Un article de Diane Bernier-Ouellette
INTRODUCTION
La communication orale est fondamentale. Dans nos écoles françaises, mes collègues et moi sommes toujours à l’affut de pratiques permettant d’accélérer le progrès de nos élèves, qui arrivent à la maternelle pour la plupart, ne possédant pas ou possédant peu de connaissances au niveau de la langue française. De plus, nous voulons être attentifs aux besoins des élèves qui n’ont pas eu la chance de développer une base solide au niveau du langage en général avant leur arrivée à l’école.
Récemment, j’ai eu l’occasion de me pencher sur deux pratiques prometteuses à ce niveau, lors d’un institut d’été avec Shanna Schwartz : « La lecture répétée d’albums pour élèves en émergence » et « Raconter des histoires à l’oral ». Dans le présent article, nous explorerons cette deuxième pratique.
Que nous soyons en contexte majoritaire ou minoritaire, tous reconnaissent que la maternelle et la 1re année sont des moments cruciaux pour développer la communication orale. Les enfants apprendront ou continueront de perfectionner leurs compétences à raconter des histoires, à partager leurs connaissances ou encore à émettre leurs opinions.
La maternelle et la première année sont des temps parfaits également pour enseigner l’écriture. Les enfants apprennent que nous pouvons communiquer nos pensées, non seulement en parlant, mais aussi par le dessin ou encore par l’écriture.
Si les élèves ne peuvent le dire, ils ne pourront pas l’écrire. En fait, on ne peut penser à enseigner l’écriture, sans penser à l’oral et à la lecture. Difficile de réfléchir aux besoins de nos lecteurs, sans penser également à leur vocabulaire.
La pratique discutée ici que nous nommons « Raconter des histoires à l’oral» permet justement d’enseigner et de s’exercer à raconter des histoires. C’est une pratique qui peut être utilisée dès le début de la maternelle, avant même de commencer l’atelier d’écriture, et elle se poursuivra tout au long de l’année ainsi qu’au cours des années subséquentes si voulu.
Plus nous avancerons, plus les histoires racontées seront longues et complexes. Les mêmes principes pourront être appliqués pour enseigner et pratiquer les autres genres de textes oraux et écrits tels que les textes informatifs et les textes d’opinion.
Dans ces situations, au lieu de raconter une histoire avec toute la classe, nous expliquerons comment faire quelque chose tel que comment faire des anges dans la neige, ou bien nous partagerons tout ce que nous savons au sujet de quelque chose tel que notre hamster de classe ou encore nous dirons à l’oral ce que nous pensons de la nouvelle aire de jeux à l’extérieur.
DÉMARCHE
Une manière d’enseigner aux enfants à raconter des histoires est de suivre le même processus que celui de l’écriture. Les élèves choisiront d’abord un petit moment à raconter (un sujet). Ensuite, ils raconteront le début, pour ensuite passer au milieu et terminer avec la fin de l’histoire (l’ébauche). Après cela, ils réviseront leur ébauche en ajoutant des détails tels que des dialogues. Finalement, ils « publieront » leur texte oral en le présentant à quelqu’un.
Dans la partie «début », il y aura un lieu, un temps, un ou des personnages. Ce ou ces personnages rencontreront un problème ou une situation. Tout au long nous en apprendrons davantage au sujet des personnages, ce qu’ils ont dit, ce qu’ils ont pensé, ce qu’ils ont ressenti. Bref, les enfants raconteront, à l’aide d’un étayage plus serré au début, des courtes histoires de la manière que nous souhaiterions qu’ils puissent les raconter et un jour les écrire de façon indépendante.
Tout au long, les élèves développeront le sens de l’histoire, sa structure, les structures de phrases, le vocabulaire, etc.
Voici un exemple de la démarche telle que nous l’avons comprise par Shanna Schwartz et telle qu’elle fut expérimentée, avec des petites modifications, dans la classe de maternelle d’Anelle Daigle, située à l’École-sur-Mer à Summerside, Île-du-Prince-Édouard.
Raconter des histoires – une démarche et un exemple
JOUR 1 Ce qu’il se passe : | |
Suite à cela, nous adressons le « quoi », c’est-à-dire, ce qui s’est passé.
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Exemple essayé en classe | |
Diane : « Mes amis, vous vous rappelez, hier, lorsque je cherchais Babar l’éléphant et que vous l’avez trouvé dans votre classe? J’ai pensé que nous pourrions nous pratiquer à raconter cette histoire. Lorsque nous aurons terminé, nous pourrons la raconter aux amis de l’autre classe de maternelle.» Lorsque nous racontons des histoires, il faut parler de l’endroit, « où » s’est passée l’histoire. Les amis, où s’est passée l’histoire de Babar? Élèves : Dans la classe de maternelle … Diane : Oui! Commençons notre histoire. Répétez après moi : « Un matin, dans la classe de maternelle … » Diane : « Les amis, dans une histoire il faut aussi parler de qui était là. Qui était dans notre histoire? Élèves : Nous! Nous! Les enfants! On jouait avec madame Anelle et madame Cindy! Diane : D’accord! Recommençons l’histoire avec où ET qui … Répétez après moi! Un matin, dans la classe de maternelle … Les enfants jouaient avec madame Anelle et madame Cindy. Diane : Les élèves, dans une histoire, il faut aussi parler de « quoi » … c’est quoi qui s’est passé dans notre histoire? Disons l’histoire encore et ajoutons le « quoi ». Pensez dans vos têtes. Les élèves : Madame Diane a cogné à la porte. Diane : Oui!!! Et ensuite … Les élèves : Elle cherchait Babar l’éléphant. Diane : D’accord! Et ensuite … Une élève : Babar était sur la corde en haut de la classe. Il a fait tombé les décorations. **(Lorsque les enfants le disent avec une grammaire d’enfants de maternelle ou langue seconde, je reformule correctement.) Diane : Wow! Oui! Babar a fait tomber les décorations!! Maintenant, racontons l’histoire encore en disant « où », « qui » et « quoi ». (Je touche les trois papillons adhésifs.) Je dis et ils répètent (un bout à la fois) Un matin, dans la classe de maternelle … Les enfants jouaient avec madame Anelle et madame Cindy. Madame Diane a cogné à la porte. Elle cherchait Babar l’éléphant. Babar était sur la corde en haut de la classe. Il a fait tomber les décorations! Diane : Quelle belle histoire au sujet de la fois où Babar a fait tomber les décorations! Les amis, nous continuerons l’histoire demain. En attendant, pensez au reste de l’histoire. |
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FIN DU JOUR 1
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**Note : Dans l’exemple précédent, Diane et Anelle sont devenues complices en ce sens que Babar fut « perdu » intentionnellement et il fut placé à un endroit stratégique dans la classe et il fut convenu à l’avance que Diane viendrait « chercher » Babar dans la classe de maternelle.
JOUR 2 Ce qu’il se passe |
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Exemple essayé en classe |
Diane : Les amis, hier nous avons commencé à raconter une histoire au sujet de la fois où Babar l’éléphant a fait tombé les décorations. Redisons notre histoire ensemble! (La redire 1 ou 2 fois). Un matin, dans la classe de maternelle … les enfants jouaient avec madame Anelle et madame Cindy. Madame Diane a cogné à la porte. Elle cherchait Babar l’éléphant. Babar était sur la corde en haut de la classe. Il a fait tomber les décorations. Diane : Les amis, qu’est-il arrivé ensuite? Tournez-vous et parlez à votre partenaire! (Je raconte la fin avec les suggestions des enfants et ils répètent.) Babar a décidé de rester dans la classe un autre jour. Babar a réparé les décorations. (Je redis l’histoire, des bouts à la fois, les élèves répètent) Puis, j’ai invité les élèves à faire des gestes en racontant. Nous avons ajouté des gestes à presque chaque phrase, ce qui entraina une intonation encore plus vivante. |
FIN DU JOUR 2
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JOUR 3 Ce qu’il se passe |
Pendant les jeux libres, il pourrait y avoir des supports pour jouer l’histoire comme des acteurs. |
Exemple essayé en classe |
Dans cet exemple, j’ai manqué de temps pour faire le jour 3 et nous l’avons sauté. J’ai remarqué que cela aurait été très profitable de prendre cette 3e journée pour bien ancrer l’histoire avant de passer aux dialogues qui seront ajoutés à la 4e journée. Donc, à ne pas faire! |
Fin du jour 3
Jour 1 : Débute l’histoire. Jour 2 : Complète l’histoire. Jour 3 : Répète l’histoire. |
JOUR 4 Ce qu’il se passe |
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Exemple essayé en classe |
Diane : Les amis, aidez-moi à raconter notre histoire! (Nous racontons l’histoire une ou deux fois avec les gestes.) Diane : Les amis, je crois que nous pourrions ajouter des détails à cette histoire. Par exemple, s’il y a des personnes qui ont parlé dans notre histoire! Qui a parlé lorsque je suis venue chercher pour Babar? Pensez bien … Un élève : Oui!!! Tu as dit : «Avez-vous vu Babar l’éléphant?» Une autre élève : Lucy a dit : « Est-ce que c’est lui sur la corde? » Une autre élève : Madame Diane a répondu : «Oui! C’est Babar!!» Diane : Wow! Vous vous rappelez ce que les personnes ont dit! Ajoutons cela à notre histoire! Je vais raconter et vous allez répéter. Un matin, dans la classe de maternelle … les enfants jouaient avec madame Anelle et madame Cindy. Madame Diane a cogné à la porte. Elle cherchait Babar l’éléphant. Elle a dit : « Avez-vous vu Babar l’éléphant? C’est le toutou de bébé Antoine! » Lucy a dit : «Est-ce que c’est lui sur la corde? » Madame Diane a répondu « Oui! C’est Babar!» Babar était sur la corde en haut de la classe. Il a fait tombé les décorations. Babar a décidé de rester dans la classe un autre jour. Babar a réparé les décorations. (Je dis l’histoire, des bouts à la fois, ils répètent. Nous faisons cela quelques fois.) |
Fin du jour 4
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Jour 5 Ce qu’il se passe |
Pour cette cinquième journée, afin de réviser l’histoire, l’enseignante pourrait choisir un procédé littéraire à ajouter à l’histoire. Dans cet exemple, nous avons choisi d’ajouter des sentiments mais on aurait pu choisir un autre procédé littéraire. |
Exemple essayé en classe |
Diane : Demain, nous allons raconter notre histoire à nos amis de l’autre maternelle. Mais avant de faire cela, nous pourrions ajouter une autre chose à notre histoire. Les élèves, avant de présenter notre histoire à nos amis, nous pourrions penser à des sentiments que nous avons remarqués dans notre histoire. Par exemple, est-ce que quelqu’un a été triste ou fâché ou encore content dans l’histoire? Un élève : Madame Anelle était un peu fâchée quand Babar a fait tomber les décorations! Diane : Ah oui!! Nous pourrions ajouter cela à notre histoire pour la rendre encore plus intéressante. Je vais raconter notre histoire et vous allez la répéter. Nous avons fait cela à 3 ou 4 reprises avec les gestes et beaucoup d’expression. |
Fin du jour 5
*Note au sujet de l’expérience en classe : Il est devenu évident au jour 5 que l’histoire commençait à devenir un peu longue pour certains des élèves de cette classe. Après tout, plusieurs d’entre eux étaient arrivés quelques semaines plus tôt ne sachant aucun mot de français. Nous aurions pu nous arrêter après la 4e journée. Cela dit, il y avait tout de même des élèves pour lesquels l’histoire était dans leur zone instructive, qui réussissait à dire plusieurs des phrases avec l’enseignante. Nous voyons donc d’un bon œil, l’idée de raconter des histoires avec toute la classe en offrant un petit défi aux élèves. Nous sommes là pour les appuyer. Nous pouvons également en raconter d’autres qui seront taillées sur mesure dans les groupes de francisation. |
ET APRÈS … on publie!
Tel que mentionné, nous avons passé à travers le même processus à l’oral que celui que nous traversons lors de l’écriture d’une histoire. Nous avons : pensé à une idée, débuté une ébauche, continué l’ébauche, révisé l’histoire.
Maintenant, nous publions. Publier à l’oral signifie présenter notre histoire à un public avec les gestes. Dans notre situation, l’équipe des mentors est venue écouter l’histoire puisque nous étions en train de nous approprier la pratique. Aussi, elle fut présentée aux élèves de l’autre classe de maternelle.
Le tout peut être suivi par une situation d’écriture partagée/interactive de l’histoire qui fut racontée à l’oral. À ce moment-là, l’enseignante pourrait travailler certains concepts tels : les concepts de l’écrit, des mots usuels, des sons initiaux, etc.
Après avoir vécu la démarche Raconter des histoires à l’oral en grand groupe plusieurs fois, inviter les élèves à raconter leurs propres histoires. Nous pouvons placer les élèves en dyades afin qu’ils puissent raconter leur histoire à leur partenaire tout en les guidant comme suit.
Jour 1 :
- Pense à un endroit où tu étais (placer le papillon adhésif « Où » sous la caméra.
- Pense à qui était là. (Papillon adhésif « Qui »)
- Pense à ce qui s’est passé. (Papillon adhésif « Quoi »)
- Avec ton partenaire, débute ton histoire.
Donner le temps aux partenaires A et B pour raconter leur histoire.
Jour 2 :
- Redis ton histoire à toi-même.
- Maintenant, redis ton histoire à ton partenaire.
Jour 3 :
- Redis ton histoire à quelqu’un d’autre dans la classe ou à un petit groupe.
Jour 4:
- Ajoute du dialogue
Jour 5:
- Ajoute des sentiments ou autres actions (ou autres procédés littéraires tels que « montrer au lieu de dire »).
- Ma dyade peut la dire à une autre dyade.
Appliquer le processus à d’autres genres
Tel que mentionné au début de l’article, le même processus peut être appliqué avant de procéder à l’écriture d’autres genres littéraires. Nous voulons que les élèves écrivent des textes « Comment faire » alors nous prenons du temps bien avant le module, de créer des textes oraux « Comment faire » avec le groupe-classe. Il s’agit alors de choisir un sujet que tous les élèves pourront réaliser comme, par exemple, un sandwich au beurre d’arachide.
Tout comme les histoires, il s’agira parfois de semer, de provoquer un petit évènement ou d’apprendre une habileté afin d’assurer que tous les élèves puissent participer à la construction du texte oral.