Un article de Martine Arpin

Il y a quelques semaines, des milliers d’étudiants s’unissaient dans les rues de Washington suite à la tuerie de Parkland en Floride. On a pu constater le désir et l’importance de se rassembler et de s’exprimer pour changer les choses. Entendre ces jeunes si articulés prendre la parole pour s’adresser aux dirigeants était touchant et impressionnant. Je débutais alors le module des textes d’opinion dans ma classe de première année et comprenait tout à coup l’importance de ce que j’enseignais aux élèves.

 

Nous devons compter sur l’éducation  pour que les enfants, ainsi que les adultes qu’ils deviendront, prennent part à la société et deviennent des citoyens engagés, ou du moins des observateurs critiques. Cela semble encore plus vrai aujourd’hui. Lucy Calkins affirme : « Enseigner l’écriture, c’est leur permettre de comprendre que ce qu’ils ont à dire est important, qu’il y a quelqu’un pour les écouter, qu’ils font partie de la société et peuvent changer les choses. » Cette réflexion sur l’atelier d’écriture prend tout son sens quand on aborde les textes d’opinion. Il s’agit d’un genre littéraire parfois plus difficile à travailler avec les élèves, surtout les plus jeunes :  quand on apprend à développer sa pensée, quand le seul fait de raconter un film ou un événement de la fin de semaine est parfois décousu, comment peut-on penser leur faire écrire leur opinion sur des sujets importants, développer des arguments et étayer leur texte avec des preuves convaincantes?

D’abord, l’expression orale revêt une importance particulière pour bien préparer les élèves à ce genre de texte.  Je réserve chaque jour dans mon horaire un temps qui permet à quelques élèves de s’exprimer sur différents sujets. Maintenant, je m’assure de diriger ces discussions en lien avec le genre de texte travaillé en écriture et/ou en lecture. Avant de commencer le module des textes d’opinion, et pendant celui-ci, nos discussions portent donc sur l’expression et la justification de leurs opinions sur différents sujets.   Quelle est ta saison préférée, peux-tu me donner deux raisons? Quel animal voudrais-tu adopter? Comment pourrais-tu convaincre tes parents? Quel est ton repas préféré? Devrait-on avoir le droit de manger des bonbons à l’école? Quel jeu aimerais-tu voir s’ajouter à la cour d’école? Selon l’âge de nos élèves, on adapte évidemment les sujets de discussions. En favorisant les échanges et les occasions de discussions, on aborde, entre autres, le vocabulaire spécifique à la prise de position et à la justification ainsi que le poids des arguments. Tout cela pourra être réinvesti dans leur textes. Comme je connais bien les stratégies que j’enseignerai, je peux préparer ce qui s’en vient, oralement, avant de passer à l’écrit.

 

Lors des lectures interactives, j’utilise aussi des albums qui favoriseront la réflexion et la prise de position. Par exemple, après avoir lu Prune et Perlette (V. LeNormand), on peut inviter les élèves à réfléchir aux traits de caractère des deux personnages et à s’identifier à l’un deux en expliquant les raisons de notre choix . Après avoir lu Ne laissez pas le pigeon conduire le bus (M.Willems), les élèves donnent leur opinion à l’oral et, en mathématiques, on crée un diagramme à pictogramme pour illustrer leurs réponses. La lecture de À quoi tu joues? (M.-S. Roger) suscite toujours des discussions intéressantes sur les jeux réservés aux filles ou aux garçons. On fournit alors, encore une fois, un contexte authentique pour les apprentissages.

 

 

L’écriture interactive et l’écriture partagée sont des dispositifs intéressants et nécessaires pour modéliser la structure des différents genres de textes, les procédés littéraires ou les conventions d’écriture avec la classe ou en petits groupes. J’aime utiliser l’album Ohé petite fourmi (P.Hoose) pour une écriture interactive et/ou partagée en groupe. On travaille la structure , les idées, la  phrase et le vocabulaire. Lors de l’écriture interactive, je tiens le crayon et les élèves élaborent le texte sous ma supervision et mes conseils. Pour l’écriture partagée, nous partageons le crayon.

 

 

Cette année, nous avons écrit à un auteur dont les textes nous ont marqués. Suite à la lecture du superbe Mon frère et moi (Y. Nadon), les élèves, qui connaissaient aussi les autres oeuvres de l’auteur et se sont mis, spontanément à échanger sur leur album préféré. La porte était grande ouverte pour écrire et partager notre coup de cœur avec l’auteur et lui faire part des raisons pour lesquelles son histoire nous avait touchés, en plus de pouvoir lui poser des questions.  Le texte a donc été commencé en écriture interactive avec toute la classe et terminé en écriture partagée en petits groupes. Durant la semaine, quatre petits groupes d’élèves ont travaillé avec moi, chacun selon leurs besoins spécifiques en lien avec les conventions d’écriture.  Nous avons pu, à la fin de la semaine, partager leur travail avec le reste du groupe avant d’envoyer la lettre à l’auteur. Les élèves attendaient une réponse écrite…c’est plutôt une visite qu’ils ont reçue…avec une invitée spéciale en prime. Quelle joie!

 

 

Aussi, quand je travaille un genre littéraire, j’aime entourer mes élèves de livres modèles qui viendront enrichir leur compréhension du genre. Ils pourront s’inspirer de ce que font les auteurs pour leurs propres textes.  Pour les textes d’opinion, les livres que je leur présente, lit et met à leur disposition démontrent un aspect intéressant dont  les élèves peuvent s’inspirer ou qui les aide tout simplement à comprendre ce que signifie donner une raison et être convaincant, avoir sa propre voix.

 

 

Le modules de la série Les ateliers d’écriture restent pour moi une source inspirante de leçons explicites pour ce genre de texte. Cette année j’ai  découvert le module qui s’adresse aux élèves de la maternelle: L’écriture peut changer le monde.  Comme toujours, avec les modules de la série, la façon de s’adresser aux élèves est imagée et motivante.  On leur fait prendre conscience  que les mots sont comme une baguette magique et qu’on peut s’en servir pour régler des problèmes dans la classe, l’école ou la maison. Cette année, les élèves de la classe de mon amie Jacynthe Bourbonnais, en première année, ont lu leurs textes à l’interphone pour sensibiliser tous les élèves de l’école aux différents problèmes qu’ils avaient envie de régler (le bruit dans les corridor, la propreté de l’école, les chicanes sur la cour…)

 

Texte de Cécilia, première année, à partir du module de maternelle

  

 

 

 

En première année, on commence par apporter une collection d’objets et juger du meilleur (ou du pire!), puis on écrit des critiques de restaurants, d’endroits, de jouets. Les élèves apprennent à nommer leur opinion, donner des raisons convaincantes, ajouter des exemples, anecdotes, appréciation et conseils.  En deuxième année, les élèves écrivent des lettres pour parler des livres qu’ils aiment. Chez les grands,  les élèves écrivent pour défendre une cause qui leur tient à coeur, ou sur un sujet qu’ils connaissent bien, et appuient leurs arguments par des recherches. Puis, ils écrivent non seulement pour défendre un point de vue mais aussi pour convaincre les autres de passer à l’action pour changer les choses, avec des arguments forts, en se basant sur des faits et des analyses. Ils écrivent aussi des essais, rien de moins, pour comparer deux romans selon un aspect choisi. D’un module à l’autre, les  procédés enseignés dès la première année et même  la maternelle reviennent et  se raffinent.

 

Texte d’une élève de 2e année, lettre pour parler d’un livre, classe d’Annie Cholette.

 

Texte d’un élève de 6e année, à partir d’un module pour le 2e cycle, classe de David Bessette.

 

Texte d’un élève de 6e année, classe de Janique Arseneault

 

Tout ceci m’impressionne tellement!

Même si le texte d’opinion ou argumentatif  ne se laisse pas approcher facilement, nous pouvons tout mettre en place pour favoriser l’intérêt des élèves et leur compétence. La progression s’appuyant toujours sur les apprentissages précédents, la répétition, les choix de sujets que les élèves ont à coeur et l’importance de partager leur opinion avec les autres permettent aux élèves, tout au long de leur parcours scolaire, de développer les compétences qui leur permettront assurément de devenir les citoyens engagés et capables de prendre la parole pour recréer le monde,  leur monde.