Un article de Martine Arpin

 

« Les auteurs, j’ai tellement hâte de lire ce que vous avez écrit! »

J’aime annoncer de cette façon aux élèves que je vais recueillir les dossiers d’écriture pour observer les textes. Nous savons que le langage que nous utilisons en classe pour parler avec les élèves et pour parler des élèves et de leurs travaux joue un rôle important dans la perception qu’ils ont d’eux-mêmes et de leurs capacités, en plus d’être déterminant sur la motivation et l’estime de soi. Nous savons aussi le rôle important que peuvent avoir les erreurs sur l’apprentissage lorsqu’elles sont utilisées de façon positives. (Hattie, 2011).

Les élèves savent que, lorsque j’observe leurs travaux, je ne cherche pas à les prendre en défaut. Ils savent que dans notre classe, on apprend. Les tentatives et approximations sont valorisées et sont vues comme du courage, de la bravoure, de la débrouillardise:  « Wow! Tu as écrit le mot « imperméable » même si tu ne le connaissais pas et que c’est un mot très difficile! C’est ce que font les auteurs! Ils utilisent des mots précis, des mots d’experts, et se servent de tout ce qu’ils connaissent pour les écrire du mieux qu’ils le peuvent! ».

Ils savent aussi que mes observations me permettent de réfléchir sur ma pratique et d’ajuster mon enseignement. Après tout, la meilleure façon de savoir si mon enseignement est efficace, c’est de voir ce que j’ai enseigné dans les textes de mes élèves!

Quand j’observe les travaux, cela me permet de prendre des décisions importantes pour les jours à venir:  certaines notions sont maitrisées par tous les élèves? Super! Je vais les encourager à continuer à faire ces choses dans leurs prochains textes. Un élève a besoin de soutien particulier pour un (ou plusieurs) aspect de l’écriture, je me prépare alors pour un entretien individuel. La majorité du groupe (plus de la moitié) ne semble pas avoir transféré un apprentissage, je peux prévoir une leçon de groupe pour y revenir. Et, si 3 ou 4 élèves pouvaient bénéficier d’une rétroaction, de plus de pratique guidée ou d’explications supplémentaires sur le même concept, alors pourquoi ne pas les rassembler et profiter de l’enseignement en petits groupes pour les soutenir?

Enseigner en petits groupes est l’une des façons d’organiser son enseignement qui peut vraiment améliorer les compétences des auteurs. Cette organisation permet de différencier notre enseignement pour répondre aux besoins de chacun en offrant un enseignement spécifique ciblé, fournit aux élèves une opportunité supplémentaire de s’exercer avec un support précis et une rétroaction immédiate et permet d’être plus efficace pour gérer le temps. Favoriser les interactions entre les apprenants constitue une pratique gagnante pour apprendre, faire des transferts et favoriser la compréhension. Lorsqu’ils travaillent en groupe de 3 ou 4, les élèves sont engagés activement dans leurs apprentissages, la responsabilité est partagée. Il s’agit d’une occasion de favoriser les interactions positives entre élèves, la collaboration, la coopération, en plus de leur permettre de développer les compétences en communication (écouter, répondre, interagir) et dans les relations interpersonnelles.

On peut penser à différentes modalités pour organiser notre enseignement en petits groupes :

  • Entretiens de tables
  • Leçon de stratégie (comme une mini-leçon)
  • Rappel du répertoire de stratégies (pour les élèves qui oublient les stratégies, qui les utilisent seulement le jour de la leçon, mais qui ont besoin de rappels)
  • Recherche: à l’aide des textes modèles (comment font les auteurs pour…)
  • Partenariats: leur enseigner à travailler ensemble
  • Par l’élève : un élève qui maitrise vraiment bien une stratégie ou un procédé peut l’expliquer à d’autres.

Peu importe le modèle choisi, il est important de se rappeler que pendant l’enseignement par petits groupes, les élèves doivent faire la plus grande part du travail. Il faut donc « connaitre ses élèves et découvrir ce dont ils sont capables » (Dilller, 2011). Et pour pouvoir travailler avec ces élèves de façon efficace, je m’assure de bien organiser ma gestion de classe:  dès le début de l’année, il faut entrainer l’endurance, enseigner les attentes quant aux attitudes et rendre les élèves autonomes pour le matériel et les différentes difficultés qui pourraient survenir. Une bonne façon  d’y arriver est de réfléchir d’abord à ce qui se passe dans notre classe. Pourquoi les élèves viennent-ils me voir? Est-ce qu’il y a des choses pour lesquelles ils pensent avoir besoin de moi, mais qu’ils pourraient régler seuls? (La réponse est oui! Tout plein!). Quand on a fait la liste de ces irritants, on peut enseigner les solutions et rendre ainsi les élèves plus autonomes.

Et même si l’on sait tout cela, et qu’on peut facilement imaginer tous les bénéfices de l’enseignement par petits groupes pour les élèves et pour nous, il peut être déstabilisant de se lancer dans ce travail lors de l’atelier d’écriture.

Rebecca Cronin, responsable du développement professionnel au TCRWP, affirme que l’une des façons les plus simples de s’approprier ce type d’enseignement ou de le mettre en place en début d’année lorsque l’on connait peu les élèves ou en début de module lorsque ceux-ci sont peu familiers avec le type de texte abordé, est l’entretien de table.

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C’est une façon de faire qui aide les élèves à prendre de bonnes habitudes de travail, qui m’aide à circuler de façon efficace en début d’année pour la gestion de classe, tout en m’assurant d’offrir quand même aux élèves une rétroaction intéressante et appropriée.

Pendant que les élèves écrivent, je m’arrête à une table, je prends le texte d’un élève et je recherche un compliment. J’arrête les autres auteurs de la table et nomme ce que fait l’élève en les incitant à le faire aussi. Je leur demande de l’essayer, là, maintenant, dans leur texte. Plus ou moins trois minutes. J’essaie de choisir quelque chose qu’ils seront capables de faire, ainsi, ils pourront s’exercer et retenir l’enseignement. Les sujets peuvent être multiples: espaces entre les mots, calligraphie, mur de mots, son de la première lettre, croquis qui correspond à ce qui est écrit, l’histoire a un début-milieu-fin, c’est un petit moment (à chaque page le personnage est au même endroit et au même moment), ajout d’un exemple dans son texte informatif, information intéressante à chaque page,… Si un élève ne l’a pas fait encore, il peut l’essayer dans un autre texte. Si ça se prête au texte en cours, je l’encourage : « Allez, tourne la page, essaie-le sur l’autre page, essaie encore!, tourne la page …  » Tous les élèves de la table bénéficient de l’enseignement supplémentaire et d’une rétroaction précise et immédiate. Tous ont la chance de s’exercer avec du soutien. Ensuite, je passe à une autre table en m’assurant que j’ai répété l’enseignement et que j’ai encouragé tous les auteurs de la table à continuer de le faire dans leurs textes. Je peux prendre quelques notes au besoin puis me diriger vers une autre table, prendre le texte d’un élève, et recommencer.

Je pense qu’au départ, c’est une façon de faire qui permet d’apprivoiser l’enseignement par petits groupes, de relever le défi d’enseigner un objectif précis à un groupe d’élèves qui travaillent tous sur un texte différent. En regardant la liste de vérification du type de texte travaillé, l’enseignante peut réfléchir à l’avance à quelques objectifs de base importants à maitriser en début de module, comme la structure du texte ou le choix des idées, pour s’assurer que chacun démarre du bon pied. Cela permet aussi de prendre le pouls de la classe quant au travail à accomplir. Et pour l’enseignante qui est peu habituée avec l’organisation de l’enseignement par petits groupes portant sur l’écriture, cela permet de prendre de l’assurance, de s’exercer, de devenir de plus en plus autonome. Après tout, il faut respecter sa propre zone proximale de développement…

La suite :  rôle de l’enseignant, choix des élèves, planification de l’enseignement et leçon de stratégie

 

 

Diller, D. (2011) (Adaptation Annie Sicard),  L’enseignement par petits groupes, Chenelière Éducation, Montréal. (bien que cet ouvrage porte essentiellement sur la lecture, il est intéressant pour bien comprendre l’enseignement par petits groupes)

Hattie, J.(2009). Visible learning, A synthesis of over 800 meta-analyses relating to achievement, Routledge, New York.