Un article d’Isabelle Robert
Chaque nouvelle année scolaire apporte de nouveaux défis. La plupart de temps, on fait des ajustements et on règle rapidement une foule de petits problèmes. Il s’agit de s’accorder un peu de temps, se faire connaître des élèves, créer des liens avec eux et hop, ça va déjà mieux. Parfois, des problèmes persistent et c’est alors que la gestion du cas par cas s’installe. Ce n’est jamais pareil d’une année à l’autre. C’est un peu pour ça qu’on aime ce métier car chaque année nous permet de vivre des choses différentes et nous amène à nous dépasser. Quand on me demande si j’ai une année difficile, je ne dis jamais que c’est difficile, je dis que j’ai plusieurs beaux défis à relever. Les défis m’allument et chercher des solutions fait partie de moi.
Commencer une nouvelle année d’ateliers d’écriture vient aussi avec sa part de défis. Nous prenons à cœur notre enseignement. On investit du temps pour bien se préparer, pour bien répondre aux besoins de nos élèves, pour animer de façon enthousiaste car nous sommes allumés par ce que nous faisons, par ce que nous enseignons! À tout coup, notre enthousiasme est contagieux, l’énergie est à son comble quand on envoie les élèves écrire. On se sent au sommet de notre art quand on voit les élèves s’affairer à travailler avec énergie à leur travail d’auteur. C’est le bonheur!!! On a presque l’impression de flotter sur un nuage…
…jusqu’à ce qu’on entende un « J’ai pas d’idée » ou un « J’ai rien à écrire… » Oh. Là, on revient sur terre.
Ces petites phrases peuvent être frustrantes, décourageantes même, surtout si on a déjà enseigné diverses façons de se trouver des idées. Mais prenons le temps de réfléchir un peu. Est-ce que ça nous est déjà arrivé? Moi oui! Je me laisse un peu temps et généralement c’est réglé, je vais de l’avant. Mes élèves vivront ça aussi. Je leur rappelle nos stratégies et je laisse un peu de temps et hop, ça y est, c’est reparti! Mais mon vrai défi concerne les élèves qui répètent jour après jour le fameux « J’ai pas d’idée». J’ai de ce type d’élève cette année dans ma classe.
Dans le livre Reaching Struggling Writers, l’auteure M. Colleen Cruz propose une démarche pour venir à bout de ces défis qui nous donnent du fil à retordre. Voici les étapes :
- Chercher à comprendre ce qui se passe pour l’élève
- Établir un répertoire de stratégies qu’on peut mettre en action
- Planifier la prochaine étape
Humm… Commençons donc par comprendre ce qui se passe chez mon élève (un élève à la fois car l’autre élève vit certainement ce problème pour d’autres raisons). Je dois donc observer :
-Est-ce qu’il se réfère au tableau d’ancrage des stratégies pour trouver des idées?
-Est-ce qu’il se réfère à la couverture de sa reliure d’écriture (les élèves ont collé des photos de personnes, de lieux et de choses importantes pour eux)?
-Est-ce qu’il retourne dans sa reliure pour lire des textes qu’il a déjà écrits?
-Est-ce qu’il se croise les bras sur sa page blanche?
-Est-ce qu’il s’étire le cou pour jeter un coup d’oeil à ce que les autres écrivent?
-Est-ce qu’il semble bloqué seulement lorsque c’est le temps d’écrire?
-Est-ce qu’il participe bien à la mini-leçon?
-Est-ce que c’est surtout au début de la semaine qu’il éprouve plus de difficultés à générer des idées?
-…
Ces observations m’aideront à évaluer les stratégies qu’il utilise ou qu’il n’utilise pas et j’aurai des indices sur son attitude, ses habitudes. Regarder le contenu de sa reliure, ses textes de l’année dernière, un carnet d’idées, ses photos, le genre de lectures qu’il aime faire, ses jeux de récréations, connaître ses amis et les sports qu’il pratique aidera aussi beaucoup à alimenter mes entretiens avec lui.
Avec ces observations, j’aurai peut être une petite idée des causes du problème et je serai prête pour une rencontre avec lui pour chercher à comprendre davantage.
Dans mon entretien, je pourrai commencer en disant : « J’ai remarqué que… ». Ensuite, je pourrai lui poser une question comme :
« Quand tu n’as pas d’idées pour écrire, que fais-tu? »
« Quand tu regardes dans ta reliure, peux-tu me dire quel est ton meilleur texte? Pourquoi? »
« Apporte-tu ton carnet d’idées à la maison pour écrire tes idées? »
« Où penses-tu que les autres trouvent leurs idées? »
« Qu’est ce qui est important pour toi dans ta vie? »
Parfois, c’est surprenant ce que l’élève sait déjà. D’autres fois, ça peut être le contraire… Mais maintenant, il faudra que je fasse une liste de stratégies pour aider l’élève. J’aime faire cette liste car elle me servira aussi pour l’autre élève qui éprouve aussi de la difficulté à générer des idées. Il faut se créer un répertoire de stratégies. Et ça peut être vraiment intéressant d’y travailler en équipe-école. Ce travail servira à plus d’une classe et sera plus riche assurément.
Je commencerai cette liste avec ce que j’ai déjà enseigné : ce qui est sur mon tableau d’ancrage, la couverture de la reliure d’écriture, le partage d’idées entre amis, des exemples de textes près de la réalité des élèves lors de mes modélisations et ensuite je continuerai cette liste avec des stratégies lues dans mes ouvrages de référence et des stratégies venant de la discussion avec mes collègues. Par exemple:
-Lire dans le but de nous inspirer en tant qu’auteur (faire des liens)
-Parler avec un autre auteur à propos de ses textes, écouter ses nouvelles idées
-Faire un dessin d’un moment important dans notre vie. Y ajouter plusieurs détails qui pourront aussi être des histoires
-Marcher jusqu’à la fenêtre pour voir des idées dehors (dans la cour de récréation)
-Quand j’écris, m’arrêter et me demander ce qui a été l’étincelle de mon inspiration pour en parler à l’élève.

Je serai ensuite capable de choisir une stratégie pour l’élève en tenant compte de tout ce que je connais de lui et planifier ce qu’il pourrait maintenant essayer. On dit qu’il faut que l’élève ait un répertoire de plusieurs stratégies pour chacune des grandes habiletés. Générer des idées est une grande habileté.
Un piège à éviter est certainement celui de vouloir donner une idée à l’élève. Ce qu’on veut c’est qu’il trouve ses idées de façon indépendante. En le faisant pour lui, soit il trouve notre idée plutôt inintéressante (ça arrive souvent), soit il la prend pour aujourd’hui, mais nous n’aurions pas atteint notre but. Le lendemain, il nous attendra avec un : « J’ai pas d’idées ». On veut que nos interventions soit durables, n’est-ce pas?
Au delà de ça, comme je travaille à former une communauté d’auteurs avides et compétents, je fais une place en classe aux passions de chacun, à ce qu’ils sont vraiment. Je veux que mes élèves aient confiance en eux et qu’ils sentent que ce qu’ils ont à raconter est important pour tous. Nos discussions inspireront leur travail d’auteur. Je donne des opportunités pour s’exprimer, être écouté et je leur permets de réfléchir ensemble. Les auteurs réfléchissent beaucoup et ensuite ils sont capables de prendre des décisions. Ce seront des décisions sur les sujets qu’ils choisiront et sur la façon dont ils écriront.
Les « J’ai pas d’idées » et les « J’ai rien à écrire » et compagnie disparaîtront sous peu avec mes «Une chose que les auteurs font, c’est … ». Je reste enthousiaste car je sais que s’il reste devant sa page blanche c’est tout simplement parce que je ne lui ai pas encore enseigné la bonne stratégie pour lui… Mais je trouverai!