Un article de Martine Arpin

Ce sera bientôt la dernière journée de l’année scolaire. Ce sera la grande fête dans la cour de l’école:  barbe à papa, maïs soufflé, friandises glacées, jeux gonflables, maquillages, jeux d’eau… Quand je regarderai mes élèves courir partout, s’amuser, rire, je repenserai à la première journée d’école, le 31 août dernier. J’avais noté ceci:

Première demi-journée des élèves de première année ce matin! On a placoté, lu, dessiné pour identifier notre casier, lu encore et, bien sûr…écrit!
J’ai pu observer beaucoup de choses déjà! Je sais que je devrai aider L. à prendre des risques, elle ne veut qu’écrire des mots qu’elle connait déjà par coeur, que B. lit couramment et écrit presque de façon conventionnelle, que V. ne reconnaît que très peu de lettres et ne sait pas leurs sons, que M. se rappelle des sons de certaines consonnes mais ne sait plus à quelle graphie il correspond, que J. a écrit trois pages et était très heureux qu’il y ait des « crayons d’auteurs » dans la classe, que L. sait déjà qu’un auteur peut se relire, et qu’en se relisant, il a ajouté un mot qu’il avait oublié, que J. est rassuré quand son voisin écrit la même chose que lui, sur le même genre de feuille, que ledit voisin aura à prendre de la confiance et de l’assurance pour partager ses propres idées, que C. se questionne déjà sur l’endroit où mettre des espaces, que N. peut écrire les sons initiaux des mots, que C. est une artiste née, que E. prend des risques même si rien sur la page ne ressemble à de l’écriture, que J. met des étiquettes dans son croquis et que « si je parlais, j’aurais mis une bulle, mais je ne parlais pas. ».
Que E. aime les chats, L. est allé à Las Vegas, L. aime faire des tentes dans sa chambre, D. a un chien, J. a un bois derrière chez lui, B. est allée au bord de l’eau, J. joue au football et au hockey avec son papa, que C. a un frère et une soeur…
Et je sais que moi, j’aime voir et apprendre tout ça… c’est une des choses que je fais beaucoup plus maintenant, prendre le temps d’observer ce que font les élèves et de voir ce que je vais faire avec ça…et j’ai déjà hâte à demain!

Le 22 juin, quand je les regarderai, je prendrai le temps de penser à tout le chemin parcouru.

L.a encore quelques insécurités. Maintenant, je sais pourquoi, ce qui lui appartient et qui fera toujours partie d’elle. Elle a encore besoin de se faire dire qu’elle a toutes les stratégies, qu’elle est une auteure capable de prendre des décisions par elle-même. Mais elle écrit maintenant des pages et des pages, utilise des mots précis qui font briller ses textes, en ayant toujours ce souci de la bonne orthographe.

B. lit avec expression et fluidité. Lorsqu’elle joue à l’école dans la classe, c’est à elle que les autres demandent de lire l’histoire. Elle utilise les procédés et stratégies enseignés de façon magistrale et a compris que l’écriture permet d’exprimer ses sentiments, ses idées. Elle a sa propre voix d’auteur.

V. connait maintenant les lettres de l’alphabet et leurs sons. Malgré du soutien individuel et en petits groupes hebdomadaire, la présence de l’orthopédagogue en classe deux heures par jour et l’intervention de différents professionnels, les apprentissages sont difficiles pour elle. Elle peine encore à lire des mots. Elle écrit difficilement des phrases. Mais elle peut relire avec expression un texte connu, fait maintenant des espaces entre les mots, peut copier les mots du mur et s’exprime de façon plus spontanée, même s’il est difficile de la comprendre. Il y a un an, elle ne parlait pas français.

M. ne confond plus le nom des consonnes et leur graphie. Il comprend bien les genres de textes et écrit sur les sujets qu’il connait et qui l’intéressent.

J. est encore très productif. Comme dans tout ce qu’il fait, il est expéditif! Il doit encore apprendre à passer un peu plus de temps sur un texte avant de passer à un autre.

L. sait maintenant que lorsqu’il relit, il peut ajouter, enlever, déplacer, corriger. Et il pense à le faire à chaque fois qu’il a terminé un texte.

J. et son voisin sont toujours les meilleurs amis du monde. Quand ils inventent des personnages, ils leur donnent le prénom de l’autre, sans s’être consultés! J. est encore le leader, mais ne ressent plus le besoin de s’assurer que son ami fait la même chose que lui. Je pense maintenant que c’est lui-même qu’il cherchait à rassurer, plutôt que le contraire. Ledit voisin écrit maintenant ses propres idées (son oiseau était le sujet de PLUSIEURS textes, peu importe le genre), mais il a plus de difficulté à prendre sa place dans la cour d’école.

C. met des espaces entre les mots et se questionne maintenant sur la grammaire (« Si on met un « S » quand il y en a plus qu’un, un « X », c’est quand il y en a plus que combien? »).

N., qui écrivait les sons initiaux des mots, peut maintenant écrire ce qu’il veut.

C., l’artiste, a trouvé très difficile d’apprendre que les croquis servent à planifier et qu’on ne peut pas y passer toute la période d’écriture. Mais maintenant, on peut lire des textes étoffés à la hauteur de son talent et elle en est fière. Elle écrit aussi à la maison. Elle a un carnet d’auteur, reçu en cadeau d’un « vrai auteur », où elle note ses idées. Et quand elle écrit à la maison, elle « fait toujours une publication, c’est les vraies illustrations, pas des croquis »!

E. écrit maintenant de façon plus conventionnelle, lisible, et il continue à prendre des risques. Il est un bon modèle d’élève persévérant, qui n’a pas peur de se tromper et qui fait des tentatives, et j’espère qu’il gardera cet élan de spontanéité.

L’écriture des mots est encore fragile pour E. (fusion de mots, espaces entre les syllabes plutôt qu’entre les mots), mais elle progresse bien.

J. a toujours aussi conscience de l’utilité des stratégies enseignées, et que les choix qui lui sont proposés sont au service de son texte. Il a tellement d’idées qu’il a encore besoin de soutien pour s’assurer de la clarté de son texte, parfois.

E. aime tous les animaux, en fait. L. joue au hockey avec J. et V., D. est allée à l’Île du Prince-Édouard. C. a beaucoup aimé Alexandra. L. a une collection d’œuvres d’art. V. connait toutes les équipes de la ligue nationale. V. est allée au Mexique avec sa famille. L. adore se faire lire des histoires avant de se coucher. Quand elle veut quelque chose à la maison, E. sait très bien si elle doit demander à maman ou papa, selon ce qu’elle souhaite…C. passe beaucoup de temps en famille. N. et V. sont devenues amies en étant partenaires d’écriture. La petite sœur de L. ne prononce pas les « r » (elle a trois ans, et est un personnage marquant dans ses histoires). J. est un amateur de sports extrême. M. a surmonté sa gêne de la différence. N. connait tout sur les sirènes.

Ce sera bientôt la dernière journée de l’année scolaire. Je souhaite que, s’ils s’arrêtent un peu pour réfléchir à leur année, entre deux barbes à papa, mes élèves puissent aussi nommer les progrès qu’ils ont accompli, le travail que nous avons fait ensemble, mais aussi les choses que j’aime, les personnes qui me sont chères, ce qui est important pour moi. Je souhaite que ce que nous avons fait cette année et ce lien que nous avons créé leur ait donné l’amour des livres, des histoires, de l’écriture, des mathématiques, de l’école et des autres. Qu’ils aient trouvé ce qui les anime et les passionne. Et je me dis que je suis prête à les laisser continuer de progresser avec quelqu’un d’autre, et à accueillir les prochains qui arriveront dans ma classe en août prochain!

 

Textes d’élèves, à gauche 31 août 2017 et à droite, une page de leur texte à publier, juin 2018