Un article de Martine Arpin
Fin d’étape, fin d’année… Dans mes rêves, je ne passerais pas un temps fou à essayer de chiffrer les progrès que mes petits auteurs (et lecteurs, et mathématiciens, et artistes, …) ont fait cette année.
Plusieurs recherches le prouvent d’ailleurs: Non seulement la notation par pourcentage, par chiffre ou par lettre est inutile, mais elle nuit à l’apprentissage. Cela confronte le système auquel nous sommes habitués…
Il y a deux ans, j’ai eu la chance d’assister à une conférence d’Alfie Kohn, un expert en la matière. Une conférence coup de poing qui en a ébranlé plusieurs. Il nous démontrait, avec enthousiasme et conviction, qu’en plus de n’apporter « aucune information utile à l’apprentissage », la notation détourne des véritables raisons de celui-ci et fait perdre un temps précieux, qui devrait plutôt être consacré à enseigner, apprendre et se pratiquer. Combien de fois dans une année, une semaine, et même une journée, à l’école comme partout, pensons nous: « Je manque de temps! »? En faisant les bons choix pédagogiques, on choisit où il est efficace et bénéfique pour les élèves et pour nous de mettre ce temps si précieux. Et ces choix incluent la place de l’évaluation.
Dans son article From Degrading to De-grading, Alfie Kohn affirme que:
« …l’abolition de la notation ne signifie en aucun cas l’élimination de la collecte des informations à propos des performances des élèves ni leur communication aux parents. Au contraire, la suppression de la notation ouvre la voie à de nouveaux dispositifs d’évaluation qui sont beaucoup plus significatifs et constructifs. »
Il donne comme exemples, parmi d’autres, des commentaires et des productions d’élèves qui démontrent leur développement de la compétence.
Ne pas quantifier le travail peut amener un sentiment d’insécurité et perçu comme une perte de contrôle… Traditionnellement, les enseignants sont si habitués à ce rôle. La fameuse image de « la maîtresse d’école ». Dans notre système d’éducation, nous avons très peu été amenés à développer notre pensée et notre jugement critique et ainsi à se faire confiance lorsque vient le temps de penser aux progrès de nos élèves. Pas évident, alors, de lâcher prise…
Avec l’atelier d’écriture, je sais que j’enseigne de la bonne façon (en tout cas mieux qu’avant!), pour que les élèves apprennent au maximum de ce qu’ils peuvent faire et même au-delà. Je connais mes élèves par coeur. J’ai appris à enseigner mieux autre chose que les stratégies de correction, la grammaire et l’orthographe. J’enseigne explicitement le processus d’écriture et les procédés littéraires qui sont à la base de ce qu’un auteur doit savoir. J’observe des travaux d’élèves à tous les jours (ou presque!), je réussis à rencontrer mes élèves régulièrement, je vois les progrès, les défis, les besoins. Je leur offre une rétroaction précise, positive et régulière qui leur permet de s’améliorer en cours de route, dans tous les aspects de l’écriture. Je connais mes élèves à l’endroit et à l’envers! Les listes de vérification guident mes observations tout au long d’un module consacré à un type de texte en particulier. Deux fois dans un module, on prend un temps d’arrêt. Les élèves choisissent un texte, prennent le temps de relire et réviser en utilisant les tableaux d’ancrage et les listes de vérification pour améliorer leur texte. Puis, ils corrigent. Tout ça se fait parfois seul, parfois avec un partenaire, comme nous le faisons nous-mêmes quand on fait relire un texte à un ami ou un collègue. Et je ne suis jamais bien loin… Je continue d’observer, de rencontrer et de prendre des notes pour savoir où chacun se situe et où je m’en vais avec chaque élève. Chacune doit trouver le système qui lui convient pour consigner efficacement ses observations. Il y a plusieurs modèles.À la fin de l’étape, j’ai tout ce qu’il faut devant moi pour communiquer à l’élève et à ses parents les forces, les réussites, les défis et les besoins, et pour savoir sur quoi portera mon enseignement dans les prochaines semaines, autant en groupe, en sous-groupe et en entretiens individuels.
Alors, en sachant tout cela…quoi faire dans un système où je dois mettre un chiffre au bout du compte?
Je me fais confiance. Je me pose des questions. Où en est cet enfant? Que veut-il dire, ce chiffre? Comment vais-je communiquer de façon authentique ce que j’enseigne de façon authentique? J’utilise des outils que nous avons bâtis en équipe, en observant et en commentant des travaux d’élèves ensemble, pour avoir une compréhension commune de la progression des apprentissages. Et ce chiffre s’accompagne toujours de commentaires précis et détaillés qui découlent de mes observations et qui vont servir l’apprentissage. Il s’accompagne aussi de textes qui parlent d’eux-mêmes, qui montrent ce que fait l’enfant de façon autonome.
Et ça me réconcilie un peu avec l’obligation de chiffrer, en attendant que les choses changent et en espérant que le bout de chemin que je fais dans ma classe, avec mes élèves et leurs parents, contribue un peu à ce changement…
Source: Alfie Kohn, From Degrading to De-Grading, High School Magazine, March 1999.