Un article de Patricia Forget et Amélie Beaudoin
Enseignez-vous la grammaire? Si oui, pourquoi et comment l’enseignez-vous?
Prenez quelques minutes pour réfléchir à ces questions…
Aimeriez-vous connaître les réponses d’élèves du 3e cycle à la question : Pourquoi nous vous enseignons la grammaire?
- …
- Pour bien écrire.
- Parce qu’il faut l’apprendre.
- Pour ne pas faire de fautes.
Et si nous leur demandions maintenant : Aimez-vous la grammaire? Que répondraient-ils? La vérité est que pour plusieurs d’entre eux, faire de la grammaire est pénible et ennuyeux.
«Vous voyez, les mots, c’est comme les notes. Il ne suffit pas de les accumuler. Sans règles, pas d’harmonie. Pas de musique. Rien que des bruits. La musique a besoin de solfège, comme la parole a besoin de grammaire.»1 Enseigner la grammaire ne devrait pas se résumer à mémoriser un ensemble de règles ou à proposer des exerciseurs en espérant que nos élèves s’approprient et transfèrent leurs connaissances dans leurs textes.
Nancie Atwell, dans son ouvrage Les ateliers de lecture et d’écriture au quotidien, expose des recherches qui démontrent que l’étude de la grammaire a un effet nuisible sur le rendement des élèves lorsqu’elle empiète sur le temps consacré à l’écriture, à la lecture et à la communication orale. Pour que notre enseignement de la grammaire soit bénéfique, il faut que les élèves comprennent que ce qui leur est enseigné leur sera utile dans leur écriture. Il doit permettre aux élèves de réfléchir et de comprendre notre langue pour ajouter de la puissance à leurs textes.
Proposer aux enfants l’étude de textes modèles permet de rendre ces apprentissages beaucoup plus signifiants. Les auteurs professionnels connaissent tellement la langue qu’ils peuvent se permettre de jouer avec elle. Après avoir apprécié l’œuvre littéraire, vous pouvez encourager vos élèves à relire certains passages, à les observer, à les commenter et à formuler des constats pour leur démontrer un concept particulier. Par exemple, dans son livre L’arbragan, Jacques Goldstyn a choisi d’écrire son histoire à la première personne. Pourquoi? En quoi ce choix a-t-il un effet sur son récit? Gilles Tibo, dans son livre Ma première victoire, écrit ceci au sujet de la peur : « Elle a pris possession de mes os. De mes muscles. De mon cerveau. » Que pensez-vous de cet extrait? Pourquoi avoir utilisé le point et non la virgule? Est-ce que ces groupes de mots sont des phrases? Ces activités d’analyse sont pertinentes et permettent d’engager cognitivement les élèves.
Le temps est un défi quotidien, c’est pourquoi il faut saisir toutes les opportunités qui s’offrent à vous. Les périodes de lecture indépendante sont de belles occasions pour s’attarder à la langue si elles sont orientées vers un objectif précis. Par exemple, vous pourriez dire aux élèves : «Les auteurs utilisent les dialogues pour ajouter de la vie à leur texte. Aujourd’hui, durant votre lecture, je veux que vous portiez votre attention sur la façon dont les auteurs les ponctuent. Nous utiliserons vos observations lors de la prochaine période d’écriture.»
L’enseignement de mi-atelier peut également vous permettre de rappeler aux élèves l’importance de quelques notions grammaticales. «Les auteurs, permettez-moi de vous arrêter un instant. Vous savez combien il est important pour un auteur d’être compréhensible pour ses lecteurs? Alors, pourriez-vous prendre deux minutes pour repérer les derniers verbes que vous avez écrits dans votre texte? Montrez-les à votre partenaire et expliquez-lui pourquoi vous pensez qu’ils sont bien accordés. Au travail!» Demander aux élèves de justifier et de démontrer à l’aide d’exemples est encore un moyen de susciter leur engagement intellectuel.
Les albums sans texte sont aussi de belles ressources à présenter aux élèves. L’écriture partagée permet aux élèves de réfléchir aux noms, aux verbes et aux adjectifs qui leur permettront d’écrire l’histoire qu’ils imaginent.
Pour que l’enseignement de la grammaire soit pertinent et efficace, il faut partir de ce que les élèves connaissent. Pour sa part, Nancie Atwell demande à ses élèves de lui soumettre leurs textes lorsqu’ils sont terminés. Cela lui permet de les rencontrer individuellement, de les questionner et de leur présenter une ou deux règles de grammaire avec lesquelles ils ont eu des problèmes. Ainsi, les élèves ont la chance de réfléchir et d’apprendre avec elle, en contexte, les notions grammaticales.
Selon le type de texte que vous enseignez, prenez le temps de réfléchir aux leçons que vous pourriez vivre avec vos élèves en fonction de leurs besoins et des notions qui sont à l’étude. Voici des propositions tirées d’un article d’Anna Gratz Cockerville intitulé Five grammar lessons sneaky double-duty goals :
- Le paragraphe: Qu’est-ce qu’un paragraphe? Quel est son rôle? Pourquoi certains sont-ils courts alors que d’autres sont longs? Pour quelles raisons les auteurs changent-ils de paragraphes? Comment l’auteur nous signale-t-il un changement de paragraphe? Comment les paragraphes s’enchainent-ils entre eux? Allez les auteurs! À vos textes. Est-ce qu’ils sont découpés en paragraphes? Est-ce que chacun d’eux développe une idée? …
- Le dialogue: Pourquoi les auteurs ajoutent-ils des dialogues à leur texte? Comment sont-ils introduits? Comment sont-ils ponctués? Qu’en est-il des propositions incises? Allez les auteurs! À vos textes! Allez voir vos dialogues. Qu’est-ce que chacun ajoute à votre texte? …
- La phrase: Qu’est-ce qu’une phrase? Quels sont ses constituants obligatoires? Comment les auteurs les construisent-elles et les ponctuent-elles? Dans quel contexte utilise-t-on une phrase interrogative, exclamative, impérative et déclarative? Qu’est-ce qui est exprimé par l’écriture d’une phrase de forme négative, passive ou impersonnelle? Pourquoi ajouter des compléments de phrases? Allez les auteurs! À vos textes! Allez voir vos phrases! Relisez-les à voix haute et voyez si elles ont du mouvement! Et n’oubliez pas : «Une phrase, c’est comme un arbre de Noël. Tu commences par le sapin nu et puis tu l’ornes, tu le décores à ta guise… jusqu’à ce qu’il s’effondre. Attention à ta phrase : si tu la charges trop de guirlandes et de boules, je veux dire d’adjectifs, d’adverbes et de relatives, elle peut s’écrouler aussi.»2
- La conjonction: Qu’est-ce qu’une conjonction? Pourquoi les auteurs utilisent-ils la conjonction? Quel sens exprime-t-elle?
Et si nous prenions le temps de jouer avec les conjonctions dans une phrase pour mieux en saisir les sens? Par exemple :
Amélie travaille avec Patricia et elles ont beaucoup de plaisir. La conjonction a une valeur d’addition entre le travail et le plaisir.
Amélie travaille avec Patricia car elles ont beaucoup de plaisir. La conjonction démontre que le plaisir est la cause du travail en commun ou elle le justifie.
Amélie et Patricia travaillent autant qu’elles ont du plaisir. La conjonction permet ici de comparer le travail au plaisir.
Et puis… Allez les auteurs! À vos textes! À vos conjonctions! Quelles relations avez-vous créées entre deux éléments d’une même phrase?
- Le temps des verbes: Comment peut-on identifier le temps d’un verbe? Quelles sont les caractéristiques de cette classe de mots? Pourquoi Clothilde Bernos a-t-elle écrit Moi, Ming au conditionnel? Qu’est-ce que ce temps permet d’exprimer? Quel est l’effet d’un changement de temps de verbes dans votre histoire? Allez les auteurs! Repérez vos verbes! À quel temps chacun d’eux est-il conjugué? Comment pouvez-vous le prouver? Avez-vous des doutes? Si oui, pourquoi?
Bien sûr, d’autres propositions grammaticales pourraient être faites. Les possibilités sont nombreuses selon le niveau d’enseignement et les besoins des élèves. Alors, quelles mini-leçons pourriez-vous élaborer pour leur faire découvrir certains éléments de la langue? Est-ce que ces mini-leçons permettront aux élèves de réfléchir, de justifier et de confronter leurs connaissances avec d’autres?
Puisqu’il faut essayer de répartir les contenus dans le temps, les échanges entre collègues sont indispensables. Quels sont vos objectifs d’enseignement? Comment savez-vous qu’ils sont atteints? Comment enseignez-vous la grammaire? Quelles difficultés reviennent fréquemment? Quelles interventions efficaces proposez-vous? …
Alors, nous vous posons la question à nouveau : Pourquoi enseignez-vous la grammaire? A-t-elle sa place au cœur de vos périodes d’écriture? Parce qu’après tout, ce sont les ateliers d’écriture qui doivent supporter votre enseignement de la grammaire et non le contraire!
Références :
GRATZ COCKERILLE, Anna. Five grammar lessons with sneaky double-duty goals. Two Writing Teachers. 2016.
DORFMAN, Lynne. Diane DOUGHERTY. Grammer Matters – Lessons, Tips and Conversations Using Mentor Texts, K-6. 2014. 309 pages.
ATWELL, Nancie. Les ateliers de lecture et d’écriture au quotidien. Chenelière. 2017. 287 pages.
CHARTRAND, Suzanne-G. Mieux enseigner la grammaire – Pistes didactiques et activités pour la classe. ERPI Éducation. 2016. 346 pages.
1-2 ORSENNA, Erik. La grammaire est une chanson douce. Stock. 2001. 151 pages.