe (la fois où un élève a fait tomber une plante dans la classe), planifié ensemble et préparé un lexique.
Puis, chacun a écrit l’histoire à sa façon en faisant vivre l’événement au personnage de sa série personnelle et en utilisant les stratégies apprises pour l’écriture, la révision et la correction. Ces étapes du processus étaient donc déjà faites par les élèves.
D’autres ont choisi de publier un autre texte écrit durant le module, souvent celui pour lequel ils avaient porté plus d’attention à la révision et la correction. Les traces de leur travail d’auteur pour améliorer ces textes sont pour eux des preuves concrètes de l’effet de ces étapes importantes du processus d’écriture. Ceux qui avaient choisi un autre texte pouvaient prendre le temps de réviser et corriger une dernière fois pour s’assurer que leur texte présentait vraiment leurs meilleures connaissances, à ce jour, sur l’écriture narrative.
Pour préparer le texte choisi à être publié pour la célébration, les élèves étaient invités à revoir leurs pages pour décider lesquelles mériteraient d’être recopiées pour s’assurer que le lecteur puisse lire leur histoire facilement. La plupart des élèves ont choisi de recopier une page. Pour certains, ce n’était pas nécessaire, et pour d’autres, tout le texte a été recopié. Le jugement de chaque auteur est pris en considération pour cette étape, comme pour les autres étapes du processus d’écriture. Durant l’année, recopier au propre n’est pas toujours nécessaire pour la célébration choisie, et jamais pour tous les textes produits. Il faut toujours avoir son objectif en tête : voir le « avant-après », qui peut montrer à certains l’avantage d’écrire lisiblement et proprement même pour soi, rendre un passage lisible pour le lecteur, afin qu’il puisse apprécier la qualité de nos stratégies d’écriture, juste rendre le produit fini « plus beau »? Et varier les demandes ou exigences en ce sens durant l’année.
Ensuite, nous avons étudié dans les livres de la classe « les petits plus » qui font partie de l’édition : les pages de garde, la quatrième de couverture, les dédicaces… Les élèves pouvaient choisir d’en ajouter au texte publié. Ils ont aussi ajouté une page couverture, choisi un titre et colorié/amélioré les croquis. Jusqu’à la fin, l’auteur est amené à être autonome dans ses prises de décisions.
Les textes étaient fin prêts à être partagés avec d’autres auteurs de la classe et des autres classes de 2e année. La fierté des élèves, leur bonheur de partager leur travail et leur capacité à pouvoir nommer ce qu’ils font mieux maintenant en tant qu’auteurs autant que de complimenter les autres auteurs de leur communauté de façon précise et enthousiaste consolide leur confiance en tant qu’auteurs et confirme leur identité.
La célébration est un contexte idéal pour cimenter des habitudes et des attitudes d’auteur importantes. Décorations ou pas, bonbons ou pas, porte ouverte ou pas, l’important est de revenir à l’essentiel: créer un prétexte pour être ensemble, se rappeler de bons (petits 😉 ) moments et avoir du plaisir ensemble.
Images des « petits plus » (pas corrigés) dont les élèves ont agrémenté leurs textes publiés. Des petites perles de bonheur à voir et lire, qui vont chercher une touche créative pour plusieurs!
Septembre, on ne le voit jamais passer. Faire connaissance, installer les routines et bâtir les fondations sur lesquelles se déposeront nos habitudes, nos façons de faire, notre travail acharné, nos expériences, nos moments de joie, nos doutes et tout ce qu’on sera en tant que communauté font que les journées s’enchainent et défilent à toute vitesse.
Octobre, on se dépose un peu. Toutefois, dans ma classe de première année, c’est le moment de se pencher sérieusement sur un élément clé du travail d’écriture : la capacité de se relire pour réviser.
Le timing est parfait. Depuis maintenant six semaines, les élèves écrivent tous les jours. Ils identifient plus facilement les sons (phonèmes) des mots qu’ils veulent écrire et ils parviennent à y faire correspondre de plus en plus de lettres (graphèmes). Ils connaissent l’orthographe lexicale de plusieurs mots fréquents et ils pensent davantage à les utiliser dans leurs phrases. Le tracé des lettres est plus facile et des espaces se glissent entre les mots. Alors oui! Amener les élèves à se relire et en créer une habitude devient prioritaire. Une habitude essentielle à la révision. Après six semaines, il est temps de s’y pencher sérieusement.
Pour y parvenir, nous avons tout d’abord abordé différentes stratégies qui rendent nos textes faciles à lire. Un tableau d’ancrage est en place dans la classe pour nous permettre de nous y référer régulièrement. Aussi, on prend le temps d’étudier le travail de certains élèves pour voir ce qui rend leur texte facile à lire. C’est essentiel que les élèves voient ce à quoi ça ressemble, un texte facile à lire.
Pour les élèves qui n’arrivent pas à se relire, de l’enseignement en petit groupe s’organise autour d’objectifs divers, selon le besoin prioritaire de chacun: utiliser les mots du mur (les mots d’usage fréquent étudiés en classe), étirer les mots pour écrire plus de lettres, écrire les mots partie par partie, relire chaque mot en faisant glisser son doigt sous chaque lettre… L’écriture guidée est aussi une belle façon d’accompagner les élèves dans l’écriture de mots et de phrases.
Tant pour l’ensemble de la classe que pour le travail en petit groupe, l’écriture interactive est le dispositif idéal pour l’apprentissage des différentes étapes du processus d’écriture et pour le travail spécifique concernant l’écriture des mots et la relecture. En écrivant ensemble de courts textes, on invite les élèves à mettre en pratique des stratégies apprises, on les guide sur divers éléments de la langue, on fournit un modèle où l’on orchestre plusieurs stratégies. L’écriture interactive est vraiment très efficace pour montrer ce à quoi ressemble une idée qu’on met sur papier. Les élèves gagnent à être régulièrement exposés à ce modèle. Non seulement ils ont besoin de voir, mais ils ont également besoin d’entendre les réflexions qui conduisent vers l’écriture et comment on relit d’une façon attentive pour vérifier que tout soit correct.
Se relire ouvre donc la porte à la révision. Il est essentiel que les élèves comprennent qu’à cette étape, des traces apparaitront dans leurs textes. Des traces très importantes. Des tentatives de réparation, des marques de vérification et des ratures de toutes sortes… car lorsqu’on ne parvient pas se relire, il peut être utile de reprendre une partie du travail plutôt que de perdre du temps à se souvenir de ce qu’on voulait écrire. Ces traces de révision peuvent parfois être déstabilisantes pour certains élèves jusqu’à ce qu’ils comprennent qu’elles ajoutent de la valeur à leur texte. Elles signifient qu’ils deviennent des auteurs responsables de leur travail d’écriture. Il est à noter qu’il sera nécessaire d’enseigner aux élèves comment faire des ratures propres pour s’assurer que la page révisée demeure lisible.
Pourquoi travailler la révision si tôt dans l’année? Parce que c’est une habitude à créer le plus rapidement possible. Je veux former des auteurs responsables, des auteurs qui revoient ce qu’ils écrivent, qui se posent des questions, qui réfléchissent à ce qu’ils écrivent et qui ajustent comment ils l’écrivent. Je veux que les gens qui entrent dans la classe voient des élèves pour qui réviser fait partie des habitudes d’écriture.
Célébrons la révision! C’est un travail important à valoriser. Les élèves doivent comprendre la valeur qu’on accorde à cette étape du processus. Célébrons nos auteurs responsables qui utilisent tout ce qu’ils ont appris de l’écriture, et ce, en seulement six semaines de première année!
Cette semaine, dans ma préparation en vue d’une expérience personnelle complètement hors de ma zone de confort, mon premier réflexe a été d’avoir une conversation avec une amie et collègue. Nous avons parlé d’éducation. Un sujet sur lequel on échange souvent en groupe, qui m’interpelle, sur lequel j’ai beaucoup de choses à dire. Un sujet qui m’intéresse. J’avais déjà planifié mes idées, écrit, et eu de longues conversations avec une équipe de travail, mais cette rencontre individuelle, où je présentais à une personne de confiance des idées et des grandes lignes sous la forme d’une conversation, et l’échange constructif, m’ont aidée à structurer ma pensée et à la faire évoluer, à enrichir ce que j’avais déjà préparé. Je réalise que cette expérience avait les airs d’un entretien individuel comme ceux que je mène en classe avec mes élèves en lecture et en écriture.
Un entretien d’écriture est une conversation avec l’élève, lors duquel il parle à l’enseignante du travail qu’il est en train de faire comme auteur, alors que celle-ci, attentive, réagit aux propos de l’élèves et à son travail d’auteur à partir de ce qu’elle connait de lui et de l’écriture en complimentant un aspect de son travail qui mérite d’être reproduit de texte en texte, et en offrant un enseignement personnalisé qui l’aidera à élever ses compétences comme auteur et une occasion de s’exercer rapidement. On peut faire la même image en lecture, ou pour tout autre enseignement. La rétroaction en cours d’apprentissage est l’une des pratiques les plus puissantes pour élever le niveau de compétence des élèves et de leur travail, et elle peut prendre différentes formes (entretiens individuels, enseignement en petits groupes, entretiens de table, énonciation à voix haute…).
Les entretiens individuels sont importants parce qu’ils permettent de répondre aux besoins individuels de chaque élève selon ses besoins et capacités, exactement dans sa zone proximale de développement. Ils sont un levier pour l’endurance, le transfert des apprentissages et le sentiment de compétence personnelle. Ils offrent un temps de qualité individuel avec l’enseignante, qui a des répercussions autant sur l’apprentissage que sur la relation.
Dès les premières périodes d’écriture et de lecture, je m’assure que les élèves savent explicitement ce que sont les entretiens individuels, pourquoi ils sont si importants, comment ils se dérouleront, et mes attentes pour l’élève qui sera en conversation avec l’enseignante et pour les autres.
« Les auteurs, cette année, chaque fois que vous serez en train d’écrire, après la mini-leçon, je circulerai et je m’arrêterai auprès de l’un de vous pour avoir une conversation sur son travail d’auteur. Saviez-vous que les chercheurs qui étudient l’enseignement ont découvert que ce moment est celui qui vous aidera le plus à vous améliorer, et qui m’aidera le plus à vous aider? C’est un moment TRÈS important n’est-ce pas? Je ne pourrai pas rencontrer individuellement chacun de vous chaque jour, mais je ne peux pas non plus passer une heure chaque jour avec chacun. Alors, pour bien profiter du court moment que nous aurons ensemble, voici comment nos rencontres vont se dérouler: Pendant que vous allez écrire (ou lire…) je vais observer votre travail, dans le dossier d’écriture, et vous poser une question ou deux sur votre travail d’auteur. Vous allez me répondre, on aura une discussion. Ensuite, je vais vous faire un compliment, vous nommer quelque chose que vous faites de très bien, et vous enseigner ou vous rappeler quelque chose qui vous aidera à devenir un meilleur auteur. Et voici ce que les autres doivent faire quand je suis avec un élève pour un entretien individuel… »
En enseignement explicitement l’entretien, en expliquant aux élèves ce que c’est, pourquoi c’est important et comment il se déroulera, on leur permet de mieux intégrer cette pratique et d’en mesurer l’importance. On met les chances de son côté pour que le gestion de classe soit plus facile, et on aura un appui pour les différentes interventions que nous devrons refaire à ce sujet, parce que nous travaillons dans une classe, et qu’il y aura toujours des rappels et des mises au point à faire!
En début d’année, en début de module, le temps d’écriture autonome ainsi que le volume d’écriture ne sont pas maximaux. On ne connait pas beaucoup les élèves, et encore moins leurs habiletés et leurs défis en écriture, mais on peut tirer profit des entretiens individuels de plusieurs façons dans être nécessairement centré sur le contenu des textes. Voici quelques pistes qui pourront amorcer votre réflexion à ce sujet et qui peuvent être utiles dès demain matin dans votre classe, peu importe le niveau.
-Miser sur l’autonomie
Après avoir enseigné explicitement le déroulement des entretiens, quelques interventions positives à voix haute sur l’autonomie, le travail sérieux, les bonnes habitudes sont habituellement très utiles pour favoriser les comportements attendus. En disant : « Wow, Alexandre! Tu t’es déplacé rapidement et calmement, et tu es déjà en train de commencer tes croquis! Tu es un auteur efficace qui ne perd pas de temps! » « Super Rosalie, tu as terminé un texte, tu veux en commencer un nouveau, et tu es allée chercher toi-même de nouvelles pages au coin écriture! Tu n’es pas venue me voir en disant « J’ai fini! J’ai fini! J’ai fini! » Tu as été autonome et tu as pris une bonne décision! Bravo! » « Génial Victor. Tu as le livre entre les mains, tes yeux sur le texte, et tu lis! C’est ce qu’un lecteur fait! » « Violette, je suis impressionnée! Tu étais en train de marcher vers moi pour me demander quelque chose, mais tu as vu que je travaillais avec Jacob et tu t’es dit: Je ne peux pas les déranger! Ils font un entretien et c’est très important! Je vais trouver une solution! Impressionnant pour une élève de 2e année! Merci! Jacob, veux-tu la remercier de ne pas nous avoir interrompu? Comme c’est gentil. »
-Travailler à la mise en place des bonnes habitudes de travail et des comportements
Se mettre au travail rapidement, écrire, faire des tentatives pour l’orthographe en utilisant un signe pour se rappeler de corriger ensuite au besoin, lire sans arrêt, faire une pile à lire, être dans son nid de lecture dos à dos avec le partenaire, utiliser les tableaux d’ancrage, être autonome et trouver des solutions lorsque l’enseignante travaille déjà avec un élève.
-Parler des sujets qui les intéressent (surtout en début d’année. Quand on connait bien les élèves, il n’est plus nécessaire de le faire)
Cela peut aider à générer des sujets pour les textes à venir ou orienter des choix de livres: « Oh! Tu écris un texte sur une fois où tu es allée camper? Quelles autres activités aimes-tu faire avec ta famille? Te baigner? Oh, peut-être ton prochain texte parlera de ça! J’ai hâte de lire pour apprendre à mieux vous connaitre! » « J’adore ce personnage! As-tu vu qu’il y a beaucoup de livres de cette série dans la classe? Si tu aimes les histoires de ce personnage, tu aimeras sûrement aussi cette autre série, je vais te montrer… »
-Créer des liens, montrer son intérêt réel pour l’enfant et encourager le choix de sujets importants et signifiants
« Oh! Pourquoi ce moment est important pour toi? Qu’as-tu ressenti? » « Quels genres de livres aimes-tu lire? Quels sujets t’intéressent? »
-Valider la compréhension de la structure du genre enseigné
Une simple phrase : « Raconte-moi! », donne à l’élève l’occasion de s’exercer à l’oral une fois de plus, ce qui est précieux dans l’élaboration de son texte. De plus, la façon de raconter nous informe sur la structure qu’il veut donner au texte, ce qui est primordial au départ pour bien poursuivre dans le genre enseigné.
-Commencer à intégrer le vocabulaire spécifique lié à l’écriture, notamment en ce qui a trait au processus d’écriture
« Oh! Tu planifies ton texte en faisant des croquis rapides? C’est très important! C’est une chose que les auteurs font toujours, planifier avant d’écrire! » « Tu es en train de terminer ton histoire? Que feras-tu après? Oh oui, tu es un auteur productif, tu sais qu’après avoir écrit une histoire, un auteur trouve une autre idée et commence une autre histoire! Bravo! Est-ce que je peux t’enseigner quelque chose d’autre que les auteurs font quand ils ont terminé, avant de commencer un autre texte? Les auteurs révisent. Ils relisent et se demandent…»
En septembre, nous savons comment la gestion et la mise en place des bonnes habitudes d’apprenants méritent notre attention et notre temps parce qu’elles teinteront et faciliteront le travail en classe tout au long de l’année. Les entretiens valent la peine qu’on y investisse de l’énergie au départ, parce qu’on sait qu’on y gagnera en efficacité et parce qu’on connait l’impact puissant et réel de cette pratique parfois difficile à instaurer. Tout ne sera pas parfait, mais comme pour n’importe quel apprentissage, une gestion centrée sur la rétroaction en cours d’apprentissage demande de la pratique. On ne peut pas attendre de se sentir prête, parce qu’on n’y arrivera jamais! Il faut faire exactement ce qu’on demande aux élèves quand ils apprennent quelque chose : se lancer, faire des tentatives, prendre une bouchée à la fois, réfléchir à sa pratique, s’appuyer sur nos collègues, être honnête envers les élèves et envers soi-même, se faire confiance et oser!
Dans la classe, pour chacune de nos élèves, nous devons surtout être cette personne de confiance, comme mon amie Julie l’a été pour moi, à laquelle ils auront envie de s’ouvrir pour apprendre et devenir meilleurs.
Pour approfondir le sujet des entretiens et la rétroaction en cours d’appentissage
Quand j’ai su que je devais changer de local dans mon école, j’ai tout de suite pensé au réaménagement de mon nouvel environnement puisque la configuration de celui-ci est différente. J’aimais beaucoup ma salle de classe. Avec les années, je l’avais organisée pour qu’elle soit inspirante et fonctionnelle. Les livres étaient, bien entendu, ce qui faisait battre le cœur de la classe, ce pour quoi l’on était là. Les espaces pour se rassembler, pour collaborer et pour vivre en tant que membres d’une grande communauté étaient priorisés.
Au fil des années, on accumule une quantité d’objets que l’on conserve parce qu’on trouve de la place pour les ranger. Des meubles, du matériel, des livres… et encore des livres! Un nouvel aménagement de sa salle de classe est une bonne occasion pour réfléchir à la place qu’occupent tous ces objets qu’on entasse et pour évaluer quels sont ceux qui méritent qu’on leur réserve un espace.
La semaine dernière, j’étais à la maison de mes parents. Au sous-sol, de nombreux articles de collection de sports, surtout des Canadiens de Montréal. Mais aussi un espace dédié aux nombreux marathons que mon papa a fait durant plus de 40 ans, dont les certificats qui attestent de ses participations aux marathons de Montréal (où il a réalisé son meilleur temps à vie, 2h45),Boston, New York et Paris. Je suis loin d’avoir les capacités et l’intérêt de mon père pour la course à pieds. Mais comme tout le monde, je sais bien que l’exercice physique, c’est important. Autant physiquement que mentalement. Quand vient le temps de se mettre en forme et de bouger, plusieurs choix s’offrent à nous. Nos intérêts, mais aussi nos buts, vont modeler le genre d’entrainement choisi. On ne choisit pas la même activité, et on ne s’entraine pas de la même façon si on veut juste garder la forme ou courir un marathon. On ne choisit pas les mêmes exercices si on veut développer l’endurance, le cardio, des habiletés spécifiques ou la musculature. Mon père n’a pas fait que ce qu’il pensait être correct pour pouvoir atteindre ses objectifs durant de nombreuses années. Il s’est intéressé à ce qu’il se faisait de meilleur, a consulté des experts, a fait partie d’un club. Au fil des ans, ses objectifs ont changé.
Selon nos besoins, nos intérêts et nos objectifs, un entraineur peut nous aider à faire les meilleurs choix. Peu importe l’objectif, on veut évidemment obtenir les meilleurs résultats dans le meilleur temps possible, avec le moins d’efforts nécessaires. Pas par paresse. Par souci d’efficacité. Imaginons que vous décidez de consulter deux kinésiologues, des spécialistes dans leur domaine, et que chacun vous propose un entrainement :
Dans le premier, le kinésiologue propose ce qu’il croit être très bien pour vous. Les exercices vous intéressent beaucoup. Vous êtes familiers avec ceux-ci. Il y a beaucoup d’exercices qui travaillent chacun un aspect différent, et qui vous permettront d’atteindre vos objectifs. Vous devrez en faire plusieurs fois par semaine, pendant deux ans, pour atteindre vos objectifs. Votre entraineur sera là au début pour vous montrer comment faire. Il vous dira ensuite ce qui va et qui ne va pas. Vous serez en groupe, ce qui peut aider à la motivation. Tous les participants auront le même programme.
Dans le deuxième, il vous propose ce qu’il se fait de mieux dans le moment. Les exercices vous intéressent autant. Certains sont familiers, d’autre pas. Vous devrez en faire plusieurs fois par semaine, pendant un an, pour atteindre vos objectifs. Votre entraineur vous montrera comment faire, vous guidera, puis évaluera l’efficacité et les impacts sur votre forme physique, en fonction de vos objectifs, puis réajustera le tir au besoin. Les exercices changeront au fil du temps. Vous serez en groupe, ce qui peut aider à la motivation. Tous les participants auront la même base de programme, mais le kinésiologue ajustera certains exercices selon les besoins ou capacités spécifiques de chacun.
Quel programme choisirez-vous?
Le lien avec la pédagogie est direct. Cette recherche d’efficacité est toujours présente pour les enseignants. Comment arriver à un maximum de résultats dans les meilleures conditions, pour nous et pour les élèves?
C’est bientôt la fin d’une année scolaire. La fin d’un marathon de 180 jours. C’est un bon moment pour faire un bilan, c’est donc aussi un excellent moment pour préparer la prochaine. Regarder derrière pour mieux avancer ensuite. En guise de dernier article de l’année, des idées inspirées de formations offertes par Nell Duke ainsi que d’articles qu’elle a écrits. Professeure émérite en littératie, langue et culture ainsi qu’au programme combiné éducation et psychologie à l’Université du Michigan, ses travaux portent essentiellement sur le développement de la lecture et de l’écriture informative et sur le développement de la compréhension chez les jeunes élèves. Elle a écrit de nombreux articles et contribué à plusieurs ouvrages pédagogiques, notamment sur les pratiques efficaces de niveau 1 appuyées par les recherches.
Concepts liés à l’écrit, conscience phonologique, décodage et connaissance des mots, stratégies de lecture de mots, régulation de la compréhension, fluidité, vocabulaire, analyse morphologique, contenus spécifiques (par exemple en univers social et sciences), flexibilité graphophonétique, grammaire, syntaxe, structure de textes, fonctions exécutives, connaissances sur les genres littéraires, stratégies de compréhension, compréhension littérale, inférentielle et critique, promenades visuelles et recherche, endurance, attitudes favorables… Quand on pense à toutes les stratégies et habiletés que nous devons développer chez les élèves pour former des lecteurs/scripteurs/élèves compétents, on peut rapidement se sentir dépassée. D’où l’importance de choisir les meilleures pratiques et de bien planifier leur orchestration pour nous permettre de répondre aux besoins de tous les élèves et nous préserver de l’épuisement.
Par exemple, j’ai longtemps pensé que la meilleure façon d’aider mes élèves à apprendre les mots d’orthographe ou les mots fréquents en lecture était de préparer des ateliers (ou centres d’apprentissages, ou bacs de travail) avec différents jeux et matériels pour s’exercer. Après beaucoup de budget dépensé et de temps à photocopier, découper, plastifier et découper à nouveau plusieurs pour préparer différents centres durant l’année, nous nous sommes rendu compte, mes collègues et moi, que les résultats pour nos élèves n’étaient pas au rendez-vous. Beaucoup de temps investi avant et pendant la classe pour peu d’impact sur l’apprentissage des élèves. C’était « cute », et amusant. Les élèves aimaient beaucoup les centres et étaient motivés. Mais nous ne voyions pas ou peu d’amélioration dans le transfert de ces habiletés ou connaissances dans le travail d’écriture ou dans la lecture. On croyait encourager l’autonomie, mais être capables de faire les tâches seuls ou à deux ne les rendaient pas plus autonomes face à l’apprentissage. Le même questionnement s’est posé à notre école au sujet de nos interventions pour le développement du langage oral (voir article https://atelierecritureprimaire.com/2021/10/17/loral-au-service-de-lecrit/).
Être conscient de l’impact de ce qu’on met en place nous permet de faire de meilleurs choix pédagogiques et de mieux planifier notre horaire. Nos précieuses minutes dans une journée de classe sont comptées, alors ce que nous recherchons, c’est un maximum d’impact sur les élèves pour un investissement de temps minimum (pour nous et pour les élèves).
Voici donc les conclusions de Nell Duke par l’étude de méta-analyses au sujet des pratiques de niveau 1 à instaurer dès la rentrée, notamment celles au sujet des enseignants efficaces, c’est-à-dire les enseignants dont les élèves progressent significativement, même (et surtout) ceux qui en ont le plus besoin. N’est-ce pas là notre objectif, sinon notre obligation professionnelle, et surtout, ce à quoi tous les élèves devraient avoir droit?
Les enseignants efficaces :
Portent attention à l’environnement de la classe
Organiser la classe pour soutenir le développement de la littératie :
-avoir un espace pour l’enseignement en groupe
-avoir un espace pour l’enseignement en petit groupe
-prévoir des espaces de collaboration
-avoir des livres, des livres, des livres et autres matériels accessibles (lettres magnétiques, post-its, bandes de révision…) pour la lecture et pour l’écriture.
Planifient et agissent intentionnellement
– Savoir pourquoi on fait chaque chose, et en connaitre l’impact
-Établir des routines et procédures claires dès la rentrée
Ne perdent pas de temps, entre autres en et centrant leur enseignement sur les pratiques appuyées par les recherches (et en évitant les pratiques qui sont peu ou pas efficaces selon les recherches)
Réfléchir à ce qui gruge notre temps inutilement et aux pratiques prouvées comme étant peu ou pas efficaces :
Par exemple : travail du matin (occupationnel), fiches d’activités ou cahiers d’exercices (quantité?), recherche de définitions dans le dictionnaire, façon de prendre les présences, temps alloué calendrier (certaines activités sont peut-être superflues selon le temps de l’année ou les contenus à enseigner, ou peu bénéfiques), déplacements inutiles dans l’école, trop de temps pour la promenade visuelle en lecture, temps de lecture autonome qui ne serait pas ajusté au temps de l’année…
Des exemples de pratiques « payantes : lecture à voix haute interactive avec conversations signifiantes, lecture partagée, enseignement explicite des stratégies de compréhension, enseignement explicite de la conscience phonologique et des habiletés graphophonétiques, application des connaissances et stratégies pour comprendre et appliquer le principe alphabétique en lecture et en écriture (enseignement systématique et explicite des relations entre les graphèmes et les phonèmes en suivant une séquence planifiée et intentionnelle, conscience phonologique et phonémique, formation des lettres, concepts liés à l’écrit, mots fréquents…), dictées d’apprentissage, techniques pour travailler la fluidité, construction de connaissances, écriture interactive, enseignement explicite de la calligraphie et de l’orthographe, enseignement du processus d’écriture, enseignement des stratégies d’écriture, étude de la morphologie, étude du vocabulaire… dans un contexte motivant. (Vive les ateliers!)
Orchestrent tous les éléments
Illustration non exhaustive d’un environnement efficace en littératie
On peut aussi penser à la synergie entre la conscience phonologique, les habiletés graphophonétiques, la reconnaissance des mots, l’apprentissage de mots fréquents et le concept de mots : il y a de la réciprocité dans les liens entre les concepts de base alors on veut des opportunités de les travailler simultanément et non en silos.
Lorsque nous prévoyons notre horaire quotidien, chaque minute compte. Il faut s’assurer que chaque élément qui s’y retrouve est pédagogiquement bénéfique. Des discussions avec les collègues sur les pratiques s’imposent! Est-ce qu’on connait l’intention et l’impact pédagogique d’une pratique? Est-ce qu’on fait cette activité par habitude? Parce qu’on ne connait pas une autre façon de faire? Parce qu’on nous a dit de le faire? Parce qu’on a toujours fait comme ça? Répondre à ces questions en équipe nous permet de mieux cibler nos interventions.
Alors, on peut bâtir l’horaire quotidien (qui ne sera jamais parfait…) avec soin en incluant, par exemple :
20 minutes* d’enseignement des compétences sociales et émotionnelles (ou habiletés sociales) et de travail sur le développement de la communauté de classe : On a longtemps pensé que cet apprentissage devait se faire tout au long de la journée, de façon implicite et intégrée aux activités de la journée, mais plusieurs recherches démontrent qu’un enseignement explicite et spécifique quotidien de ces habiletés serait plus profitable.
10 minutes* : De courtes leçons de groupe sur un aspect de la littératie (concepts de bases en lecture et en écriture (conscience phonologique, grapho-phonétique, travail sur les mots…), écriture (stratégie, orthographe…), stratégies de lecture…
20 minutes* de travail sur la langue (lettres, sons, orthographe, vocabulaire, grammaire, régularités orthographiques…) incluant la leçon sur le sujet traité au besoin.
Du temps de lecture et d’écriture individuelle
45 minutes* : Beaucoup de temps pour les entretiens individuels et l’enseignement en petits groupes de besoins.
Du temps de récréation
Les autres matières au programme (dans lesquelles il est profitable d’intégrer des éléments de la littératie. Effectivement, il est démontré que cela augmente les compétences autant dans les contenus spécifiques que dans les compétences en littératie). Par exemple, des lectures à voix haute d’inscrivent bien autant dans le temps alloué à la lecture en groupe que dans le cours de sciences, d’univers social ou d’éthique, et le développement de la compétence à l’oral peut faire partie de la période de mathématiques)
*le temps suggéré n’est pas une prescription, mais une approximation selon différentes études, du minimum requis pour un maximum d’impact.
J’aime bien l’image de la balance pour illustrer le choix de pratiques et dispositifs à mettre en place. L’équilibre est le même, mais dans le premier cas, beaucoup d’énergie et de temps à planifier chaque objet d’apprentissage, chaque moment d’enseignement ou de travail, alors que dans le deuxième, le choix de dispositifs permettant de travailler sur diverses compétences en même temps permet de mettre son énergie à la bonne place. C’est le deuxième programme d’entrainement! (vive les ateliers!)
Isoler les contenus d’enseignementChoisir des dispositifs qui favorisent la synergie des contenus
Enseignent de façon explicite
Vive les ateliers! Mais c’est aussi valable en mathématiques, pour les habiletés sociales, etc.
Donnent plusieurs occasions de s’exercer
Vive les ateliers, et cela doit aussi être vrai pour les autres éléments de la littératie.
Favorisent les interactions avec les familles
Les entrevues de parents, par exemple, sont une belle occasion de les impliquer dans la vie de la classe.
Favorisent l’autorégulation chez les élèves
Vive les ateliers!
Font en sorte que les élèves écoutent, parlent, lisent et écrivent beaucoup
Vive les ateliers!
Utilisent judicieusement l’enseignement individuel, en petit groupe et en grand groupe
On devrait passer plus de temps sur l’enseignement en petits groupes et les entretiens individuels que sur l’enseignement de groupe. Il faut savoir tirer profit du temps en petit groupe parce qu’il est très important pour la différenciation et a un impact significatif sur l’apprentissage.
Il faut bien utiliser le temps en petit groupe pour les élèves avec l’enseignante autant que pour les élèves qui ne sont pas avec l’enseignante. Avoir un rythme soutenu d’enseignement et des routines claires, enseignées avec attention et avoir des structures de participation et des outils pour favoriser l’engagement des élèves maximise l’effet de « rester sur la tâche » pour ceux qui ne sont pas avec l’enseignante.
Utilisent des évaluations et observations pour éclairer leur enseignement
Baser son enseignement sur une évaluation (à ne pas confondre avec notation) en cours d’apprentissage. Vive les ateliers!
Sont réactifs et flexibles
Former et re-former les groupes durant l’année pour répondre aux besoins et créer des leçons pour répondre à ces besoins.
Créent des occasions pour les élèves de collaborer
Vive les ateliers!
Offrent des choix et du contrôle
Vive les ateliers!
Apportent un soutien en cours d’apprentissage
Vive les ateliers!
Encouragent les réussites (attentes claires et élevées, font la démonstration de ce qu’est la réussite, par exemple une application d’une stratégie en particulier avec succès, et offrent du support étayé pour l’engagement des élèves. Vive les ateliers!
Mettent l’emphase sur l’effort
Notamment en voyant les erreurs comme des occasions d’apprentissage, et en célébrant les marques de révision et de correction. Vive les ateliers!
Sont positifs et enthousiastes lorsqu’ils parlent de lecture et d’écriture
Vive les ateliers!
Finalement…
Nous sommes toujours à la recherche des meilleures pratiques. De nombreuses recherches en éducation nous sont accessibles. Le problème est que, peu importe le domaine, pour chaque recherche qui prouve une chose, il en existe une autre qui dit son contraire. Il faut être prudent quand quelqu’un arrive avec une idée. Dans le milieu de l’éducation, nous avons été, à travers les années, échaudés avec « les nouvelles modes ». Je me souviens d’une époque, pas si lointaine, où chaque année, quelqu’un arrivait avec une nouvelle idée, une nouvelle « affaire », qui allait tout changer. Maintenant, nous sommes plus à l’affût. Nell Duke est catégorique. On ne peut pas ne pas savoir pourquoi on fait quelque chose en classe. Comme on ne peut pas prendre une seule étude et changer ses pratiques. On ne peut pas prendre quelque chose qui fonctionne avec un certain groupe d’élèves à besoins spécifiques et penser qu’on doit l’appliquer à tous. Même les méta-analyses ont leurs limites. La science, c’est essayer de trouver des convergences, des noyaux communs dans le plus de recherches possible, et être conscient des limites des résultats. Ensuite, notre responsabilité professionnelle nous oblige à ne pas ignorer ce que l’on sait. Et à utiliser nos meilleurs talents de jongleurs pour tenter d’intégrer tout ce que l’on sait de bien dans nos pratiques et surtout, dans notre horaire.
Oui, vive les ateliers!
Cette liste confirme plusieurs choix pédagogiques que de nombreux enseignants ont faits dans les dernières années, notamment en ce qui concerne les ateliers de lecture et d’écriture qui favorisent cette synergie, procurent un contexte favorable aux apprentissages et aident à la mise en place d’une structure gagnante pour l’enseignement en petits groupes et les entretiens individuels. Ils assurent aussi une progression réfléchie, intentionnelle et étayée des contenus, des stratégies et des méthodes d’enseignement. Ils forment un noyau fort pour ancrer la littératie et toutes ses composantes et s’appuient naturellement de nombres pratiques probantes . Même si au départ ils peuvent nous effrayer avec le temps qu’on y met, je peux maintenant affirmer, comme plusieurs, que chaque minute investie dans leur mise en place et chaque plongeon dans un module, même s’il peut sembler ardu, en vaut la peine parce qu’il assure une base solide à ces pratiques connues pour être efficaces en plus d’apporter une formation continue individuelle et de groupe. Ensuite, il reste peu de morceaux à coller à l’orchestration déjà en place.
Et l’an prochain?
Les conclusions de Nell Duke m’aident aussi à réfléchir aux incontournables à mettre en place dans ma classe dès la prochaine rentrée scolaire. À notre école, nous voulons nous pencher, en équipe, sur l’efficacité de notre enseignement en petits groupes. L’impact de cette pratique sur les élèves vaut la peine de s’y investir. On le sait depuis longtemps, mais, comme pour l’entrainement, on remet souvent à plus tard. Là, ça y est, on s’y met. Réfléchir ensemble, discuter, planifier, s’organiser. Faire un pas en avant, c’est bien, mais avancer ensemble, c’est encore mieux!
Surtout quand on avance aussi 3 ou 4 midis par semaine, 3 kilomètres bien comptés, à vitesse rapide dans les rues autour de l’école…
Quand j’écris de la poésie( extrait, Mireille Levert)
La poésie
c’est avoir des yeux
dans le trou des yeux
dans la paume des mains
au bout des doigts
sur le ventre
Mais surtout
dans le coeur (…)
La poésie
c’est voir ce qui est invisible
J’aime entendre et voir des experts parler du sujet qui les animent.
Que ce soit Kim Thuy qui parle d’écriture, Romain Druris jouant le rôle d’un Gustave Eiffel qui s’enflamme devant les ouvriers et qui a réponse à tous ceux qui s’opposent à son idée, mon fils qui parle de sa dernière pratique de hockey ou mon élève de première année qui me parle de son chien, ils ont tous en commun que leur gestuelle parle autant que leurs mots, et leurs yeux ont la même lueur… C’est magnétique et inspirant.
Entendre Georgia Heard parler de l’importance de la poésie dans la vie de nos jeunes élèves m’a créé cet effet. En ce début de dernier droit de l’année scolaire, alors que j’aime bien aborder ce genre littéraire avec les élèves, je partage aujourd’hui avec vous mes réflexions après avoir assisté à une conférence de Georgia Heard offerte par le Teacher’s College en mars dernier.
Pourquoi la poésie?
Nous avons tous une vie intérieure, et sans cette vie intérieure, nous serions une coquille vide. C’est ce qui nous rend humain, unique. La poésie est le reflet de cette vie intérieure. En éducation, nous devons porter attention au cœur des enfants autant qu’à leur esprit. Cela permet de reconnaitre et de respecter l’être humain qu’ils sont. Les enfants doivent savoir que nous vivons toutes sortes d’émotions à l’intérieur, que c’est normal, et qu’on peut écrire à ce sujet.
Pour certains enfants, la poésie sera la porte d’entrée dans l’écriture et dans la littératie. Comme la poésie est un genre littéraire habituellement plus court, certains verront à travers le travail de poète qu’ils peuvent exprimer des idées complexes et démontrer leurs aptitudes. Parfois, c’est le genre qui leur permet de briller enfin. Je n’oublierai jamais l’étincelle dans les yeux de K., une enfant de 8 ans avec de grandes difficultés d’apprentissage, mais surtout d’estime de soi, le jour où elle a écrit son premier poème, en s’inspirant d’une émotion forte qu’elle avait vécue et s’est exclamée: « C’est moi qui a écrit tout ça? Je ne savais pas que j’étais capable! » Quand un enfant réalise qu’il peut écrire, alors il apporte avec lui son identité d’auteur compétent dans les autres genres et les autres aspects de son écriture. En poésie, notamment, on utilise des procédés littéraires empruntés à tous les autres genres (certains diront que ce sont plutôt les autres genres qui empruntent à la poésie…), ce qui en fait un terreau fertile pour le transfert des apprentissages.
[Sans titre]
Je suis couchée sur le lit j’attends le docteur. J’ai peur.
Peur de mourir. Mais ce que je sais, C’est que je veux Faire confiance au docteur Alors Je prends la main de ma mère Je serre fort. Je peux faire confiance au docteur. Inspire. Expire. Cœur. J’ai confiance au docteur.
K., 8 ans.
Aussi, la poésie donne de l’espace et du temps à chacun pour réfléchir, ressentir, se connecter avec soi-même. Nous connaissons les bienfaits de la pleine conscience. La pleine conscience, ce n’est pas d’être toujours heureux. C’est d’être en vie, présent, empathique envers soi-même et envers les autres. C’est ralentir, prêter attention à ses émotions, aux petits moments. Voir la beauté dans l’ordinaire. La poésie fait exactement la même chose.
Trucs pour les enseignants
Un poème, c’est exprimer sa propre voix. C’est dire la vérité sur ses expériences et ses émotions, sur sa vie. Nous sommes tous des poètes!
Lorsqu’on construit une maison, les poutres, les fondations et le revêtement extérieurs sont essentiels, mais ce n’est pas ça qui en fait un endroit où il fait bon vivre. Il y a une différence entre une maison et un « chez-soi ». C’est la même chose en poésie. Il y a des règles, des formes, des procédés que l’on peut enseigner, mais ils ne font pas le poème. Ils sont au service de ce que l’auteur veut exprimer, au service du cœur.
Une recette pour écrire de la poésie :
Écrire chaque jour
Regarder et observer
Penser aux émotions que l’on vit
Penser aux questions que l’on se pose
Écrire
Laisser reposer
Revenir
Il faut penser à ce qui se passe à l’intérieur de soi, à ce qui fait battre notre cœur plus fort:
Quelqu’un qui aime, quelqu’un qui meurt, regarder les étoiles, observer ses enfants…
On peut faire du modelage à partir d’un poème que l’on veut écrire.
Explorer.
Écrire beaucoup de poèmes que nous avons envie d’écrire
Parfois, il faut aussi s’enlever du chemin et laisser l’imagination des enfants se déployer librement… (oh que j’aime cette image…)
Où trouver de la poésie?
Demandez à un, dix ou mille poètes, ils vous répondront sensiblement la même chose. J’avais d’ailleurs fait l’exercice au moment d’adapter le module Écrire de grandes pensées en poésie (Collection Les ateliers d’écriture, Chenelière) : Elle est partout. En nous, et autour de nous.
Poésies pour la vie (extrait, Gilles Tibo)
La poésie habite dans les livres mais aussi dans les étoiles, sur la lune, dans les arbres.
La poésie ressemble à la vie, celle des jours comme celle des nuits La poésie c’est : lancer un ballon sur le soleil, attraper un poisson sous l’arc-en-ciel, faire un tour de vélo dans les bras de l’été, attraper une coccinelle et la laisser danser, boire tout l’océan dans un petit verre d’eau, et détacher le ciel pour qu’il s’envole très haut […]
On peut trouver de la poésie dans notre cœur, notre regard sur le monde, nos observations, nos préoccupations à propos du monde qui nous entoure, nos émerveillements, notre curiosité, notre mémoire et nos souvenirs. On peut aussi inviter les élèves à écrire avec la perspective (la voix) de quelque chose. Parfois, ce masque peut aider à provoquer une étincelle pour l’imaginaire.
Comment amener la poésie dans le quotidien de la classe
(et pas seulement dans un module précis)
-Étudier un poème une fois par semaine et en discuter (15 à 30 minutes)
-Utiliser un poème comme lecture partagée ou lecture à voix haute, ou comme modèle lors de l’atelier de lecture.
-En lecture partagée ou interactive, aller plus loin, plus en profondeur : voir si au fil des jours on ressent la même chose à travers ce poème, remarquer les images/métaphores, remarquer la ponctuation… Souvent, cela permet d’aimer le poème encore plus!
-Lire un court poème chaque jour
-Lire différentes sortes de poèmes, sur différents sujets
-Demander aux élèves de collectionner ceux qu’ils aiment, ceux qui leur parlent particulièrement
-Inclure la poésie dans nos rituels (par exemple, pour les transitions, au lieu d’une chanson)
-Commencer la journée avec un poème et en discuter
-Avoir un « bac de poèmes » sur les tables des élèves à différents moments dans l’année.
-Ajouter de courts poèmes aux sacs de lecture
-Relier les poèmes aux autres matières
-Relier les poèmes à l’actualité
La poésie et le vocabulaire
En poésie, on doit trouver les mots justes pour dire que ce que l’on veut exprimer de la bonne façon. C’est un contexte idéal pour travailler le vocabulaire. On doit trouver l’image, et surtout le son, pour que tout colle ensemble. La rime n’est pas la seule « colle », on peut même chercher à s’en éloigner au départ, pour que les enfants n’associent pas que cet aspect à la poésie.
Comme les poèmes sont des textes courts, il s’agit d’une bonne opportunité pour s’attarder aux sons, à la précision, à l’orthographe, au vocabulaire, aux façons de jouer avec les mots et avec la langue (assonance, allitération…). Par exemple, porter attention au son du serpent, sssssss, et l’intégrer dans un poème qui parle du serpent.
Le requin
Le requin Attentttttion ! Le requin s’avancccccce. Il glissssssse douccccccement vers sa proie. Il a faim. Il sssss’approche. Il ouvre la gueule. Chlak ! Clic ! Clac ! À l’attaque ! Il croque sa proie calmement.
Raphaël, 8 ans
Et aussi…
Pour être confortable pour enseigner la poésie, il faut souvent se placer en posture d’apprenant : apprendre aux côtés de ses élèves. Vous devez trouver un poème que vous aimez, et vous demander pourquoi vous l’aimez et ce qu’il vous fait ressentir. On peut aussi faire cet exercice avec les élèves : présenter quatre poèmes sur des sujets différents, et écrits différement. Chacun chosit son poème préféré, et ils se placent en petits groupes et en discutent : que ressentent-ils? Que signifie-t-il pour eux? L’enseignant peut aussi se placer dans un groupe.
Il n’y a pas d’intérêt à faire de la poésie si on ne fait pas de lien avec le cœur. Pour parler des procédés littéraires, on peut se demander : « Comment ce poème nous a fait ressentir ___ (la peur, la peine, la joie, la beauté…) ». On relit, et on le découvre ensemble. On doit partir de l’intérieur.
On peut aussi enseigner à bien lire un poème : les strophes (c’est le nombre de parties à ton poème, le nombre de « salles »), les brisures de lignes (petites pauses entre les strophes), les espaces blancs (les poètes jouent avec les silences, il faut les honorer en lisant), mais aussi, pour bien lire un poème, il faut le connaitre, le comprendre et le ressentir. Il faut saisir sa « personnalité », c’est ce qui dictera la façon de le lire. C’est une jeu d’interprétation.
Publication
En poésie, (presque) tout est permis. Lors de la publication, on veut s’amuser! Jouer avec les polices d’écriture, afficher des poèmes dans la ville, créer un café littéraire, ou un événement de lecture de poèmes…
La poésie doit être vivante, naturelle.
Elle doit venir de l’intérieur.
Elle peut faire partie de la classe.
Écrire sur les émotions permet de se comprendre soi-même, de comprendre les autres et de tisser des liens. C’est une façon de se connaitre, de créer la communauté (oui, cette expression est en surexposition dernièrement, mais il n’y a pas d’apprentissage sans lien, sans cette communauté, alors utilisons bien les outils que nous avons déjà pour la rendre plus forte…). Elle peut être une base solide pour connecter de nombreux apprentissages qui seront transférables dans toutes les sphères d’un environnement d’apprentissage riche, équilibré et surtout efficace en littératie. Il n’y a pas de meilleure raison pour l’intégrer à la routine de la classe bien avant le module du mois d’avril, mai ou juin…
Et vous, qu’est-ce qui fait battre votre cœur plus vite et plus fort?
Références et suggestions
Écrire de grandes pensées en poésie, Collection Les ateliers d’écriture, Chenelière Éducation
Quand j’écris avec mon coeur, Mireille Levert, Éditions de La Bagnole
Poésies pour la vie, Gilles Tibo et Manon Gauthier, Éditions de l’Isatis
Lors de la parution du dernier texte de Martine, La lecture partagée et Half Moon Run, Marie-Ève, une enseignante, a posé la question suivante : Est-ce qu’il y a des profs du 3e cycle dans la salle qui font la lecture partagée avec leurs élèves? Martine et moi avons alors avancé l’idée que la formule de lecture à voix haute interactive semblait plus appropriée chez les grands.