Un entrevue réalisée par Amélie Beaudoin, conseillère pédagogique de français au primaire, grâce à la collaboration de Mélissa Giard, orthopédagogue aux écoles Bruyère (1er cycle) et St-Charles (2e et 3e cycles), Centre de services scolaire des Chênes à Drummondville

Quel est le code de correction utilisé par les élèves en classe?

Est-il le même dans toutes les classes?

L’utilisation du code de correction a-t-elle un impact significatif sur les résultats des élèves?

Votre outil est-il conforme à la grammaire actuelle? Vous semble-t-il significatif pour les élèves?

De quelle façon est-il utilisé par les élèves? Et par les enseignants?

Devant l’hétérogénéité des réponses obtenues par l’ensemble du personnel enseignant à certaines des nombreuses questions soulevées à propos du code de correction, une équipe-école a décidé d’en faire une priorité d’action.  C’est ainsi qu’un important chantier de travail s’est amorcé à l’hiver 2023.  À la demande du milieu, j’ai eu la chance de participer à toutes les étapes de ce processus réflexif. Témoin privilégiée des discussions et du travail collaboratif de l’ensemble de l’équipe, il m’apparaissait plus qu’intéressant de partager la démarche ayant mené à l’élaboration d’un nouvel outil raisonné, évolutif selon les apprentissages des élèves et dorénavant arrimé d’un niveau à l’autre. Peut-être que ce récit de pratique pourra soutenir les réflexions d’autres milieux qui souhaiteraient s’en inspirer pour amorcer un chantier en ce sens dans leur école.

Je partage ici une entrevue réalisée auprès de Mélissa Giard, orthopédagogue de l’école, afin de vous témoigner des grandes lignes du travail et des réflexions qui ont mené bien plus loin qu’à l’aboutissement d’un outil, mais plutôt à la représentation commune de l’enseignement qui le supporte.

A : Mélissa, quels étaient les principaux irritants du code de correction que vous utilisiez à votre école?

M : D’entrée de jeu, j’aimerais préciser que nous parlons maintenant de la démarche de correction des élèves et non du code de correction, ce dernier étant plutôt le code utilisé par le personnel enseignant pour identifier les types d’erreurs dans les textes des élèves.  Cela étant dit, il faut savoir que dès nos premières discussions sur le sujet, nous avons réalisé que notre outil ne nous convenait plus.  Les enseignants ayant dernièrement participé à des formations en grammaire ont constaté que le contenu de la démarche de correction était plus ou moins conforme à la grammaire actuelle et ne correspondait plus à leurs pratiques en classe ni au métalangage utilisé.  De plus, nous avons vite constaté que chaque classe proposait une démarche différente, chaque enseignant l’ayant adapté à sa façon.  Pour nous, il était important d’avoir une meilleure cohérence d’un niveau à l’autre pour éviter que les élèves ne doivent s’approprier une nouvelle démarche chaque année.  Nous étions convaincus que les élèves n’avaient pas les conditions gagnantes pour automatiser la démarche de correction si cette dernière changeait chaque année.  Il nous semblait donc nécessaire de nous y attarder afin de faire les modifications nécessaires. 

A:  Votre intention de départ n’était donc pas de créer un outil totalement nouveau, mais plutôt d’améliorer celui que vous aviez déjà.  Pourtant, ce n’est finalement pas ce qui s’est produit.  Vous vous retrouvez aujourd’hui avec un outil totalement renouvelé qui vous a demandé beaucoup plus de travail que prévu.  Pourquoi?

M : Une réflexion menant à une autre, l’outil initial ne convenait plus à ce que nous souhaitions offrir à nos élèves.  De fil en aiguille, nous avons donc complètement repensé la démarche de correction et son contenu afin qu’elle corresponde exactement aux caractéristiques que nous souhaitions attribuer à notre nouvel outil.

A : Nous reparlerons des caractéristiques de votre outil, mais avant, j’aimerais qu’on parle de l’ensemble de vos travaux et des personnes qui y ont travaillé.  Vous faites partie d’une très grande école où l’on retrouve plus de vingt classes sans compter le préscolaire. Comment avez-vous procédé pour parvenir à impliquer tout le monde?

M : Nous avons un comité d’innovation pédagogique (CIP) auquel siègent une enseignante du préscolaire, un enseignant de chacun des cycles du primaire, la direction, la direction adjointe et les deux orthopédagogues de l’école.  Ce comité a notamment le mandat de réfléchir aux pratiques innovantes, aux outils et aux moyens d’enseignement, le tout selon des besoins exprimés par l’ensemble de l’équipe.  C’est donc ce comité qui a entrepris ce chantier avec des allers-retours constants auprès des autres membres de l’équipe pour témoigner de l’avancée des travaux, recueillir des commentaires et tenir compte de certaines suggestions pertinentes afin d’en arriver à un outil qui fasse consensus.

A: Est-ce que d’autres personnes ont été impliquées dans votre chantier de travail?

M : Bien sûr! Nous souhaitions avoir l’accompagnement d’une conseillère pédagogique (CP) afin de nous soutenir dans nos réflexions.  C’est la raison pour laquelle nous avons fait appel à toi dès le début.  Nous avons aussi reçu le soutien de deux autres conseillères pédagogiques : Carolyne Labonté, CP en français au secondaire et Karine St-Georges, CP en intégration du numérique.  Carolyne nous a apporté certaines clarifications que nous souhaitions avoir pour nous assurer d’un bon arrimage avec le secondaire et Karine, quant à elle, a été d’une aide précieuse pour concevoir le produit final à l’aide de Canva.

A: Parle-moi des grandes étapes de vos travaux.  Quelles ont-elles été?

M : Notre travail s’est amorcé à l’hiver 2023 et s’est poursuivi à l’automne de la même année.  Le comité CIP tient des rencontres chaque mois.  Celles de février à juin ont été presque entièrement dédiées à la démarche de correction.  Les deux orthopédagogues et une enseignante de 6e année ont aussi assisté à une formation sur le « code de correction » pour nourrir nos réflexions.  Voici les grandes lignes de notre travail à partir des questions auxquelles nous avons réfléchi.

  1. Quel est le but de notre outil?

Nous voulions vraiment soutenir les élèves dans la correction de leurs textes.  En discutant, nous avons réalisé qu’il était nécessaire de mieux distinguer la révision et la correction d’un texte dans le processus d’écriture.  Les clarifications que tu nous as proposées à partir du Référentiel d’intervention en écriture[1] ont été très utiles.  La correction touche vraiment le critère d’évaluation relatif à l’orthographe d’usage et à l’orthographe grammaticale.  Nous avons fait le choix d’inclure également le critère concernant la syntaxe et la ponctuation à notre outil.Pour ce qui est de la révision des textes, l’utilisation de listes de vérification propres au type de texte travaillé est encouragée

2. Quel est le contenu que l’on veut y retrouver?

Pour répondre à cette question, nous avons dû valider plusieurs informations dans la Progression des apprentissages[1].  Nous avons réalisé que nos attentes n’étaient pas toujours en cohérence avec celle-ci et qu’il manquait certains éléments à notre outil, notamment certains contenus « fléchés » de la PDA.  

Par exemple, si un élève de 2e année doit apprendre à accorder l’adjectif qui suit le verbe être avec le nom ou le pronom dont il dépend, cet élément doit apparaître dans sa démarche de correction si on souhaite qu’il s’exerce à le faire, et ce, même si ce n’est pas une attente finale de son niveau.  Cependant, chaque enseignant doit alors bien distinguer ce que l’élève apprend à faire (et pour lequel on ne le pénalisera pas au moment de générer une note) de ce que l’élève doit faire et qui relève des attentes de son niveau.  Pour déterminer le contenu selon chaque niveau scolaire, nous avons travaillé à rebours, c’est-à-dire de la 6e année à la 1re année. 

De plus, nous avions le souhait que le métalangage soit bien arrimé d’un niveau à l’autre tout en respectant la Progression des apprentissages2.  C’était important pour nous que l’outil soit évolutif. Voici un exemple:

3. Y a-t-il un ordre à prioriser quand on corrige son texte?  Par quoi l’élève devrait-il commencer?

En partageant nos propres façons de faire, nous avons constaté que nous ne procédions pas tous de la même façon comme adulte.  Avec le souci d’une démarche de correction authentique, nos réflexions nous ont amenés à créer un outil où les étapes sont interchangeables selon les besoins, les forces ou les vulnérabilités de chaque élève.  

4. Quelles traces allons-nous demander aux élèves?

Entre les différentes couleurs utilisées, les crochets, les parenthèses, les flèches et j’en passe, nous souhaitions en arriver à quelque chose de commun pour éviter que nos élèves ne doivent s’approprier une nouvelle démarche chaque année.  Nous voulions aussi quelque chose d’efficace et facile d’utilisation.  Nos discussions nous ont vite fait réaliser que tous les élèves n’ont pas besoin de laisser les mêmes traces, certaines étapes étant mieux maîtrisées que d’autres.

5. Quelle est la forme que nous souhaitons donner à notre outil?

Après maintes discussions, nous avons décidé de créer des signets de correction qui sont assemblés à l’aide d’une attache parisienne.  Les signets présentent de nombreux avantages pour nous :

  • Ils sont interchangeables.  On peut donc modifier l’ordre des étapes au besoin.
  • Ils sont facilement retirables.  On peut enlever certaines étapes pour des élèves qui n’en auraient pas besoin.
  • Ils permettent d’ajouter des éléments uniquement au moment où l’enseignement a été fait.  Par exemple, l’enseignant de 5eannée ajoutera le signet de l’accord du participe passé avec être uniquement au moment où il en fera l’enseignement auprès de ses élèves.  D’ailleurs, chaque enseignant commence l’année avec les signets de l’année précédente.  Les nouveaux signets sont ajoutés au fur et à mesure que les apprentissages se font en classe.
  • Les signets nous permettent d’avoir un recto « allégé » et des informations supplémentaires au verso pour ceux qui en ont besoin.  Ainsi, si le recto indique de vérifier les accords dans le groupe du nom, mais que l’élève ne se souvient plus des manipulations syntaxiques à utiliser pour bien repérer les classes de mots touchées par ces accords, il peut regarder au verso et avoir des indications supplémentaires pour le faire.  Voici un exemple d’un signet de 4e année : 

6. Quels seront les visuels sur chaque signet et quels exemples allons-nous y mettre? 

Il ne faisait aucun doute que les visuels devaient être en parfaite cohérence avec ceux utilisés en classe.  Nous avions déjà un arrimage dans l’école pour les visuels des manipulations syntaxiques.  Pour les autres visuels (par exemple, les outils de l’élève pour chercher l’orthographe de certains mots) nous avons travaillé en étroite collaboration avec tous les enseignants.

Finalement, ce qui nous apparaissait une étape courte et facile a apporté son lot de préoccupations. Un travail de fond a été réalisé pour choisir les phrases données en exemples. Nous voulions nous assurer d’exposer les élèves à une variété de :

  • Sujets (pronom, GN avec ou sans expansion, etc.)
  • Verbes (dans le choix du verbe et dans les temps proposés)
  • Déterminants
  • Etc.

A : Je sais qu’après tout ce beau travail, vous ne vous êtes pas arrêtés là.  Il manquait quelque chose d’essentiel à votre démarche, peux-tu m’en dire plus ?

M : Effectivement!  Nous étions très fiers de notre tout nouvel outil, mais nous étions aussi pleinement conscients que le meilleur outil du monde ne garantit pas un meilleur apprentissage des élèves.  Pour faire une réelle différence, il fallait aussi nous attarder aux conditions gagnantes à l’implantation de l’outil en classe.   De plus, sachant que le roulement de personnel est constant, nous souhaitions laisser des traces écrites des réflexions à ce sujet.  Nous avons donc dressé une liste de conditions gagnantes qui ont été présentées à l’ensemble des enseignants.  Un aide-mémoire (cliquer sur le lien) est aussi remis à chaque nouvel enseignant de l’école à cet effet.

A : Quelles sont les prochaines étapes pour votre équipe ?

M : Nous avons déjà plusieurs idées pour poursuivre ce chantier de travail.  D’abord, il est évident que nous devrons évaluer l’efficacité de notre outil.  Est-ce que les élèves le comprennent bien? Sont-ils capables de l’utiliser efficacement?  Quelles modifications devons-nous y apporter?  Ce sont certes des questions que nous devrons nous poser au cours de cette première année d’utilisation.   

Nous souhaitons également arrimer le code de correction des enseignants à la démarche des élèves pour qu’ils comprennent mieux les annotations laissées par les enseignants.  Puis, nous voulons réfléchir à l’utilisation de la démarche de correction pour nos élèves qui utilisent des outils technologiques : comment rendre la démarche plus accessible et facile d’utilisation?  

Bref, nous avons encore plusieurs éléments sur lesquels nous pencher, n’est-ce pas? 😊

A: Effectivement, vous avez de nombreux projets particulièrement intéressants sur votre table de travail!  Je pense aussi qu’il sera inévitable de poser un regard critique et constructif sur vos pratiques d’enseignement de l’orthographe.  Tu le disais plus tôt dans l’entrevue : ce n’est principalement pas l’outil qui fait la différence et je suis bien d’accord avec toi.  Il faut aussi se questionner sur nos pratiques pour faciliter l’apprentissage des élèves. 

Merci beaucoup Mélissa pour ce précieux partage.  Quel bel exemple de collaboration! Je suis certaine que votre travail saura inspirer d’autres équipes.

Note : Les propos échangés lors de cette entrevue ont été reformulés pour faciliter la lecture de cet article, et ce, avec l’accord de Mélissa Giard.  

Note: Les étiquettes de manipulations syntaxiques utilisées dans les signets de correction proviennent de la formation La grammaire actuelle: mieux la comprendre pour mieux l’enseigner de Marie-Neige Senécal, orthopédagogue, consultante et formatrice en éducation à Expertises Éducatives Neige Sen (neigesen.com)


[1] MÉES (2017). Référentiel d’intervention en écriture, Gouvernement du Québec.

http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/education/adaptation-scolaire-services-comp/Referentiel-Ecriture.pdf ​

[2] MÉES (2009). Progressions des apprentissages au primaire, Gouvernement du Québec.

 http://www1.education.gouv.qc.ca/progressionPrimaire/index.asp