Un article d’Isabelle Robert
En mars dernier, j’assistais au lancement du livre marquant de Daniel Pennac «Comme un roman», réédité par les éditions D’eux. Nous étions donc une cinquantaine à avoir l’immense bonheur d’entendre Jacques Pasquet lire quelques passages importants de ce livre toujours d’actualité et Yves Nadon, enchainer avec ce qui devrait se vivre en classe au quotidien. Pennac a réussi avec brio à nous faire comprendre comment former des lecteurs pour la vie. Cependant, on souhaiterait voir encore plus d’enseignants s’inspirer de ces principes racontés si brillamment. On s’y retrouve si facilement en tant que lecteur. Cette réédition est donc la bienvenue.
Aussi, Comme un roman dresse la liste des droits imprescriptibles du lecteur. C’est grâce à elle que j’ai redécouvert le plaisir de lire, il y a quelques années. Le droit de ne pas finir un livre et celui de sauter des lignes ont été une révélation pour moi qui cherchais quelle lectrice j’étais, après avoir lu tous les livres imposés durant ma vie scolaire.
Cette façon de présenter des comportements authentiques de vrais lecteurs qui devraient influencer notre démarche d’enseignement m’amène à réfléchir : qu’en est-il de l’enseignement de l’écriture?
L’atelier d’écriture proposé par Lucy Calkins et ses collègues, se base sur des principes qui créent des auteurs qui écriront pour de vraies raisons, qui s’engageront à devenir compétents et qui sauront réfléchir et s’exprimer par écrit, dans différentes situations, au-delà du parcours scolaire. Ce sont des principes inspirés par les comportements authentiques des auteurs. Voici donc la liste des droits accordés aux élèves lorsqu’on choisit de vivre l’atelier d’écriture en classe.
Le droit de ne pas écrire
«Mes élèves ne connaissent même pas les lettres de l’alphabet, comment voulez-vous qu’ils écrivent?!»
Dès la maternelle, on invite les élèves à écrire sur eux, sur ce qu’ils connaissent, sur ce qu’ils aiment et sur ce qu’ils ont vécu. Ils raconteront d’abord avec les dessins. L’habileté à raconter est tellement importante. Elle se développe avec ou sans les lettres. Oui, bien sûr, des lettres finiront par s’ajouter. Parfois, ce seront des mots ou même des phrases! Mais, on respectera le rythme de chacun dans son développement de l’écrit. Le premier travail de l’auteur est de trouver des idées, n’est-ce pas? Quel bon point de départ dans sa vie d’auteur que de se faire confiance dans le choix de ses idées! Il apprendra que ce qu’il a à dire est important et qu’on l’écoutera. Il apprendra déjà à faire des choix : «Qu’est ce que je veux raconter aujourd’hui?», «Qu’est-ce que je peux apprendre aux autres?», «Comment vais-je m’y prendre pour montrer ce que je sais sur le sujet?». L’élève a donc le droit de ne pas écrire de lettres sur sa feuille. Il apprend tellement sur ce qu’est qu’être un auteur.
L’élève a aussi le droit d’observer ce qui se passe dans la classe lors de l’atelier d’écriture, de regarder les autres faire, sans oser écrire. Souvent, c’est une question de confiance. Bien entendu, on travaillera à développer cette confiance qui lui permettra de se lancer lui aussi. On lui enseignera des stratégies pour qu’il puisse se trouver des idées. On lui montrera qu’on a croit en lui, que ses idées valent la peine d’être entendues… On lui allouera ce temps. Il baignera dans une communauté d’auteurs et il apprendra sur l’écriture.
Parfois, l’élève n’écrira pas parce qu’il pense! On accordera ce temps à l’élève, qu’il soit à la maternelle ou en sixième année. Certes, on incite les élèves à écrire beaucoup. Mais parfois, penser, discuter avec un partenaire, étudier le travail d’un autre auteur est bénéfique pour le travail d’auteur de l’élève. Même s’il n’écrit pas, l’élève est dans son processus d’écriture. Il réfléchira et fera des choix. On encourage l’élève à se poser des questions. On permet à l’élève de ne pas écrire et de penser!
Le droit d’apprendre l’art d’écrire par un enseignant-auteur
On ne prendrait pas de leçons de soccer avec un entraineur qui ne joue pas au soccer. Ou des leçons de piano avec un professeur qui sait, mais qui ne joue plus de piano puisqu’il sait. En lecture et en écriture, c’est la même chose. Un enseignant-lecteur transmet inévitablement sa passion de la lecture à ses élèves. Il sait ce que c’est d’être lecteur, il est lecteur! Il a des choses à dire sur la lecture.
Dans l’atelier d’écriture, l’enseignant qui écrit est un modèle pour les élèves. L’enseignant-auteur connait le processus d’écriture. Il comprend les difficultés que peuvent rencontrer les élèves-auteurs. Il a des choses à dire sur l’écriture. Il ne fait pas qu’enseigner l’écriture, il transmet les rudiments de l’écriture, l’art d’écrire! C’est ce qui fait une énorme différence.
Les élèves ont davantage confiance que ce qui leur est enseigné est bon pour eux. L’enseignant-auteur écrit de nombreux textes et ceux-ci sont précieux pour son enseignement: des textes laissés de côté, des textes inachevés, des textes révisés, des textes riches de procédés littéraires…des textes, des textes et encore des textes. Un auteur écrit beaucoup, et pas juste à l’école. La reliure de l’enseignant-auteur contient donc plusieurs textes. L’enseignant-auteur est un modèle qui inspire les élèves-auteurs.
Le droit de décider le sujet de son texte
Le choix du sujet qui appartient à l’auteur fait aussi partie des fondements de l’atelier d’écriture. On enseigne un genre littéraire en particulier et l’élève est amené à trouver le sujet de son texte. Un sujet qui le touche, un sujet qu’il veut partager, un sujet près de lui. Ce droit est important, car il permettra à l’élève de s’engager davantage. Bien sûr, on enseignera plusieurs genres littéraires, mais l’élève décidera toujours le sujet de ses textes.
Choisir un sujet près de lui, dans son univers, lui permet de se concentrer sur la façon dont il écrit son texte. L’auteur qui maitrise bien son sujet peut se consacrer à «comment» écrire. Son texte a un sens pour lui-même et il travaille sur sa structure, le choix des procédés littéraires, la syntaxe, les accords grammaticaux et les conventions pour permettre aux lecteurs de bien comprendre ce qu’il a à dire. Il choisit des mots qui reflètent bien ce qu’il veut communiquer aux lecteurs. Il travaille aussi la ponctuation pour être certain que le lecteur lira son texte exactement comme il le souhaite. Il y met beaucoup d’efforts, car le sujet de son texte lui tient à cœur, c’est lui qui l’a choisi!
Le droit de choisir comment écrire
Chaque jour, l’élève reçoit de l’enseignement explicite sur l’écriture. Des stratégies et des procédés littéraires sont ainsi enseignées sur plusieurs aspects de l’écriture. Les élèves ont donc rapidement plusieurs répertoires dans lesquels ils sont amenés à faire des choix.
Alors, l’élève a le droit de choisir comment il écrira son texte. Par exemple, plusieurs stratégies seront enseignées pour faire un bon début à son texte d’opinion. L’élève choisira dans un répertoire ce qu’il désire utiliser pour faire un début de texte qui captivera son lecteur. Son texte ne comprendra donc pas tout ce qui a été enseigné à ce sujet. On amènera l’élève à réfléchir et décider ce qu’il aimerait essayer cette fois-ci, à ce qu’il veut produire comme début, à ce qu’il veut créer comme sentiment chez le lecteur.
Par conséquent, ce qu’on enseigne n’est pas une tâche qu’on donne à l’élève. C’est une connaissance de plus sur l’écriture. De jour en jour, l’élève en connait donc plus sur l’art d’écrire. L’atelier d’écriture crée alors des auteurs qui réfléchissent en écrivant, qui essaient des choses, qui veulent aussi en connaitre davantage pour avoir plusieurs choix à leur disposition. On leur donne des outils qu’ils mettent dans leur coffre à outils et avec lesquels ils construiront des oeuvres de plus en plus sophistiquées.
Les auteurs réfléchissent beaucoup sur leur façon d’écrire. C’est ce qui donne de la puissance à leurs écrits. Les élèves ont donc le droit de réfléchir et de choisir comment ils veulent écrire.
Le droit d’avoir du temps pour écrire
Il y a une corrélation directe entre le temps consacré à la pratique et la progression dans cet apprentissage. L’atelier d’écriture accorde et protège ce temps aux élèves. Chaque jour, après une mini-leçon d’environ une douzaine de minutes, les élèves auront du temps pour écrire. Du temps pour poursuivre ce qu’ils écrivent, du temps pour poursuivre les étapes de leur processus d’écriture, du temps pour essayer, pour faire des choix, pour écrire et écrire. En moyenne, un 30 minutes d’écriture indépendante permettra à l’élève de s’engager dans ses projets d’écriture.
L’enseignant a un rôle vraiment important afin de préserver ces minutes à l’horaire et jongler avec les imprévus, car l’élève a droit à ce temps pour écrire afin de grandir en tant qu’auteur.
Les auteurs s’accordent du temps pour écrire, c’est indispensable pour eux. C’est indispensable pour nos élèves aussi.
Le droit d’avoir de la rétroaction
Contrairement aux pratiques courantes où on offre une rétroaction lorsque le texte est terminé, les rétroactions lors de l’atelier d’écriture ont une modalité et un rôle bien différents.
Les recherches le disent: La rétroaction régulière en cours d’apprentissage fait partie des stratégies les plus efficaces dans l’enseignement. La structure de l’atelier d’écriture permet à l’enseignant d’avoir du temps pour rencontrer des élèves en entretien et en petit groupe et ce, à chaque jour. Ces rétroactions sont importantes, car elles permettent à l’élève d’être encouragé à continuer ce qu’il fait de bien et à recevoir un enseignement individualisé qui répondra exactement à ses besoins d’auteur. Il y aura donc des conversations entre enseignant-auteur et élève-auteur de façon régulière qui peuvent traiter de la structure du texte, du choix des idées, de l’élaboration, des conventions, du processus d’écriture ou de tout autre sujet qui visera la progression de l’élève dans son habileté à écrire.
L’atelier d’écriture favorise aussi les échanges entre les partenaires d’écriture. Une rétroaction d’un pair permet d’avoir un autre regard sur le texte en cours. Elle permet à l’élève de s’ajuster s’il le faut. Après tout, le partenaire d’écriture est considéré comme le premier lecteur du travail de l’auteur.
Tous les auteurs ont besoin d’un premier lecteur, quelqu’un en qui ils ont confiance, quelqu’un qui pose un regard sur leur texte et qui lui donne une rétroaction.
Le droit d’abandonner un texte
Les auteurs abandonnent parfois un projet d’écriture. L’atelier d’écriture accorde ce droit aux élèves. Peut-être que c’est pour des raisons de choix d’idées ou de choix de sujet. Peut-être aussi que c’est parce qu’une nouvelle idée vient d’émerger et qu’il préfère profiter de cet élan d’inspiration pour commencer un tout nouveau texte.
Bien entendu, on incite les élèves à vivre tout le processus d’écriture le plus souvent possible afin qu’il puisse bien l’intégrer. On interviendra si on constate que c’est une habitude chez tel ou tel élève, mais on n’en fera pas de cas pour un élève qui décidera d’abandonner un texte de temps à autre. Les auteurs le font après tout!
Le droit de revenir sur un texte
Au fil des jours, les élèves écrivent plusieurs textes. Au fil des jours, les élèves en connaissent plus sur l’écriture. Un texte qu’on croyait terminé peut très bien être repris pour plusieurs raisons. Les auteurs peuvent avoir plus d’un texte terminé qui repose sur une tablette. Parfois, ces textes sont revisités, d’autres fois pas.
Chez les petits, dans le dossier d’écriture, on trouvera une pochette pour ranger les textes terminés. On appellera section «Textes terminés pour le moment». L’élève aura donc le droit d’aller chercher un de ses textes pour y revoir quelque chose de précis. Il pourra revenir sur un texte terminé pour le modifier, le bonifier ou même pour faire une nouvelle révision s’il décide de le publier.
Encore une fois, on n’oubliera pas l’importance d’amener l’élève à vivre le processus d’écriture au complet le plus souvent possible, mais nous devons garder en tête les comportements authentiques de l’auteur. Revenir sur un texte fait partie de ceux-ci.
Le droit d’écrire pour lui-même ou pour être lu
Au cours d’une séquence de leçons sur un genre littéraire précis, l’élève du préscolaire et du premier cycle a l’occasion d’écrire beaucoup, beaucoup de textes. Celui du 2e et 3e cycles écrit beaucoup aussi. Il fait plusieurs essais dans ses textes, il expérimente et se donne des options. Et chacun est amené à choisir son texte qui sera publié.
Des textes resteront donc dans les reliures et seront conservés sans être lus à un grand public. Ces textes ont été nécessaires dans l’apprentissage et ont une grande valeur pour l’auteur. Dans ceux-ci, on y voit une progression. On constate que l’auteur en sait plus sur l’écriture. Le volume d’écriture est bénéfique et c’est pour cette raison qu’il est encouragé et valorisé.
Puisque l’auteur écrit pour se faire lire, les élèves ont régulièrement l’occasion de publier leurs textes. Ils peuvent donc travailler à la publication d’un texte afin qu’il soit à son meilleur et qu’il puisse être lu par un grand public de lecteurs. Ces publications seront des occasions de célébrer tout le processus d’apprentissage qui se cache derrière le texte.
Le droit de lire et de s’inspirer
«Regarde ce qu’a fait l’auteur dans ce livre! As-tu vu comment il s’y est pris pour rendre ce petit moment captivant? Je pourrais l’essayer aussi dans mon texte! »
«As-tu vu ce documentaire? L’auteur utilise la ligne du temps pour représenter de façon claire la séquence des évènements. Je pense que je pourrais le faire aussi.»
«Je pense que j’ai découvert ma série préférée. Je me demande ce que l’auteur me réserve dans le prochain tome!»
Les livres sont indispensables à l’atelier d’écriture. Le temps pour lire l’est tout autant. Les élèves doivent avoir du temps de lecture qui les influencera en tant qu’auteur et qui les captivera en tant que lecteur. Ils doivent lire et observer ce qu’est et ce qui fait qu’un livre est bon ou moins bon. Si un livre les transporte vers une émotion, ils voudront aussi transporter leurs lecteurs vers une émotion. L’auteur écrit pour le lecteur. L’élève doit savoir ce que c’est que d’être lecteur. Il lui faut donc du temps pour lire seul, du temps pour lire et échanger avec un partenaire, du temps pour se faire lire aussi.
Alors, tous ces droits que l’on octroie aux élèves en vivant l’atelier d’écriture ne sont rien d’autre que des comportements authentiques d’auteurs. Une communauté d’auteurs nait dans une classe où on se comporte en auteur, où on réfléchit en auteur, où on échange en tant qu’auteur et où on accueille les essais, les tentatives, les questionnements… Cette communauté applaudit la richesse de la diversité des auteurs et célèbre les différents accomplissements de chacun. Cette communauté d’élèves auteurs qui veut en savoir plus afin d’exprimer par écrit leurs grandes idées!
Pour voir de plus près la dernière édition du livre Comme un roman, des éditions D’eux, cliquez ICI pour vous rendre sur le site de l’éditeur (il y a des extraits!!!)
Ou bien cliquez ICI pour le trouver sur le site Les libraires.ca