Une collaboration de Marie Germain

Le calme est installé dans la classe, tous ces jeunes en fin primaire plongés dans la lecture, sourire aux lèvres. Je les vois, sourcils froncés, devant la scène où Tobbie Lolness tente d’échapper à ses persécuteurs. J’entends les reniflements lorsqu’ils découvrent la mort de Firmin dans Charbon bleu. Je vois les discussions enflammées lorsque, en club de lecture, ils présentent leur point de vue sur le comportement incompréhensible de ces policiers blancs dans Missié… Parfois calme comme la mer après une tempête, parfois bouillonnante comme la tombée d’une chute, parfois aussi rugissante qu’une puissante vague, la classe vient de pénétrer dans la zone lecture.

Il y a déjà quelques années que les élèves du troisième cycle qu’on me confie découvrent cet amour de la lecture, flot déferlant sur leur personne en construction. Certains y plongent sans peur, d’autres y trempent un orteil ou deux avant de se laisser aller. D’autres encore pataugent dans le « pas creux » ou y vont jusqu’à la taille, et d’autres s’enfoncent dans les profondeurs, explorant des trésors enfouis. Ce qui m’importe? Leur transmettre le goût de la lecture et faire tomber les peurs, les fausses conceptions : « Moi j’suis pas bon pour lire, j’aime pas ça lire, j’comprends jamais rien! ».

Pour cela, il fallait sortir du traditionnel trio texte-questions-réponses et les plonger directement dans l’océan littéraire! Car comment peut-on apprendre à nager si l’on ne met jamais les pieds dans une étendue d’eau?

Comment en arriver à former des lecteurs pour la vie? Comment leur transmettre ce besoin de lire, ce plaisir de lire ? Est-ce que j’aime lire? Vers quels types de livres je me tourne? Est-ce que je prends le temps de lire pour le plaisir? Pourquoi je lis? Est-ce que je me baigne dans l’océan littéraire?

Quand les modules sur les ateliers de lecture ont été publiés en français, ma joie fut immense!!! Enfin, une ressource complète pour reconnaître une évolution concrète dans le comportement de mes lecteurs face à la lecture. Comprendre, apprécier, comparer, parler de nos lectures, échanger, partager. C’est ce que nous faisons au quotidien en classe.

Si vous étiez petit oiseau perché au bord des fenêtres de mon local, vous pourriez apercevoir des élèves prendre des notes dans leur journal de lecteur au beau milieu d’un chapitre de leur roman en cours, en vue de leur prochain club de lecture. Vous pourriez y découvrir un autre lecteur en train d’écrire sur notre graffiti littéraire une citation de son livre qui l’a touché. Vous verriez également des enfants étendus de tout leur long au sol, comme en train de se faire dorer au soleil, le nez plongé dans leur bouquin. Un autre pourrait remplir sa PAL (pile à lire), « car madame Marie, il y a trop de bons livres qui m’intéressent! ». Un débat pourrait se présenter devant vous et vous ne verriez que de la bienveillance, car nous accueillons les idées des autres afin de voir les choses autrement. Des stratégies enseignées sur comment découvrir les leçons de vie que l’auteur a voulu nous exposer sont offertes. Des roman-feuilleton, des lectures à haute voix (oui, même en sixième année, ils adorent!!!), des discussions profondes, des liens entre des lectures passées, des partages sur nos coup de cœur littéraire….

Enseignante, je suis, mais lectrice aussi! J’en suis donc venue à ce constat que je ne peux qu’enseigner ce que je suis et que, si je veux leur apprendre à nager, il faut que je nage moi aussi!

 Si nous ne lisons pas, nous ne donnerons pas le goût de la lecture à nos élèves. Pas pour de vrai du moins. Oui, le temps est précieux, nous avons une famille, un amoureux, des amis à prendre soin. Mais nous devons en tant qu’enseignant faire une place dans notre horaire pour la lecture. Elle est primordiale.

Voici ma recette secrète pour que celle-ci soit une priorité dans mon quotidien.

  • Je me crée une atmosphère de lecture (un coin pour moi avec bol de café, doudou et feu de foyer, pourquoi pas?)
  • Le dimanche soir, c’est mon temps pour faire ma liste de ce que je veux faire dans ma semaine : pour moi, pour ma famille, pour mon travail. Je place ces choses à faire dans mon horaire en accordant du temps pour la lecture : c’est une priorité et je n’y déroge pas. 
  • Je lis ce que mes élèves pourraient aimer lire : rien de mieux que de lire les mêmes romans, albums, bd que les jeunes de ma classe pour qu’ils sentent que je m’intéresse à eux. J’ai alors en classe de vraies conversations littéraires.
  •  Je varie mes lectures : de l’article à la poésie, du roman graphique au documentaire selon mes champs d’intérêts, avoir plusieurs livres débutés permet de choisir ce dont j’ai envie dans mon temps de lecture arrêté. 
  • Je laisse traîner des livres commencés partout dans la maison : sur la table à café du salon, dans la salle de bain, dans mon bureau, sur ma table de chevet, dans ma sacoche (je déteste les files d’attente alors je patiente avec une bonne lecture!).
  • Je garde du temps arrêté en classe pour la lecture. J’accorde en classe un minimum de 45 minutes par jour à la lecture. On lit, on discute, on prend des notes personnelles dans nos journaux de lecture, on fait des graffitis littéraires, on consulte des blogues littéraires, on nourrit le nôtre.

Comme le dit si bien Daniel Pennac, le verbe lire ne supporte pas l’impératif. C’est un choix. Et si je le choisis pour moi, les enfants auront un modèle réel de ce que la lecture peut avoir comme impact. Et ils pourront choisir pour eux. 

Allez, bonne baignade!

Livres cités:

Tobie Lolness, Timothée de Fombelle et François Place, Gallimard.

Charbon bleu. Anne Loyer et Gérard Dubois, D’eux

Missié, Christophe Léon et Barroux, D’eux