Un article de Martine Arpin

Mon attachement à l’atelier d’écriture, au-delà de l’intérêt des élèves à écrire et des résultats spectaculaires qu’il permet, réside dans la vision de l’éducation et de l’enseignement qui supporte toutes les décisions pédagogiques et humaines que je prends dans la classe, pour mes élèves et avec eux.

La révision

L’une des grandes idées qui m’a particulièrement touchée et fait réfléchir est l’importance des erreurs et la place accordée à la révision et à la correction : amener les élèves (et nous-mêmes) à voir la richesse de la prise de risques, comprendre l’impact positif des erreurs pour apprendre et grandir, avoir la permission de se tromper,  de faire des changements dans le texte, de s’améliorer, de trouver des solutions aux difficultés et de découvrir la fierté de relever un défi après avoir travaillé fort pour l’atteindre, c’est ouvrir la porte à une toute autre perspective de l’apprentissage basée sur l’action. C’est montrer aux élèves qu’ils ont du pouvoir sur leurs apprentissages.

Quand j’arrive à la fin d’une histoire, je l’aurai relue, changée et corrigée au moins 150 fois. Je me méfie de la facilité et de la rapidité. Bien écrire, c’est réécrire. J’en suis convaincu.

Roald Dahl

La révision fait partie du processus d’écriture. Elle fait partie de l’une de ces « choses » que font les auteurs et que l’atelier d’écriture donne le privilège d’expérimenter, même pour nos jeunes auteurs. D’ailleurs, l’une des toutes premières leçons du tout premier module du préscolaire enseigne aux élèves que « quand on a terminé, tout ne fait que commencer! ». On leur enseigne que lorsqu’ils pensent avoir mis sur la page tout ce qu’ils savent de leur sujet, ils peuvent l’imaginer à nouveau, réfléchir et ajouter des détails aux illustrations et/ou ajouter des mots. Avant de leur enseigner comment écrire des mots de façon conventionnelle, ou comment faire des espaces, on leur enseigne qu’un auteur écrit sur les choses qui lui tiennent à cœur, pour partager avec les autres. La correction aussi fait partie du processus. Un auteur prend le temps de s’assurer que son messages respecte les conventions de la langue, les normes orthographiques, afin que son message soit compris plus facilement.

Quand on demande aux élèves de nous parler de révision, s’ils n’ont pas baigné dans cet esprit, ils répondront que c’est « corriger » (les fautes, les mots, les verbes, la grammaire).  Posez-vous la question. Qu’est-ce que la révision? Quelle est la différence entre la révision et la correction? Mes élèves font-ils la distinction entre les deux? Quelle est la place que j’alloue à chacune dans ma classe? Trop souvent, la révision est confondue, ou entremêlée avec la correction. Dans le processus d’écriture, j’aime bien, surtout avec les jeunes élèves en début de scolarité qui apprivoisent encore ce processus, faire la distinction claire entre les deux. Quand cela fait partie de leurs bonnes habitudes d’auteur, on peut plus facilement jumeler révision et correction dans le processus, et plus ils deviennent habiles, plus ils révisent et corrigent naturellement en cours d’écriture, pas seulement à la fin. Mais ils doivent d’abord comprendre que ce sont deux choses différentes, nécessaires et complémentaires.

Encore une fois, tout est dans la façon d’aborder les choses, de les nommer et de les expliquer pour que le changement s’opère.

« N’effacez pas! Je veux voir tout le travail que vous vous faites en tant qu’auteur. Quand vous effacez, tout ce travail disparait!»

«Juste une ligne pour rayer ce que tu veux changer et c’est parfait! De cette façon, tu peux voir TOUT le travail que tu as fait.»

«Wow! Regarde tous les changements que tu as faits dans ton texte! Tu en connais beaucoup sur la révision! Est-ce que je pourrais montrer aux autres ce que tu as fait?»

«Quand vous rayez des choses dans votre texte pour faire des changements, cela montre que vous savez que les auteurs révisent toujours.  Cela montre que vous travaillez très fort sur votre texte. Cela montre que vous réfléchissez et que vous réglez des problèmes.»

Imaginons un enfant qui aurait entendu ce discours depuis l’âge de 5 ans… que changer des choses dans le texte, c’est positif. Qu’on révise pour améliorer quelque chose de bien, pas pour rendre bon quelque chose qui ne l’est pas. Que les erreurs qu’il fait sont des occasions d’apprendre et de s’améliorer et non pas que des « fautes » à corriger (et que l’on doit les corriger si on veut que notre message soit clair). Que tous les auteurs révisent. Souvent. Toujours. Après l’écriture, mais surtout pendant. Imaginons l’impact de cette façon de voir les choses sur la prise de risques, les tentatives, les approximations, le développement des habiletés d’écriture au fil du temps et sur l’estime de soi quand on voit tout cela comme une occasion d’apprentissage.

Alors comment favoriser l’engagement des élèves dans le processus de révision et faire en sorte qu’ils voient tous les bénéfices en tant qu’auteur? Quelques éléments sont essentiels à cette  prise en charge par l’auteur que nous voulons voir évoluer:

  • Permettre aux élèves d’écrire sur des sujets qui les tiennent à cœur (difficile de prendre le temps de revenir et de travailler un texte qui ne nous intéresse pas…)
  • Garder en tête l’intention d’écriture et le destinataire (réviser pour s’assurer que notre objectif est atteint, et de la meilleure façon possible, avec tout ce qu’on connait des procédés littéraires propres à chaque genre littéraire)
  • Enseigner explicitement les stratégies de révision variées adaptées au niveau des élèves
  • Modéliser en révisant son propre texte
  • Donner du temps pour réviser
  • Offrir du temps pour discuter avec le partenaire (c’est souvent ce que nous faisons, comme adulte, pour réviser un texte)
  • Fournir des outils de révision qui favorisent les prises de décision :  papier sur lequel il y a de l’espace pour réviser (entre les lignes, au bas de la feuille, …), ciseaux, ruban adhésif et colle pour pouvoir jouer avec la disposition des phrases ou paragraphes, photocopies du texte pour les élèves qui sont réticents à découper leur premier jet, bandes pour ajouter des rabats, crayon spécial pour la révision seulement, enveloppes avec stratégies de révision à piger et essayer…)
  • Proposer des listes de révision (à partir des listes de vérification propres à un module) adaptées aux différents niveaux de compétence.
  • Afficher des exemples de textes d’élèves qui ont révisé
  • Célébrer le travail de révision et ses bénéfices
  • Nommer précisément le travail réalisé par les élèves pour réviser, pour leur permettre de transférer ce travail peu importe le texte.

Révision et correction 2.0

En tenant compte de tous ces principes importants, Mélissa Lefebvre, stagiaire de quatrième année dans ma classe (et ancienne élève…quel choc!), a voulu intégrer les nouvelles technologies à l’enseignement de l’écriture.  Elle a pensé à l’utilisation de la tablette électronique pour la révision et la correction des textes. Avec des élèves de première année. Étant moi-même une ordi-nosaure, une fervente défenseure du papier-crayon-livre, je n’ose jamais (ou n’ai pas trop envie de) me lancer. Toutes les excuses sont bonnes : pas besoin de la technologie, pas le temps, élèves trop jeunes… Pourtant, au TCRWP, il y a une réelle réflexion sur l’apport de la technologie pour l’enseignement et l’apprentissage de la lecture et de l’écriture: des journées complètes de formation sur l’utilisation des technologies dans l’atelier d’écriture, avec des sujets allant de la prise de notes lors des entretiens à la création d’un blogue avec les élèves en passant par le travail en partenariat.

Et bien. Je dois admettre que le choc des générations fait parfois du bien et change les perceptions! Mélissa a su utiliser tout ce qu’elle connaissait de l’atelier d’écriture et des idées importantes sur lesquelles reposent les décisions que l’on prend et ce que l’on offre aux élèves pour leur proposer une façon nouvelle de s’exercer à la révision et à la correction. Et les élèves, on dirait, naissent avec des aptitudes pour la technologie (on pourrait discuter de la place que cela occupe de bonnes aptitudes dans leur vie, mais ça, c’est une autre histoire). Ils ont donc plongé avec enthousiasme et une grande aisance dans ce travail.

Avec la permission de Mélissa, en voici les grandes lignes :

L’activité est présentée dans le cadre des centres d’apprentissages en littératie, elle a donc lieu en dehors de l’atelier d’écriture. Ceci permet, entre autre, d’aider les élèves à voir que l’écriture ne se résume pas à la période réservée à l’atelier d’écriture durant la journée. Mélissa a créé une mini-leçon pour présenter le nouveau centre comme outil à la révision. Tout y était. Retour sur les connaissances des élèves à propos de la révision et de la correction, démonstration, pratique guidée pour favoriser l’engagement et lien entre ce travail de révision et ce qui est fait dans l’atelier d’écriture.

Elle a utilisé l’application Book Creator (création de livres numériques). L’enseignante prend une photo d’un texte d’élève à partir de l’application (dans notre cas, il s’agissait d’un chapitre de livre informatif). Ensuite, une équipe de deux trouve le dossier à son nom et travaille sur le texte d’un autre élève, qui s’y trouve déjà. Tout se prépare en 2 minutes (prendre la photo, la placer et inscrire le nom des élèves qui travailleront sur le texte). Quand c’est leur tour, les élèves doivent lire le texte, puis enregistrer leurs commentaires. Ils ont une carte aide-mémoire pour l’enregistrement.

Ils font d’abord un compliment à l’auteur. Ensuite, ils donnent des conseils ou posent des questions. Mélissa a préparé des cartes « début de phrase » pour aider ceux qui en auraient besoin. Ces cartes peuvent avoir deux couleurs différentes (une pour des conseils de révision, une pour des conseils de correction). Ils sont amenés à consulter les tableaux d’ancrage de la classe pour avoir des idées. Ces tableaux d’ancrage sont aussi mis à la disposition des élèves dans le bac avec tout le matériel nécessaire à la réalisation de l’activité (tablette électronique, aide-mémoire pour l’enregistrement, tableaux d’ancrage, cartes avec des idées pour débuter les phrases). L’application est facile d’utilisation pour les élèves (et pour les enseignantes qui sont allergiques aux nouvelles technologies!). Au départ, les élèves pensaient surtout aux stratégies de correction qu’ils connaissent. Lorsqu’ils avaient de la difficulté à lire un mot ou une phrase, évidemment, ils donnaient un conseil pour corriger puisque c’est ce qui leur sautait d’abord aux yeux. Cela nous a permi de faire un retour en groupe pour s’assurer que les élèves comprenaient bien la différence entre révision et correction et puissent ajuster leurs recommandations. Nous avons donc vu ensuite des élèves qui ajoutaient un gros plan à leur illustration pour ajouter un détail, changer une information de page pour qu’elle soit placée avec les informations de sa catégorie ou même ajouter un début intéressant pour accrocher son lecteur.

En réfléchissant ensemble sur un texte et en partageant leurs conceptions, les élèves peuvent comprendre toute l’importance de la révision et de la correction. En travaillant à partir du texte d’un autre, ils peuvent voir des choses qu’ils ne voient plus sur leur propre texte. Ici, la technologie amène un aspect ludique mais n’enlève pas la vedette au travail de fond important : la révision et la correction. Elle supporte plutôt l’utilisation des stratégies apprises. L’activité proposée n’a pas qu’intégré les nouvelles technologies. Elle a permis aux élèves d’intégrer les bonnes habitudes de révision qu’ils ont apprises et de les ancrer encore plus dans leur processus d’écriture en s’engageant activement comme auteur dans la révision, en mettant en application les stratégies apprises, et en transférant ce qu’ils ont fait avec le texte d’un autre élève à leur travail de révision sur leur propre texte. Les élèves ont réalisé que peu importe le texte sur lequel ils travaillaient présentement, les conseils entendus pouvaient s’appliquer et les aider en tant qu’auteur. Une belle démonstration de ce que signifie «travailler l’auteur et non le texte », quand on pense à l’importance du transfert des apprentissages pour favoriser la compréhension et la rétention.

 

 

Référence:

https://twowritingteachers.org/