Un article de Diane Bernier-Ouelette

En juin dernier, j’ai passé une semaine à approfondir l’enseignement à la maternelle avec Shanna Schwartz, une leadeur principale pour les classes de la maternelle à la 2e année au Teachers College, et Marie Mounteer, une enseignante du préscolaire qui offre du perfectionnement pédagogique au Teachers College. Bien que certaines des pratiques présentées au cours de la semaine ressemblent à ce que nous tentons d’implanter dans les écoles de ma province, il y en a deux qui étaient nouvelles à mes yeux et qui m’ont semblé avoir un grand potentiel pour les élèves de nos écoles situées dans un contexte linguistique minoritaire : « La lecture répétée d’albums pour lecteurs en émergence » et « Raconter des histoires à l’oral » (Storytelling, dont il sera question dans un autre article).  Les deux pratiques sont bien sûr également pertinentes pour les élèves d’un contexte majoritaire.

Cet automne j’ai fait des recherches pour mieux comprendre ces pratiques et j’ai complété des essais en salle de classe qui m’ont convaincue de leur puissance pour enrichir le bagage langagier de nos élèves en plus de nombreux autres bienfaits. Dans cet article je vous présenterai la première pratique : La lecture  répétée d’albums pour les lecteurs en émergence.

En juin dernier, j’ai passé une semaine à approfondir l’enseignement à la maternelle avec Shanna Schwartz, une leadeur principale pour les classes de la maternelle à la 2eannée au Teachers College, et Marie Mounteer, une enseignante du préscolaire qui offre du perfectionnement pédagogique au Teachers College. Bien que certaines des pratiques présentées au cours de la semaine ressemblent à ce que nous tentons d’implanter dans les écoles de ma province, il y en a deux qui étaient nouvelles à mes yeux et qui m’ont semblé avoir un grand potentiel pour les élèves de nos écoles situées dans un contexte linguistique minoritaire : « La lecture répétée d’albums pour lecteurs en émergence » et « Raconter des histoires à l’oral » (Storytelling, dont il sera question dans un autre article).  Les deux pratiques sont bien sûr également pertinentes pour les élèves d’un contexte majoritaire.

La lecture répétée d’albums pour lecteurs en émergence

L’origine de cette pratique

Vous êtes-vous déjà demandés ce que les élèves lisent en lecture indépendante à la maternelle dans la période de temps qui précède la lecture conventionnelle?   

Si vous avez des enfants ou des petits-enfants d’âge préscolaire, vous les avez surement observés, le cœur attendri, en train de « relire » en vous imitant, des livres que vous leur aurez lus à maintes reprises.

Pensons donc d’abord à que font les parents de foyers stimulants sur le plan langagier et cognitif avec leurs enfants qui n’ont pas encore appris à lire de façon conventionnelle : ils leur lisent des tonnes de livres. Ces moments de lecture sont des moments joyeux où parents et enfants prennent plaisir à converser autour des illustrations, à adopter la voix des personnages, à s’exclamer devant des parties particulièrement captivantes.

Puis certains de ces livres seront relus et relus à volonté, selon les désirs de l’enfant!  Ces enfants seront souvent par la suite, ceux pour qui apprendre à lire sera facile. 

Sachant que plusieurs enfants nous arrivent à l’école n’ayant pas eu cette chance de ce faire lire des livres et encore moins de façon répétée, il est dont logique qu’une pratique essentielle à instaurer à la maternelle (et au préscolaire ainsi qu’à la maison bien sûr) est de lire et de relire des livres d’histoires.  En contexte linguistique minoritaire ou de langue seconde, cette lecture et relecture de livre viendra beaucoup nourrir le développement de la langue.   

À mes tous débuts comme enseignante en première année, un des premiers chercheurs qui a influencé ma pratique fut Don Holdaway. À la fin des années soixante-dix, celui-ci a révolutionné l’enseignement de la lecture lorsqu’il s’est posé la question : « Pourquoi y a-t-il des enfants qui arrivent à l’école sachant déjà lire? » Cette question l’a mené à faire des recherches dans les familles de lecteurs précoces et de lecteurs apprenant facilement à lire suite à leur entrée à l’école et ensuite à populariser la lecture partagée de livres et de textes agrandis telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Le concept de lecture répétée d’albums semble avoir la même origine mais avec de légères différences que nous aborderons ici. Il fut étudié plus particulièrement par Elizabeth Sulzby, une chercheuse de renommée chez les enfants d’âge préscolaire et à la maternelle.  Voici deux hyperliens qui vous mèneront au travail de cette chercheuse.  

https://www.sulzby.com/bio.html

http://umich.academia.edu/ESulzby

Informations pour l’enseignante

Alors comment se passe la lecture répétée d’albums pour les lecteurs en émergence? 

À tous les jours, l’enseignante de maternelle lira, comme de raison, une variété de livres à voix haute : des albums, des livres d’information, des chansons, des poèmes. Elle les lira normalement une fois et le lendemain elle passera à d’autres livres. Tout cela est important car les enfants ont besoin de rencontrer de nombreux livres variés.

Mais à chaque jour nous suggérons qu’elle lise également (en plus de ce qui vient d’être mentionné) un livre particulier et important minutieusement choisi, pour les lecteurs en émergence. Ce livre sera relu le lendemain et le surlendemain, enfin quelques jours de suite comme le font plusieurs parents à la maison. (Selon Sulzby, ces livres doivent posséder quelques critères particuliers qui sont précisés à la fin de l’article.)

Puis l’enseignante placera à la disposition des enfants des copies de ces mêmes livres. Soit elle les laissera « trainer » dans sa classe, ou bien elle les placera dans un panier spécial, afin que les élèves puissent les « lire » pendant l’atelier de lecture ou à d’autres moments pendant la journée.

Grâce à ces relectures de la part de l’enseignante, les enfants connaitront les histoires vraiment bien et bientôt ils commenceront à parler des illustrations puis à redire l’histoire qui va avec les pages et les illustrations. Certains enfants vont même pointer les mots et « lire ». Tout ceci développera un amour pour le langage/les livres, une compréhension émergente de comment fonctionne la lecture ainsi que les sources informations qui serviront plus tard à faire appel au sens et à la structure lorsque l’enfant sera en mesure de lire de façon conventionnelle.

Quelques conseils pour rendre votre lecture engageante et pour favoriser la relecture par les enfants.  

  1. Rendre votre voix la plus expressive que possible.
  2. Pointer les illustrations en lisant.
  3. Utiliser les gestes et mimer l’histoire avec vos mains et votre corps en lisant.

Différence entre la lecture répétée d’albums pour les élèves en émergence et la lecture partagée qui comprennent toutes deux plusieurs relectures

Il existe quelques différences entre la lecture répétée d’albums et la lecture partagée. Mon interprétation est qu’une façon de les distinguer est de penser que lorsque les élèves liront de façon conventionnelle et indépendante, comme nous le savons, ils feront appel au sens, à la syntaxe et aux indices visuels.  Les deux situations de lecture aideront à développer les trois sources d’informations mais la lecture partagée sera celle qui aidera à développer davantage le visuel (la grapho-phonétique, la banque de mots usuels, la technique de la lecture, etc.) tandis que la lecture répétée d’histoires aidera à développer davantage le sens et la syntaxe. 

  Lecture répétée d’albums Lecture partagée
Buts Que l’élève puisse redire les histoires entendues en « relisant » le livre à l’aide des illustrations et en se fiant à ce qu’il a entendu à maintes et maintes reprises. Que l’élève puisse intérioriser des histoires ayant un début, un milieu et une fin et s’imprégner du langage littéraire. Développer le bagage nécessaire pour faire appel au sens et à la structure pour lire. S’approprier les stratégies de lecture telles que s’auto-vérifier pour les trois types d’indices : le sens, la syntaxe, le visuel. Développer les concepts de l’écrit, les mots usuels, la connaissance des éléments grapho-phonétiques. 
Texte Le livre est un livre de lecture pour la lecture à voix haute. À la 3e ou 4erelecture, il pourrait être utile de placer le livre sous la caméra de document pour la relecture par l’enseignante. Des histoires agrandies, des poèmes, des comptines, des chansons, le message du matin, des textes informatifs, etc. Le texte est agrandi. Les élèves peuvent le voir en tout temps.
Ce qui se passe L’enseignante lit le livre. L’enseignante ne pointe pas. L’enseignante ne s’attend pas à ce que les élèves puissent lire les mots (quoique certains élèves le feront à un moment donné) Les élèves lisent avec l’enseignante. L’enseignante pointe les mots. À un moment donné, l’enseignante s’attendra à ce que l’élève puisse lire les mots.

 

Un continuum d’évolution des lecteurs en émergence

Jusqu’à récemment, lorsque nous parlions de lecteurs en émergence dans ma province, nous les placions tous dans la même catégorie, c’est-à-dire ils étaient tous des lecteurs qui ne lisaient pas encore de façon conventionnelle. 

Sulzby a créé un continuum afin de clarifier davantage comment évolue le lecteur en émergence que je trouve très aidant. Ce continuum débute avec les enfants qui, après avoir entendus la lecture répétée de certains livres, les « relisent » en étiquetant des parties du livre jusqu’à ceux qui les lisent de façon plus conventionnelle.  Le continuum de Sulzby fut cité et reformulé par Calkins dans A Guide to the Reading Workshop (Primary)

Ce continuum sera très utile pour nous aider à observer nos lecteurs en émergence afin de déterminer l’impact de nos lectures répétées d’albums (et de nos autres pratiques) sur le développement langagier et l’habileté à faire appel au sens et à la structure de nos élèves à la maternelle. Ces observations guideront notre enseignement.

Calkins nous rappelle que Marie Clay a réitéré l’importance d’un tel continuum lorsqu’elle a dit : «L’attention aux propriétés formelles de l’écrit et à la correspondance grapho-phonétique sont les étapes finales dans une progression et non le point d’entrée dans notre compréhension de ce qu’est le langage écrit. » (traduction libre)

Voici une traduction et une adaptation libres du continuum de Sulzby.

Catégories de lecteurs émergents Implications pour l’enseignement
(Niveaux 1-2 de Sulzby) L’élève refuse de « lire » le livre car « ils ne sait pas comment ».  OU il pointe les illustrations, nomme certaines choses ou parle des illustrations indépendamment de l’histoire. Pas d’histoire encore, juste des commentaires.  L’élève a besoin d’entendre et de réentendre les histoires … comme lorsque nous lisons des histoires au dodo de nos enfants.  Les enseignants interagissent avec le texte et les élèves, créant une atmosphère joyeuse autour de la lecture et de la relecture.  Il est important que les textes soient très intéressants. Le but est que les élèves entendent beaucoup d’histoires riches ainsi que le « langage des livres » afin qu’ils puissent l’intérioriser et l’imiter.  
(Niveaux 3-4 de Sulzby) L’élève commence à « raconter des histoires » mais ça « sonnera » comme son langage oral naturel à lui/elle au lieu du « langage des livres »  Vous entendrez les élèves dire « La maman dit » au lieu de « dit la maman ». L’enfant pourrait utiliser des voix pour indiquer quand les différents personnages parlent.  Continuer de lire et de relire des livres d’histoires de qualité.  Poser des questions telles «Que pensez-vous se passe sur cette page? et « Que pensez-vous arrivera ensuite? » (au lieu de « Que vois-tu sur la page – qui entraine « l’étiquetage »). Ces interactions aideront les élèves à apprendre à faire des liens entre les illustrations et les histoires à travers les pages.  « Lire » les livres en employant le langage littéraire aidera les élèves à se souvenir de cette syntaxe ce qui leur servira plus tard dans leur propre lecture indépendante. 
(Niveaux 5 à 7 de Sulzby) L’élève redit le livre et ça « sonne » comme une vraie histoire. L’enfant parle en utilisant le « langage des livres ».          Donner la chance aux enfants d’écrire devient extrêmement important à ces niveaux puisque cela les aide à comprendre que le mot écrit est porteur de sens. La lecture partagée est également cruciale. Les enseignants utilisent cette situation de lecture pour pointer les mots du texte qu’ils lisent afin de renforcer les concepts de direction et de correspondance mot lu-mot écrit.  Continuer à lire et à relire à voix haute demeure essentiel. 
(Niveaux 8-11 de Sulzby) Les enfants à ce niveau reconnaissent que c’est l’imprimé qui dicte les mots à lire sur la page.   À ce niveau il se pourrait que l’enfant refuse de redire « relire » l’histoire car il/elle s’inquiète que son langage ne corresponde pas au texte. Elle pourrait reconnaitre quelques mots sur la page et s’accrocher à ces mots pour lire le texte. L’enfant à ce niveau pourrait même être capable de lire les livres de façonconventionnelle.     Continuer toutes les situations d’écriture et de lecture.   Les élèves développeront leurs concepts de l’écrit, leur connaissance de quelques mots usuels en lisant et en écrivant.  Les élèves à ces niveaux sont prêts pour du travail plus sophistiqué. Faire le rappel et faire faire le rappel de ce que les vous lisez et de qu’ils lisent.   La lecture partagée et à voix haute demeurent essentielles pour les aider à évoluer comme lecteurs.

 

Ici, visionnez une vidéo d’un enfant de 3 ans, à la maison, qui fait la lecture à sa petite soeur de l’album Une patate à vélo (E. Gravel). Il serait aux niveaux 5 à 7 de l’échelle de Sulzby.

https://www.facebook.com/jessica.laurin.5/videos/1933396023345707/

Comment choisir des livres à lire dans le cadre des lectures à voix haute répétées pour les lecteurs en émergence

Sulzby nous aide dans le choix des livres en nous proposant les critères suivants.   

  1. Ces livres doivent avoir un/des personnages, un problème et une solution.
  2. Ces livres ont des illustrations qui correspondent à ce que dit le texte sur chaque page. Critère crucial.
  3. Ces livres doivent être intéressants et engageants. Ce sont les livres que les élèves aiment entendre et réentendre.
  4. Ces livres sont mémorables. Souvent il y a une phrase qui se répète à quelques fois ou un refrain qui aide les enfants à se rappeler l’histoire. (Ex : Et le loup souffla et souffla … Tip, tap, le bouc traversa le pont.)
  5. Ces livres contiennent du langage riche et littéraire.

Voici des exemples de livres suggérés en anglais qui pourraient être disponibles dans vos écoles, en français.

 

L’équipe de l’École-sur-Mer de Summerside a également débuté une liste de livres que voici. Ils n’ont pas tous été «essayés ».  

  • La petite tortue  
  • S’il-vous-plait M. Panda
  • Merci M. Panda
  • Pat le chat (J’adore mes souliers blancs)
  • J’aime mes boutons ronds
  • La petite souris, la petite fraise et le gros ours affamé
  • Patouche la mouche 
  • 10 dans un lit
  • Aboie Georges
  • Non David
  • La grenouille à grande bouche
  • Rendez-moi mon chapeau
  • Nous avons trouvé un chapeau
  • J’ai volé un chapeau
  • Joyeux Noël petite souris
  • Tu as un oiseau sur la tête
  • La chenille qui fait des trous
  • Ours blanc et sa culotte
  • Bouche d’or et les 3 ours (Fleurus)
  • Loup loup y es-tu (Ramos)