Un article de Martine Arpin
Il y a quelques mois, j’ai visité la classe de ma cousine Caroline. Elle enseigne en adaptation scolaire dans une polyvalente de la Montérégie. Elle a une classe de communication avec des garçons qui ont entre 12 et 15 ans ayant un trouble du spectre de l’autisme ou une dysphasie sévère (plus d’autres diagnostics tels TDAH, dyspraxie, dysorthographie, trouble oppositionnel, trouble anxieux, etc) et dont le niveau scolaire se situe entre la 2e et la 6e année du primaire. Ouf!
Bien sûr, l’un des défis auxquels elle doit faire face est de trouver comment arrimer le niveau des outils qu’elle propose à ses élèves pour l’apprentissage de la lecture et de l’écriture à l’âge et aux intérêts des adolescents qu’ils sont. La plupart des livres s’adressant aux lecteurs débutants (niveau de lecture de ses élèves) ont des sujets et des illustrations visant à rejoindre les enfants de 6-8 ans.
Comment, dans un contexte comme le sien, mettre en place les approches auxquelles elle croit et qu’elle sait qui aideront le plus ses élèves? La différenciation est essentielle dans son fonctionnement. À force de recherches et de collaboration avec une enseignante de première année et la bibliothécaire de son école, elle a réussi à trouver. Il y a de belles collections maintenant et surtout de beaux albums qui touchent les grands, suffit de savoir comment les présenter et les faire aimer. Et ça, elle sait comment faire, parce qu’elle est sensible à ses élèves et chercher toujours à améliorer sa pratique.
Quand elle a entendu parler de l’atelier d’écriture, elle a tout de suite vu le potentiel pour ses élèves: respecter le rythme de chacun, présenter des leçons explicites, partir des intérêts des élèves, … Elle s’est lancée avec le module Écrire des récits inspirés de nos petits moments (Chenelière, 2016). Un module de première année avec ses grands adolescents!
Voici le texte d’un de ses élèves, lors du premier atelier:
Depuis toujours, il ne voulait pas écrire. Il disait que c’était parce qu’il faisait trop d’erreurs et ne savait pas quoi raconter. Cette fois encore, il n’avait pas plus le goût d’écrire… et il a décidé de raconter cette première mini-leçon de l’atelier d’écriture:




Puis, quelques semaines plus tard, ce même élève écrit ceci:






Quelle évolution, en quelques semaines! Elle a quand même intégré les ateliers d’écriture graduellement car elle faisait face à beaucoup de rigidité pour cette nouveauté. Il n’était pas facile pour eux, plus que pour n’importe quel autre élève, de bousculer leur routine quotidienne et de changer des façons de faire qu’ils connaissent depuis qu’ils ont commencé leur parcours scolaire. Cependant, avec du temps et de la patience, et en respectant le rythme de ses élèves, elle a trouvé une vitesse de croisière qui convenait à tous et qui a permis ces changements significatifs. Elle a adapté les ateliers d’écriture à sa réalité en étant consciente des fondements inhérents qui en font la force.
L’un des plus grands changements apportés par cette démarché a été l’accent mis sur les idées, l’auteur et le texte plutôt que sur l’orthographe. Avec du temps et de la persévérance, en croyant fermement au grand potentiel de ses élèves, elle a réussi à changer leur vision de l’écriture, leur perception d’eux-mêmes comme auteur et même leur rapport à l’orthographe. Ils ont tous pris goût à l’écriture. Ils ont des choses à raconter, et l’atelier d’écriture leur a permis de s’en rendre compte et de prendre confiance en eux. Au-delà des compétences en écriture, ces élèves qui ont les plus grands défis au niveau social et relationnel bénéficieront aussi de cela. Au fil du temps, les croquis et les idées sont devenus plus importants que leur peur de « faire des fautes ». Aborder ensuite les conventions linguistiques dans ce contexte leur a fait comprendre leur importance et leur place dans l’écrit.
Maintenant qu’elle travaille les textes informatifs, elle continue d’exploiter les forces de ses élèves. Elle leur offre des occasions de se parler de leurs lectures pour expliquer aux autres ce qu’ils ont appris. En faisant cela, elle leur permet d’augmenter leur bagage de connaissances, tout en leur donnant la chance se s’exercer à l’oral avant d’écrire.
Évidemment, elle respecte aussi les défis de sa clientèle: elle ne les incite pas travailler en tandem, sans leur interdire d’échanger s’ils en ressentent le besoin. Elle n’insiste pas sur l’ajout d’émotions dans un texte si l’élève n’est pas prêt à cela. Ils ont tous des défis à leur niveau. Elle utilise leurs compétences, leur intérêts et les technologies pour les motiver encore plus.
On ne le répétera jamais assez, on ne « fait » pas l’atelier d’écriture. On s’inspire des pratiques qui fonctionnent pour motiver les élèves, bien sûr, mais surtout pour élever le niveau de compétence de chacun en respectant les individus que l’on a devant nous. En s’adaptant, en écoutant, en observant. Et maintenant, on a un outil qui nous permet de vraiment mettre en place un enseignement de l’écriture qui amène les élèves à s’investir puisqu’on respecte qui ils sont. Dans la classe de ces grands adolescents pour qui écriture était synonyme de « fautes d’orthographe » et qui détestaient écrire depuis des années, la plus belle preuve du changement que cela a amené est cette phrase entendue dans la classe de Caroline:
« Quand est-ce qu’on va écrire? J’ai trop d’idées dans ma tête et ça bouche toute le reste! »