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Un article de Isabelle Robert

Entendez-vous le tic-tac, tic-tac, tic tac qui file à toute allure pendant l’atelier d’écriture? La gestion du temps est omniprésente quand on cherche à être efficace. Et ce, du début…jusqu’à la fin.

10:10 Les élèves sont à la récré. Je ne surveille pas. Joie! J’ai quelques minutes pour me préparer. L’atelier d’écriture est au retour de la récré. Je place mon grand tableau d’ancrage. J’ai mes papillons autocollants sous la main et mon nouveau petit tableau d’ancrage avec le titre. J’ai mon matériel pour mes entretiens. Je regarde si j’ai suffisamment de papier pour écrire. Je relis ma leçon. J’ai pensé à ma petite histoire pour ma connexion. Les élèves adorent quand je parle de moi ou quand je fais référence à mes enfants. Parfois, ce sont de vraies histoires, parfois ce sont des histoires inventées pour servir…Une chance que mes enfants ne sont pas à mon école… Donc, je relis ma leçon, le point d’enseignement est le coeur de ma leçon. Je l’ai en tête. Ok, je me sens prête.

10:18 La cloche sonne. C’est la fin de la récré. L’adrénaline commence à monter. Je descends deux étages pour aller accueillir mes élèves. Le rang était correct. Yé!  Amélie pleure. Elle s’est fait bousculer accidentellement en prenant son rang. Je la console… On monte. Les élèves entrent en classe, s’installent au coin rassemblement. Julien tarde à venir nous rejoindre (les lacets…pas facile encore!). Julien arrive. Clara doit se moucher…

10:24 L’atelier d’écriture commence. L’enthousiasme est au rendez-vous. J’ai toujours hâte à ce moment. Les élèves aussi attendent ce moment et se demandent ce qu’ils apprendront aujourd’hui. Ils connaissent la structure de la leçon. Il savent que je vais enseigner quelque chose que les auteurs font. Mon histoire aujourd’hui est un peu inventée mais je suis vraiment bonne pour la rendre « réelle ». On peut dire que c’est une fiction réaliste! Comme dans l’unité que j’enseigne! Après ma petite histoire, je fais un lien avec notre travail d’hier et j’enfile mon point d’enseignement.

10:28 C’est avec une modélisation que j’enseigne aujourd’hui. Je réfléchis à voix haute. Je demande la participation des élèves pour quelques secondes, ils me suggèrent des idées…Tout se déroule bien…Les élèves sont attentifs. Je sais que ce temps, où chacun est à son meilleur pour l’écoute ne dure pas longtemps. Je sais reconnaitre ces moments. Même en action, mon cerveau voit ces choses. Et soudain le petit BIP… Un message à l’intercom interrompt ma leçon. Ceux qui me connaissent savent que je DÉTESTE les messages à l’intercom. La maman d’Agathe vient d’apporter la boîte à lunch de sa fille au secréteriat. C’est évident que la secrétaire stagiaire n’a aucune idée de ce qui se passe dans ma classe en ce moment…Je dis à l’élève qu’elle pourra la récupérer après l’atelier d’écriture. Je continue, j’essaie de me concentrer…où en étais-je? Ok! Je reprends. Je poursuis ma réflexion à voix haute et j’en profite pour résumer ce qui avait été réfléchi à voix haute avant ce dérangement. Tout en parlant, je replace Paul qui est tourné maintenant vers l’arrière, j’interpelle Victor dans une phrase pour ramener son attention à moi et je fais la même chose avec Sandrine. Je poursuis, j’ai l’impression d’avoir repris le contrôle.

10:35 C’est le temps de faire participer les élèves. Ils réfléchissent comme je l’ai fait dans mon enseignement et ensuite ils partagent leurs idées avec leur partenaire. J’en profite pour aller vers des élèves qui ont décroché pendant mon enseignement (surtout après le BIP!). J’accompagne certains dans leur réflexion, j’entends des échanges qui répondent exactement à mes attentes. J’aime l’ambiance qui règne. Je me rends compte aussi de ces moments où mes élèves s’impliquent, s’engagent. Ils m’étonnent toujours! Si jeunes et tellement capables de converser sérieusement avec un ami sur ce qu’ils font, sur comment ils s’y prennent, sur leurs stratégies! Bon, il faut revenir en groupe… Rapidement, ils cessent d’échanger, ils se tournent et l’attention est maintenant sur moi. Il reste Léa qui continuait sa phrase et qui est maintenant tournée et à l’écoute. Il me manque Paul…Un petit signe à Paul de se tourner vers moi. Il comprend. Voilà! Je nomme les points importants que j’ai entendus des élèves tout en revenant sur mon point d’enseignement.

10:39 Je dois faire le lien. Ce qu’on vient de pratiquer, c’est ce que je souhaite que mes élèves fassent de façon autonome. Je présente mon petit tableau d’ancrage. J’installe , un à un, les papillons autocollants que j’avais préparés. Ce sont des points qui sont ressortis lors de ma modélisation ou lors des échanges entre les partenaires. Et je fais le dernier devant eux que j’installe à son tour tout en répétant mon point d’enseignement. Ces papillons autocollants attirent toujours l’oeil des élèves. Ils savent que c’est important. Ils savent qu’ils vont devoir s’y référer seuls. Ces petites notes résument tout ce qui est important. Ce qu’ils doivent se souvenir, aujourd’hui et les autres jours. Paul est maintenant à genoux…Mathieu aussi… Ils savent que je vais les envoyer travailler et de toute façon, ils ne peuvent rester assis plus longtemps! L’enthousiasme s’empare de la classe lorsque je dis: « Au travail, les auteurs! ».

10:42 Je regarde l’heure et j’évalue ma gestion du temps! Sans le dérangement j’aurais été dans le temps! Je déteste l’intercom…Mais pas le temps de penser à ça car je dois soutenir Paul et Kevin qui, on dirait, avaient quelque chose d’important à se dire en chemin. J’accompagne Paul et je l’aide à s’installer pendant que je jette un coup d’oeil au reste de la classe. J’interpelle Victor qui comprend le langage des yeux. Il s’installe. La classe est maintenant au travail. Je vois des yeux qui relisent les textes, je vois des crayons qui écrivent… Je vois aussi Adèle qui me regarde et qui me dit avec ses yeux « Viens m’aider… » Adèle a des besoins particuliers. Elle a besoin de soutien, tout le temps. Pour toutes les étapes du processus. Sois qu’elle attende mon aide ou qu’elle écrive toute une période quelque chose d’incompréhensible, et dont elle ne peut même pas me parler… Elle a besoin de moi, pas à pas. Je la connais bien et c’est ce que j’essaie de lui donner. Je fais du mieux que je peux… Un petit morceau à la fois. Elle publiera un livre comme les autres quand ce sera le temps. Elle sera fière d’elle. Et moi, je serai heureuse de la voir ainsi. Mais, il m’arrive de ne pas la soutenir comme j’aimerais… Je commence donc avec Adèle.

10:45 Je fais le tour rapidement de la classe et je jette un coup d’oeil sur un peu tout le monde. Je vais voir mon cahier d’entretiens et je commence avec Victoria. En regardant sa reliure d’écriture hier après l’école, j’ai vu qu’un enseignement au niveau de la voix narrative est nécessaire. J’ai donc avec moi, un texte d’opinion et mon texte modèle de la leçon d’hier. C’est une enquête que nous faisons. Et une pratique dans son texte, tout de suite. J’ai du papier sous la main pour « ajuster » sa voix dans son texte.

11:50 Je fais le tour de la classe et discrètement je fais signe (une petite tape sur l’épaule) à quatre élèves de venir me rejoindre avec leur reliure et un stylo au coin rassemblement. Je veux faire un enseignement en petit groupe sur la planification. Pendant qu’ils s’installent, j’ai le temps d’aller voir Adèle et je la dirige vers ce qu’elle doit faire maintenant. Victor est dans la lune… Je l’interpelle discrètement et …comme il connait le langage des yeux… il se remet au travail. De son coté, Paul, qui voit toujours tout, a vu mon intervention et comprend la même chose quand nos yeux se croisent. En me dirigeant vers le coin rassemblement, je jette un coup d’oeil sur le travail de mes élèves plus autonomes. Discrètement, je fais un pouce en l’air pour les encourager à continuer. C’est fou comme des élèves arrivent à mettre en pratique tout ce qu’on enseigne. Tout de suite! Tout en utilisant toutes les stratégies déjà enseignées dans les leçons précédentes.

10:52 Je commence mon enseignement à mon petit groupe. J’ai des feuillets de 5 pages pour tous. Je félicite les élèves d’avoir autant d’idées pour écrire. Ensuite, je nomme la difficulté que j’ai vue dans leur texte et j’annonce qu’on va pratiquer à organiser les idées sur 5 pages. Je modélise donc les étapes: Je pense… Je dis en touchant les pages et je fais les croquis (de la planification). C’est ensuite à leur tour d’essayer. Ils pensent (seuls) , ils disent en touchant les pages (deux par deux), ils commencent à faire les croquis…Je jette un coup d’oeil à la classe et je vois Victor dans la lune… Je dirige mon petit groupe. Deux élèves ont besoin de plus de support, les deux autres semblent être sur la bonne voie. Je les regarde en action 2-3 minutes, je supporte… Je donne une rétroaction rapide aux deux derniers en leur disant que lorsque les auteurs sont à l’étape de la planification, ils étirent les histoires de cette façon et je leur donne un papillon autocollant pour les guider la prochaine fois. J’offre plus de soutien aux deux autres mais j’en profite pour interpeller Victor qui se remet au travail.

10:58 Mes deux élèves restent au coin rassemblement pour continuer leur travail. Je diminue peu à peu mon support et je les laisse travailler seuls un instant pour aller replacer la chaise de Paul qui se trouve à un mètre de sa table. Bon, ce genre de détail m’agace. Il est productif malgré tout. Je regarde l’ensemble de la classe. Je m’approche d’une table qui semble moins concentrée. Je vais voir, ils sentent ma présence… Je porte attention à leur travail d’auteur. La concentration est de retour. Je vais faire un tour chez Adèle. Je reviens au tapis. Je regarde leur travail et je leur donne un peu de rétroaction. Je les laisse terminer et j’en profite pour continuer de faire un tour rapide de la classe. Je cherche un ou une élève à citer pour mon enseignement de milieu de session. Ce sera Marguerite! Elle vient d’utiliser une stratégie qui peut être utile aux autres. J’ai de la chance… Parfois je ne trouve pas ce que j’aimerais… Je fais un arrêt rapide à Magalie en pointant son défi. Tout en écrivant, l’auteur(e) écrit correctement les mots appris et les mots du mur. Magalie sait le faire mais néglige parfois. Cette petite écrit avec tant d’aisance!

11:00 J’ai mon cahier d’entretiens entre les mains mais je retourne au tapis. Je regarde où ils en sont et je donne une rétroaction. Je considère qu’ils peuvent terminer à leur place et j’en profite pour leur remettre leur papillon autocollant qui résume ce qu’ils ont fait aujourd’hui. Je sais que je devrai les accompagner encore dans la planification. Dans deux jours.

11:02 C’est vers Annabelle que je me dirige. Annabelle ne met pas assez d’importance sur le coeur de son histoire, le problème. Elle met en contexte le lecteur sur trois pages et se garde deux pages pour le problème, la solution et la fin. C’est avec un livre modèle que je lui démontre à quel point l’auteur met de l’importance sur le problème dans un livre. Elle le comprend vite et décide d’ajouter des pages pour cette partie de l’histoire. Je lui donne un papillon autocollant de ce qu’elle vient de comprendre parce que je veux qu’elle y pense pour ses prochains livres aussi.

11:06 Je vais voir Adèle que j’avais presque oubliée. Je lui donne deux nouvelles directives. Oui deux! Je la sens capable de se prendre en charge pour deux consignes. Je lui laisse une note.

11:08 Je pense à mon enseignement de milieu de session. Hum… Il est un peu tard…Je demande quand même l’attention des élèves une minute. Je me promets d’être brève car j’estime qu’il nous reste un peu moins de dix minutes avant le partage. Je mets en valeur une stratégie de Marguerite. Si je n’avais pas trouvé, j’aurais suggéré… Mais les élèves sont toujours plus interpelés quand ça vient d’un des leurs. Parfois, je me permets de sauter cet enseignement aussi. Mais quand je le fais…je ressens une petite satisfaction.

11:11 Je place la chaise de Paul. Je vais voir Victor qui n’est pas très productif aujourd’hui. Je décide de faire un entretien à son voisin Nicolas. J’en profite pour toucher le texte de Victor avec mon doigt quand je vois du coin de l’oeil que son attention est ailleurs. Je le fais plusieurs fois durant mon entretien avec Nicolas. Ce dernier n’y voit presque rien. Victor écrit…Nicolas pratique ce que je lui enseigne… Je lui donne un papillon autocollant que je complète avec lui. Je fais un pouce en l’air à Victor qui a écrit quatre lignes pendant que j’étais avec Nicolas. Il me sourit. Il est content de lui. Ses bonnes journées d’écriture sont de plus en plus fréquentes. Demain il pourra se reprendre…

11:16 C’est le temps du partage. C’est le début du texte d’Annabelle que j’ai prévu de montrer. Elle décrit le contexte avec tant de détails au début. En plus, elle a décidé d’enlever des détails superflus puisqu’elle a compris qu’il fallait qu’elle mette plus d’importance sur ce qui arrive dans son histoire. Son début est encore meilleur.  Les élèves arrivent. J’assiste Victor et Paul. J’incite Alex à ranger car il continuait. Je le laisse finalement terminer sa phrase car ça semble important pour lui. Les élèves arrivent… J’ai le texte d’Annabelle en main. Je suis prête à faire le partage.

11:18 Je m’assois et après quelques secondes, je leur dit que j’ai vu des auteurs  utiliser des stratégies enseignées aujourd’hui. J’en profite aussi pour les nommer à nouveau, une à une et j’invite les élèves à utiliser ces stratégies encore pour tous les jours à venir. Ensuite, je mets en valeur le début du texte d’Annabelle car je pense que certains seront capables de reproduire ce qu’elle a fait. Je n’ai pas l’attention de Paul, ni de Victor… Pas grave…Adèle est assise avec nous et entend… Je sais que je répèterai ces stratégies encore et encore… Il y a une leçon qui viendra à ce sujet, je le sais ça aussi.

11:22 et des poussières…C’est terminé…ouf! L’adrénaline est tombée…

Il reste une vingtaine de minutes avant le diner. J’offre des choix. Ils s’affairent. Agathe va chercher sa boîte à lunch au secrétariat. Moi, je respire un peu. Je prends mon carnet d’entretiens, mes papillons autocollants, mes marqueurs…Je pense aux élèves que je n’ai pas vus aujourd’hui. J’ai hâte de lire leur travail… Je note dans mon cahier quelques observations. Je suis épuisée…J’ai hâte à demain pour les amener encore plus loin…d’autres stratégies dans leur coffre à outils. Alex vient me parler de ce qu’il a accompli aujourd’hui. Il veut me montrer…Je prends le temps…Il est fier de lui. Je l’écoute. J’aime écouter et comprendre ce que mes élèves font. Il aime m’expliquer en détail ses bons coups. En l’écoutant et en regardant son texte, je sais ce que je vais lui enseigner demain. Mais demain seulement… Maintenant, on célèbre ensemble ce qu’il a fait aujourd’hui!