Un article de Martine Arpin
La semaine dernière, nous terminions notre premier module des ateliers d’écriture. Alors que j’ouvrais mon cahier de planification pour organiser ma semaine, j’ai vu que j’y avais déjà inscrit la date et l’heure de la célébration. Effectivement, lorsque je planifie un module, je planifie aussi la fin de celui-ci. Dans les premiers jours du module, j’annonce cette date aux enfants. En plus de m’aider à ne pas m’égarer en cours de route, et d’étirer le module en ajoutant, morcelant et reprenant trop de leçons, cela nous permet tous de se centrer sur l’objectif premier de l’acte d’écrire: être lu!
Ce focus sur l’objectif permet aux élèves de mieux comprendre l’importance de toutes les stratégies, techniques et conventions enseignées. Il permet aussi un engagement réel des élèves, à long terme, puisqu’il crée un changement de perception chez l’enfant : il ne fait pas les choses parce que l’enseignant l’a demandé, ou pour lui faire plaisir, ou parce que c’est la consigne. Il le fera parce que son texte en a besoin, pour que l’histoire ou l’information ou l’opinion qu’il veut partager soit intéressante pour le lecteur, parce qu’il veut que son texte soit le meilleur possible pour que le monde entier puisse accéder à ce qu’il a à raconter.
Pour moi, la première célébration de l’année doit absolument refléter cette façon de penser, cet état d’esprit dans lequel je veux plonger les élèves. Au-delà de la fête, la célébration devient donc surtout un moment de réflexion sur le travail accompli et sur celui qui reste à faire, autant pour moi que pour les élèves. Philippe Pollet-Villard l’exprime bien: « Ce n’est pas la destination qui compte, mais le chemin parcouru, et les détours surtout.»1
Et cela se prépare bien avant le jour de la célébration, pas seulement en allant acheter des ballons, de belles nappes, des guirlandes, du jus pétillant et des gâteaux.
Dans la classe, lorsqu’on arrive à la moitié du module, on commence à compter les jours avant la célébration. Cela crée un sentiment « d’urgence » qui est parfois nécessaire pour redonner un peu d’énergie au travail.

La semaine avant la célébration, on prend du temps pour choisir le texte à publier et le réviser plus en profondeur. C’est le moment où les élèves comprennent que publier un texte, ce n’est pas que le mettre au « propre » et le rendre plus beau. C’est un bon moment pour revoir les stratégies de révision, les procédés littéraires enseignés, et les techniques de correction.
Le choix du texte est important. Il faut enseigner aux élèves à choisir le « bon » texte à publier. Ils ne choisiront pas toujours celui que nous aurions choisi, mais ce sont eux les auteurs, alors ce choix leur appartient. Nous pouvons par contre les guider à faire le meilleur choix. En utilisant des termes spécifiques, nous pouvons diriger leur sélection. Lorsque nous disons aux élèves : « Prenez votre meilleur texte, celui qui démontre tout ce que vous savez maintenant faire comme auteur, et nous allons le travailler encore pour qu’il devienne encore meilleur! », cela sous-entend que son travail est déjà bon. Qu’il vaut la peine qu’on y accorde encore de l’attention. C’est une façon puissante de rendre la révision et la correction contextualisées, nécessaires et positives.
Une image que j’aime utiliser avec les enfants est celle de la préparation d’un gâteau. C’est ainsi que j’amorce le dernier sprint avant la célébration, et ça peut ressembler à ceci:
Quand on veut préparer un gâteau, on doit d’abord choisir celui qu’on veut faire (vous avez commencé par trouver des idées pour votre texte, c’est fait!).
Ensuite, on prépare nos ingrédients, on sort ce dont on a besoin, on se prépare (vous avez planifié ce texte avant de l’écrire, c’est fait!)
Puis, on mélange nos ingrédients (vous avez choisi des stratégies à utiliser, des procédés littéraires, et les avez mis ensemble pour écrire votre texte, fait!) et on s’assure que nous n’avons rien oublié. Est-ce que vous aimez goûter pendant que vous cuisinez? C’est important, n’est-ce pas? Quand on goûte un mélange à gâteau, on peut trouver que c’est trop sucré, ou pas assez, qu’il y a trop de pépites de chocolats, ou pas assez. En relisant la recette, on peut réaliser qu’on a oublié la poudre à pâte, et que même si elle ne goûte rien, elle est importante pour faire « lever » le gâteau… C’est la même chose avec les textes. Regardez les tableaux d’ancrage: Est-ce qu’il y a une stratégie que vous n’avez pas utilisée, ou pas assez, et qui pourrait rendre votre texte plus vivant? Est-ce qu’il y a une stratégie que vous utilisez trop? (dans ma classe, en 2e année, il s’agit souvent des dialogues!!!). Est-ce qu’il y en a une qui ne parait pas beaucoup, mais qui peut faire toute la différence, comme la poudre à pâte (peut-être montrer au lieu de dire, qui est plus subtil dans les texte)? Est-ce que les phrases se lisent bien et que mon texte est clair? Est-ce que ma ponctuation dit au lecteur exactement comment ce texte doit être lu? Cela peut amorcer la période de révision finale, mais amène quand même l’idée que la révision, idéalement, se fait tout au long de l’écriture (comme on goûte pendant qu’on fait une recette de gâteau, pas seulement à la fin).
Puis, on met son gâteau au four. C’est le moment où les règles de cuisson sont importantes. Si je peux jouer avec les ingrédients selon mes goûts, je ne joue pas avec les degrés et le temps de cuisson (les règles et conventions). Cela peut dépendre de mon four (mon niveau, mon âge), mais la base reste la même. C’est le moment de la correction. On vérifie les mots du mur, les mots appris, que tous les mots sont présents, les majuscules…

Ici, il peut être intéressant de mettre le partenaire à contribution. Plus les élèves sont jeunes, plus ils sont centrés sur ce qu’ils ont voulu écrire et non sur ce qui est réellement écrit (mais c’est aussi vrai pour les grands… et même pour les adultes!). Le partenaire peut aider à voir ce que l’auteur ne voit pas dans son propre texte, autant pour la révision que pour la correction.








Ensuite, on sort le gâteau et il est prêt à déguster.
Il est prêt. Terminé.
Pas besoin de plus.
Si on est gourmand, on le laisse refroidir un peu, on le coupe, on le mange, et c’est encore mieux si on peut le partager.
MAIS.
On peut aussi choisir de mettre du crémage. De la crème fouettée. Du coulis au chocolat…
Ce n’est pas nécessaire, mais ça donne un petit quelque chose de plus.
Dans ma classe, le crémage, ce sont tous les petits extras qu’on peut ajouter pour rendre notre texte plus invitant : la page couverture colorée, les illustrations colorées et détaillées, une dédicace, une maison d’édition (mes élèves ont voté pour Éditions 204!), la quatrième de couverture, les pages de garde. Et surtout, parfois, décider de réécrire une page, ou un texte entier, pour que ce soit plus lisible pour le lecteur. Et dans ce cas, on se fait un point d’honneur de ne pas cacher entièrement la page originale. En ce moment, c’est encore un choix parmi d’autres, et ça ne veut pas dire qu’on ne le fera jamais de façon plus formelle dans l’année. Certains choisiront même de le faire à un autre moment, par souci artistique. Mais pour le moment, on mise sur le travail accompli, alors on ne veut pas le faire disparaitre. On choisit une page sur laquelle on a travaillé tellement fort qu’elle peut être difficile à lire pour le lecteur (encore là, la façon de le présenter est importante), et on place un rabat qui permettra à tout le monde de voir, sous la page copiée, tout le travail accompli.









L’important, c’est que même dans ce dernier sprint, les options restent un choix pour les élèves. Lorsqu’on leur enseigne, même petits, la raison d’être des choses, quand on relativise l’importance réelle de chaque partie du processus, ils apprennent ainsi à faire de meilleurs choix, des choix intentionnels.


Alors vendredi dernier, jour de célébration, nous avons choisi de mettre nos vêtements préférés. J’ai quand même décoré la classe un peu, après tout, c’est une fête (mais parfois, je ne le fais pas du tout). J’ai affiché la banderole de célébration créée par ma collègue Sara-Emily pour les élèves. J’ai placé les nappes colorées.

J’ai installé devant chaque élève leur premier texte de l’année, écrit les 2e et 3e jours d’école, et leur texte publié, vingt-neuf jours plus tard. Vingt-neuf jours, quand on y pense, c’est vraiment peu dans une année scolaire, et dans une vie d’auteur. Mais la différence entre ces textes est énorme! Le chemin parcouru n’est pas le même pour tout le monde, mais le point commun est que chacun a grandi beaucoup!



Nous avons repris l’image du gâteau pour faire des liens avec le processus d’écriture. Nous avons revu les tableaux d’ancrage pour se rappeler de tout ce que nous avons appris jusqu’à présent. Chacun a noté ce qu’il fait maintenant qu’il ne faisait pas en début d’année. La liste est longue! Ce constat rend concrète la notion de « grandir en tant qu’auteur ».


Puis, les élèves ont pu circuler pour lire les textes des autres. La moitié de la classe d’abord a joué le rôle de l’auteur, les autres ceux de lecteurs, puis ils ont échangé les rôles, et nous avons levé nos verres à notre santé!



Il n’y avait pas de gâteaux, ni cinquante invités, ni des ballons.
Les gâteaux, c’étaient nos textes, contenant tout le travail accompli depuis la rentrée. Certains avec beaucoup de glaçage, d’autres moins, mais tous prêts à partager avec la communauté d’auteurs que nous devenons.
Et la cerise sur le gâteau, c’était de voir la fierté de chacun et de savourer le bonheur d’être ensemble.



- Tiré du module en cours d’adaptation: Écrire pour présenter ce qui nous tient à coeur, Chenelière (2020). Philippe Pollet-Villard, Mondial Nomade, 2011, Flammarion.