Un article de Martine Arpin

« Ils n’utilisent pas les outils que je prépare. Pourtant, mes affiches sont vraiment belles. Toutes informatisées. De belles couleurs. Ils ont plusieurs d’outils dans leur dossier et ne les utilisent pas non plus. »

« Ils ne transfèrent pas ce qu’ils ont appris. »

« Je ne vois pas ce que j’enseigne dans leurs textes. »

« Pourquoi ne le font-ils pas ? Pourtant, je leur ai enseigné. Je n’arrête pas de le répéter… »

« J’ai l’impression qu’ils ne travaillent pas vraiment quand ils sont avec leur partenaire. »

« Je ne peux pas me cloner… comment mieux les soutenir ? »

Tous les enseignants sont un jour ou l’autre aux prises avec ces questions, ces constats. Lorsque ça m’arrive, j’essaie toujours de me rappeler un enseignement précieux d’Amanda Hartman : La première question que l’on doit se poser quand les élèves ne font pas ce qu’on pense qu’ils devraient faire, c’est : « Qu’est-ce que MOI je peux faire autrement pour qu’ils le fassent ? »

Dans la perspective où nous avons beaucoup à faire dans une journée, beaucoup à enseigner, et jamais assez de temps pour tout faire, il faut savoir où mettre nos priorités. Choisir ce qui est le plus payant à court terme, à long terme et dans le plus de sphères possible. Que ce soit dans les sports ou en éducation, on dit qu’étudier ce que font les 15 plus performants d’un domaine précis permet de savoir ce qui est le plus important à enseigner. En écriture, les plus performants ont des carnets d’auteurs bien remplis et significatifs, travaillent efficacement avec un partenaire et écrivent en dehors du cours d’écriture, en dehors de l’école. De plus, ils ont un degré d’autonomie élevé, l’enseignant n’est pas leur seul soutien. Cela démontre toute l’importance à accorder dans notre atelier d’écriture au travail avec le partenaire.

En août 2018, lors d’un institut d’été au Teachers College, j’ai travaillé pendant une semaine avec mes collègues Geneviève Hould, Nadia Podhorecki et Yves Nadon. Nous nous sommes plongés avec Mary Ehrenworth dans la révision de textes pour des élèves du 2e et du 3e cycle du primaire et j’en suis ressortie avec plusieurs éléments de réponse à ce qu’un enseignant peut faire pour favoriser la révision efficace en créant des partenariats puissants.

Contexte

Tout d’abord, il faut mettre en contexte le travail de révision et changer la perception qu’ont les élèves de ce travail. Passer de « réviser quand et parce que l’enseignant le dit » à « réviser parce que j’en ai besoin, parce que mon texte en a besoin ».  Il s’agit d’un travail à long terme sur l’auteur, amorcé dans l’atelier d’écriture dès la maternelle. Ensuite, on peut amener les plus grands à passer aussi de « réviser avec les outils qu’on me donne » à « utiliser les outils pour comprendre le travail que je fais et m’approprier ces outils pour qu’ils répondent à un besoin ». Les élèves de cet âge doivent comprendre que réviser, c’est repenser à « l’histoire dans mon histoire ». Se demander : « Qu’est-ce qui est important ? Qu’est-ce que je veux communiquer ? » C’est une étape importante du processus d’écriture, qui devrait se faire en boucle, tout au long de ce processus et non seulement à la fin.

« Ta première ébauche peut être le texte de n’importe qui.

Ton texte doit devenir le tien.

Et pour cela, il faut trouver ensemble tes raisons d’écrire. »

Lucy Calkins

Aux deuxièmes et troisièmes cycles, les élèves arrivent avec un bagage bien différent d’expériences en écriture. De la façon plus traditionnelle et dirigée à l’écriture libre en passant par le journal d’écriture et la philosophie des ateliers, il y a tout un monde ! En début d’année, il s’avère alors intéressant d’appliquer ce qu’on connait des textes sur demande au travail de révision. Demander aux élèves une révision « sur demande » peut nous donner de bons indices sur ce qu’ils savent déjà, sur leurs perceptions face à la révision, sur la différence qu’ils font (ou pas) entre la correction et la révision. Cela nous permet de cibler les besoins de nos élèves et nos interventions. On peut ensuite refaire cet exercice en cours d’année, afin de réévaluer nos objectifs, puis en fin d’année, pour voir les acquis, l’évolution dans les perceptions, les aptitudes et l’autonomie des élèves, mais aussi pour réfléchir sur notre enseignement.

« La correction, n’importe qui peut la faire sur le texte de n’importe qui. La révision n’appartient qu’à l’auteur. C’est lui qui sait ce qu’il veut vraiment partager avec son lecteur. Le message important qu’il veut véhiculer par son texte, l’émotion qu’il veut faire ressentir, devient la base de sa révision. » Eric Hand (traduction libre)

Apprendre à réviser avec un partenaire

La richesse de l’oral

Peu importe l’âge, ce que l’on peut produire comme message à l’oral est souvent plus étoffé que ce qui apparait sur le papier lorsque l’on l’écrit. L’image de ce qu’on veut raconter est plus claire dans notre tête. Quand on écrit, il y a beaucoup de concepts à mobiliser, de choses auxquelles penser, d’automatismes à mettre en place. Tout ne se retrouve pas sur le papier à la première ébauche. Quand on enseigne aux partenaires à utiliser la version orale de leur histoire pour enrichir leur ébauche, on leur permet d’étoffer leurs textes à partir de ce qu’ils racontent naturellement.

Voici un processus que l’on peut enseigner pour travailler à deux :

  1. Les élèves écrivent un début d’ébauche.
  2. Rencontre avec le partenaire : Partenaire 1 raconte son histoire à l’oral, sans regarder son texte. Le partenaire 2 écoute, prend des notes sur une « page de révision »*. Puis, c’est au tour du partenaire 2 de raconter son histoire.
  3. Chacun travaille son texte à nouveau. (Lorsque nous en avons fait l’expérience lors de cet atelier, j’ai vraiment réalisé que le fait de raconter à l’oral m’a permis de voir TOUT ce qu’on dit quand on raconte à l’oral et qu’on n’écrit pas nécessairement à la première ébauche, en plus de mesurer l’apport des notes prises par le partenaire, sa perception, qui peut guider les changements apportés ensuite au texte).
  4. Chacun révise encore. Chacun code sa révision, c’est-à-dire que j’écris ce que j’essaie de faire (mes procédés littéraires, techniques d’auteurs, pourquoi).
  5. Chaque partenaire fait lire son texte à l’autre. Celui qui lit prend des notes pour son partenaire, sur des post-its de révision qu’il appose sur le texte.
  6. On compare nos propres notes avec celles de notre partenaire.
  7. On révise encore le texte.

*La page de révision de chaque élève peut être annotée par le partenaire, mais aussi par l’élève lui-même. Elle devient un outil d’équipe et personnel.

Lorsque l’on enseigne ce processus aux élèves, il faut être assez directif. On veut bien gérer le temps, le sujet de discussion. Quand on enseigne une nouvelle procédure, le support doit être assez élevé pour que les élèves puissent devenir ensuite de plus en plus autonomes tout en faisant le processus correctement par eux-mêmes.

Des outils importants

Avec le partenaire, on peut :

  • Travailler sur le texte modèle de l’enseignante : lire, remarquer, annoter, essayer dans son propre texte, partager ses découvertes avec le partenaire.
  • Travailler sur un texte exemplaire d’élève de l’année précédente.
  • Utiliser la liste de vérification : où puis-je essayer cela dans mon texte ?
  • Étudier un auteur modèle : individuellement, chaque partenaire lit le même texte (ou deux différents). Chacun l’annote individuellement, en essayant de nommer les techniques et buts de l’auteur. Discussion entre partenaires. Ensuite, on se fait un outil et, le lendemain, on travaille sur notre propre texte à partir ce qu’on a noté.
Deux soeurs, D.Foenkinos, Gallimard

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La manipulation, ce n’est pas que pour les mathématiques ! C’est très utile et engageant en écriture. On peut fournir aux élèves des versions à découper des procédés littéraires et des trucs d’auteurs enseignés pour qu’ils puissent se créer des outils personnels de révision.

Quand les élèves connaissent ces outils et l’utilisation qu’ils peuvent en faire, ils sont plus aptes à en faire usage de façon autonome pour réviser. Au fur et à mesure qu’ils vieillissent, on peut aider les élèves à créer leurs propres tableaux d’ancrage, ce qui les aide à passer d’un support accru de l’enseignant à la prise en charge personnelle de ses apprentissages. Les tableaux d’ancrage doivent être assez détaillés, avec des mots et des images, pour aider à se rappeler la stratégie ou l’étape du processus et donner envie de faire le travail.

La discussion

Seulement 15 % de nos élèves ont les habiletés sociales ET académiques pour avoir un « tourne et parle » ou une discussion riche avec un partenaire de façon totalement autonome. On a donc avantage à être assez directif.

On veut enseigner aux élèves à avoir des discussions sophistiquées et signifiantes avec leur partenaire. On peut en faire un enseignement explicite. On soit aussi s’assurer d’amener les élèves à réfléchir sur leur propre équipe de travail : « Échangez sur ce qui va bien dans votre partenariat. Voici une liste de ce qui peut aller bien… »

 

 

 

Lors des mini-leçons, on peut travailler les aptitudes au partenariat ou favoriser les échanges avec les partenaires :

  • Durant la connexion, ils peuvent dire à leur partenaire ce sur quoi ils travaillaient la veille.
  • Durant la partie engagement,  on peut aiguiller les discussions : « Parle à ton partenaire DE… », « Demande à ton partenaire comment il a… », « Regarde dans ton texte et montre à ton partenaire où… »
  • Durant la mise en commun de l’atelier, l’enseignant n’a pas à toujours intervenir. On peut inviter les élèves à échanger avec leur partenaire.

Planification de l’enseignement

Il importe de réfléchir à la façon dont on va intégrer ce travail dans notre module : on ne peut pas juste ajouter et allonger le module, il deviendra trop long et l’engagement des élèves s’en ressentira. On peut substituer une leçon (il y a trois leçons sur…, je vais changer l’une de celles-là pour « devenir un partenaire signifiant »). On peut ajouter une leçon entre deux parties du module. Par exemple, entre la partie 1 et la partie 2 du module, insérer une leçon « Créer et utiliser ses propres outils pour réviser ». Ensuite, durant la partie 2, changer une leçon pour « Les auteurs plongent dans les textes des auteurs modèles pour apprendre d’eux ». On pourrait même décider d’enlever la troisième partie du module (en avisant les enseignants de l’autre niveau) pour pouvoir ajouter une leçon de partenariat dans chaque partie. Il y a certains enseignements qui peuvent devenir des mini-leçons, d’autres des enseignements de mi-atelier ou de mise en commun.

 

Lors de cet atelier intensif sur la révision, j’ai non seulement appris à mieux guider les élèves dans cette étape importante du processus d’écriture et pour le travail avec un partenaire, mais j’ai aussi réalisé qu’il n’y a rien de mieux que d’essayer soi-même le processus qu’on veut enseigner. Cela nous permet de l’intégrer, de comprendre le cheminement et les pensées internes de l’apprenant. Nous avons pratiqué chaque étape de la construction d’un partenariat puissant en écrivant et en révisant avec notre partenaire et en étudiant ensemble des textes modèles. Cela nous a permis de réaliser à quel point la conversation et le travail avec le partenaire ont enrichi l’ébauche de texte tout au long de la semaine. Nous avons construit des tableaux d’ancrage pour nous aider à nous rappeler toutes les étapes du travail à faire ensemble. En nous exerçant et en construisant les outils dont nous avions besoin, et en observant ceux des autres membres du groupe, nous avons pu nous approprier le processus, ce qui permet ensuite de mieux le partager, de l’enseigner et de se le rappeler plus facilement.

Un partenaire efficace fait tout ce dont il est capable pour être positif et aider son coéquipier à garder le focus sur son intention d’écriture et à continuer d’écrire avec ardeur pour devenir un meilleur auteur. Lorsque l’on prend le temps d’enseigner les comportements attendus explicitement, lorsque l’on met en place le contexte favorable dans lequel les élèves réaliseront que le bon partenaire est un outil puissant pour eux, et lorsqu’ils peuvent s’approprier les outils à leur disposition jusqu’à en créer de nouveaux, alors on a toutes les chances que les élèves deviennent de meilleurs partenaires, et ils sont alors des alliés précieux non seulement l’un pour l’autre, mais aussi pour l’enseignant. Et c’est ainsi qu’on peut enfin voir de plus en plus les élèves transférer les apprentissages et utiliser les outils, faire ce qu’on a enseigné de façon plus autonome, travailler vraiment avec leur partenaire et utiliser dans leurs textes les stratégies apprises. Et pour couronner le tout, on évite le problème éthique d’avoir à recourir au clonage pour répondre aux besoins de tous…

*tableaux d'ancrage autres que les miens: Sally Donnelly
*carnet d'auteur: Yves Nadon
*charmantes collègues au travail: Geneviève Hould et Nadia Podhorecki

Pour aller plus loin: