Un article de Marjorie Kuenzi

Lors de discussion avec des collègues qui souhaitent débuter les ateliers ou sur le groupe Facebook dédié aux ateliers, la question qui revient le plus fréquemment est :

– Quel module choisir pour commencer ? Est-ce que je choisis en fonction de l’âge de mes élèves ou est-ce que je débute avec un des premiers modules ?

Je me suis posé cette question aussi et je me la pose encore quand j’ai une nouvelle classe, que je change de niveau d’enseignement ou lorsque j’accompagne des collègues dans le démarrage des ateliers dans leur classe. J’ai eu la chance de découvrir les ateliers d’écriture grâce à Yves Nadon lors de conférences en Suisse, puis Martine Arpin et Marlyn Grant m’ont accueillie en stage dans leur classe au Québec. J’ai été vraiment impressionnée par le volume et la quantité d’écriture produite par des élèves de 1ère (3H en Suisse), au mois d’avril, après quelques mois d’enseignement explicite de stratégies d’écriture. Je travaillais à cette période dans une école spécialisée avec des élèves ayant des troubles du langage et des apprentissages. Bien qu’ayant des élèves de 10-13 ans, j’ai choisi de démarrer avec le module « Écrire des textes narratifs inspirés de nos petits moments » car cela me semblait être une base indispensable pour des élèves n’ayant jamais vécu les ateliers et étant en grande difficulté avec l’écriture. J’ai repris cette année une classe de 3ème (5H en Suisse) en école régulière. J’ai à nouveau fait le choix de recommencer avec le module des petits moments bien que mes élèves soient plus grands que l’âge indiqué sur la couverture du module narratif.

Pourquoi ce choix et ne pas se lancer directement dans le module en lien avec l’âge de mes élèves ?

Les modules des ateliers d’écriture sont construits en spirale, c’est à dire qu’ils se basent sur ce qui a été enseigné auparavant et ajoutent des éléments au fil des années. Les processus rédactionnels de bases, si importants, sont donc enseignés dans les premiers modules et complétés au fur et à mesure des leçons enseignées.

Utiliser le premier livre m’a permis de prendre connaissance, en même temps que mes élèves, de ce fameux processus d’écriture dont je n’avais jamais entendu parler en tant qu’élève, ni plus tard en suivant une formation pour devenir enseignante. Par chance, l’enseignement de l’écriture évolue depuis plusieurs années grâce à des chercheurs qui se sont intéressés aux pratiques des scripteurs experts.

 

Parallèlement à l’apprentissage des ateliers avec mes élèves j’ai dû faire l’apprentissage d’un genre moins fréquemment utilisé dans mon quotidien, l’écriture scientifique pour rédiger un mémoire sur les ateliers d’écriture. Ceci m’a donné l’occasion de mieux connaître les processus rédactionnels à travers de nombreuses lectures dont je partage quelques extraits avec vous ci-dessous :

Le premier modèle d’écriture en psychologie cognitive basé sur les scripteurs experts est celui de Hayes et Flowers en 1980 (Favart & Olive, 2005, p. 276).

Figure 1: Les composants cognitifs de la production écrite selon Hayes et Flower (1980). 


Ce modèle met en avant trois composantes de la tâche d’écriture :

– L’environnement de la tâche.

– La mémoire à long terme.

– Les processus rédactionnels : la planification, la mise en texte et la révision.

Plusieurs chercheurs ont complété ou fait évoluer le modèle de Hayes et Flower, notamment en présentant l’importance de la mémoire de travail. Des sous-catégories sont également apparues pour définir plus précisément certaines notions, mais le modèle de Hayes et Flower reste actuel et constitue une référence de base.

Les processus rédactionnels peuvent être décrits ainsi :

La planification consiste à chercher des idées et à les organiser. C’est un moment d’établissement des objectifs d’écriture. Quel contenu, quelle forme et pour qui ? La recherche d’idées est en lien avec la mémoire à long terme dans laquelle le scripteur va aller puiser des connaissances.

La mise en texte désigne le moment de rédiger selon les buts définis en planification. Elle porte sur la dimension langagière (Fayol, 2017).

– La révision ou retour sur le texte selon Fayol (2017) est l’opération qui a pour but d’améliorer le texte existant. Cela consiste à relire la production comme un lecteur pour y détecter ce qui n’est pas clair, les manques ou les erreurs.

Ce modèle n’est pas linéaire. Il y a une interactivité entre les trois processus. Un scripteur expert passe d’un processus à l’autre à tout moment (Allal, 2015). Fayol (2017) mentionne que le processus de planification est le plus coûteux des trois, suivi par celui de la révision et que le bon fonctionnement des trois composantes est nécessaire pour rédiger des textes.

Il est donc très important d’enseigner ces processus aux élèves car cela les accompagnera leur vie entière.

Il est également à souligner que plusieurs auteurs mettent en avant que la production écrite et ses trois processus rédactionnels sont une activité coûteuse en mémoire et en attention et demandent des traitements considérables sur le système cognitif, même pour les adultes (Fayol, 2017 ; Kellogg, 1987, cité par Favart & Olive, 2005). Produire de l’écrit demande donc de prendre en compte plusieurs paramètres à la fois et tout gérer est particulièrement difficile pour tout un chacun, donc encore plus pour des élèves ayant des troubles du langage et/ou d’apprentissage.

Hayes (1996, cité par Boyer, 2011) a montré que les habiletés à écrire se développent tout au long de la scolarité. La notion de mémoire à court terme est aussi relevée par le chercheur pour expliquer que le jeune scripteur a des limites pour tout gérer au début. Le scripteur débutant emploiera souvent la stratégie des connaissances rapportées. Il s’agit de transférer une information récupérée dans sa mémoire à long terme, en commençant par un court moment de planification, suivi directement par une mise en texte, sans recherche. Cette stratégie a été définie comme « knowledge telling » par Bereiter et Scardamalia (1987, cité par Favart & Olive, 2005).

Boyer (2011) précise également que :

Chez un jeune scripteur, la mise en texte ressemble donc à un processus d’addition de phrases successives, l’élève retournant rarement en arrière pour avoir une vue d’ensemble de ce qui a été déjà écrit. Aussi, la révision est presque inexistante en début d’apprentissage, toute l’attention de l’élève étant centrée sur la graphomotricité et l’orthographe. Ce n’est que très graduellement que la révision s’applique au contenu et prend compte du texte dans son ensemble. (p. 6)

Il en ressort évidemment que les textes sont moins cohérents que ceux des scripteurs plus experts qui gèrent mieux les processus rédactionnels (Kervyn & Faux, 2014). La révision ou la réécriture est donc particulièrement rare chez les scripteurs débutants ou en difficultés (Legros, Crinon & Marin, 2006).

Le scripteur expert est capable d’interactions entre les différents processus rédactionnels et la planification intervient dans toutes les phases (Crinon & Marin, 2014 ; Legros, Crinon & Marin, 2006). Selon les recherches d’Alamargot et Chaquoy (2001, cités par Blain & Cavanagh, 2014), le scripteur habile mobilise des processus de haut niveau pour créer un texte cohérent et choisit des stratégies adéquates. Il jongle avec les trois processus rédactionnels pour récupérer des informations en mémoire, les transcrire tout en vérifiant la cohérence.

Voilà pourquoi je continue de choisir le module des petits moments tant que mes élèves débuteront leurs pratiques d’atelier d’écriture en arrivant dans ma classe.

Il me tarde que les ateliers d’écriture soient enseignés par mes collègues des classes précédentes pour que je puisse mette en place les modules suivants et en découvrir et en apprendre encore plus avec les élèves et que nous devenions des scripteurs experts!

 

 

 

 

 

 

 

 

Références bibliographiques :

Allal, L. (2015). Apprendre à produire des textes en situation scolaire. In M. Crahay & M. Dutrévis (Eds.), Psychologie des apprentissages scolaires (pp. 341-359). Louvain-la-Neuve : De Boeck supérieur

Blain, S., & Cavanagh, M. (2014). Enseignement explicite des stratégies de planification et ses effets sur la cohérence textuelle : résultats d’une recherche menée avec des élèves francophones du Nouveau-Brunswick et de l’Alberta. Langage and literacy, 16(2),17-37.

Boyer, M.-C. (2011). Ecrire au primaire. Programme de recherche sur l’écriture. Consulté le 22 septembre 2017 à partir de : http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/PSG/recherche_evaluation/EcrirePrimaire_ProgRechercheEcriture.pdf

Crinon, J., & Marin, B. (2014). La production écrite, entre contraintes et expression. Paris : Nathan.

Favart, M., & Olive, T. (2005). Modèles et méthode d’étude de la production écrite. Psychologie française, 50(3), 273-285.

Fayol, M. (2017). L’acquisition de l’écrit. Paris : PUF.

Kervyn, B., & Faux, J. (2014). Avant-texte, planification, révision, brouillon, réécriture : quel espace didactique notionnel pour l’entrée en écriture ? Pratiques [en ligne], 161-162.
Consulté le 04.07.17 à partir de : https://pratiques.revues.org/2172

Legros, J., Crinon, J., & Marin, B. (2006). Réécrire et apprendre à réécrire : le rôle d’une base de données textuelles. Langages, 164, 98-112.