Un article de Martine Arpin
L’idéal, ce serait d’avoir tellement aplani la courbe qu’elle ait disparu et que la vie reprenne son cours.
L’idéal, ce serait d’avoir vaincu le virus avec ces deux semaines de distanciation physique (je préfère la distanciation physique que sociale…).
L’idéal, ce serait de pouvoir retourner en classe maintenant et que les professionnels de l’éducation reprennent là où ils avaient laissé.
Mais la situation que nous vivons est loin d’être idéale…
Deux semaines, pour moi, ça allait. Juste prendre le temps de vivre, être ensemble, lire, bien sûr. Pas besoin de travailler à distance, un peu le prolongement des vacances. Chez moi, pas de travaux obligatoires supplémentaires pour les enfants. Prendre le temps de prendre le temps, un luxe que l’on n’a jamais. Nos jeunes non plus. Pas d’horaire. Apprécier. Jouer à des jeux de société. Jouer dehors, un mètre de distance. Chercher des arc-en-ciel dans le quartier. Évidemment, pour ceux qui doivent travailler de la maison ET gérer les petits, c’était une autre histoire, j’en conviens.
Maintenant, on annonce plus d’un mois de fermeture des écoles. On se doutait bien que c’est ce qui se passerait, mais on espérait quand même un peu…
Beaucoup de questions légitimes se posent : oui, lire, lire, lire, c’est bien. Jouer à des jeux de société. Faire une promenade. Écrire un carnet de congé. Mais durant plus d’un mois, on fait le tour rapidement. On veut prendre le temps de vivre, mais on ne veut pas d’un « COVID-19 drop-out », allusion à cette fameuse « dégringolade de l’été » qui touche tous les élèves après les vacances, mais particulièrement les plus jeunes et surtout nos élèves plus fragiles. Et j’ai une pensée pour tous ces enfants dont le milieu sécuritaire est l’école, émotivement ou physiquement. Pour les parents qui se sentiront démunis devant la pression que la situation met sur leur famille.
On ne veut pas, et on ne doit pas demander aux parents de se transformer en mini-prof. Premièrement, ce serait une insulte à notre profession. Mais surtout, ce serait en mettre beaucoup sur les épaules de plusieurs familles, qui doivent composer avec toutes sortes de stress et d’obligations. On le sait, c’est toujours plus complexe, de toute façon, avec nos propres enfants qu’avec ceux des autres, même quand il s’agit de notre domaine…
Alors quelle est la solution ? Moi qui adore lire les experts et me fier aux sciences de l’éducation, je sais qu’il y a rarement consensus. Il n’y en aura pas ici non plus. On entend et on lit, depuis une semaine, plusieurs opinions : ne rien faire de spécifique, pour que tout le monde reparte sur le même pied au retour. Offrir des choses spécifiques, pour éviter les retards dans les apprentissages. Ne rien offrir, car cela pourrait creuser un écart encore plus grand pour certains élèves qui sont souvent déjà fragiles et sont dans un milieu familial ne pouvant leur offrir de soutien adéquat, pour toutes sortes de raisons. Offrir des choses spécifiques pour éviter de creuser un écart encore plus grand pour certains élèves déjà fragiles et qui sont dans un milieu qui ne demande qu’à leur offrir un soutien adéquat. Offrir quand même des options pour permettre à ceux qui veulent et peuvent soutenir leur enfant de le faire.
Je lis plusieurs publications sur les réseaux sociaux à propos de ce qui devrait être fait ou ne pas être fait à la maison. Je lis différentes opinions. J’essaie de ne pas être dans le jugement. Autant dans ce que je trouve « trop », de prime abord, que de ce qui pourrait être vu comme « pas assez ». De penser aux mille réalités différentes des familles que nous côtoyons. J’essaie de voir tout cela avec nuance.
Je n’ai pas LA réponse. Je n’ai pas de solution miracle. Comme nous le répète monsieur Arruda depuis une semaine, on ne peut pas prédire l’avenir, mais on peut essayer d’éviter le pire. Et on ne saura probablement qu’après tout cela l’impact de nos actions, autant socialement, médicalement que pédagogiquement. Il y aurait beaucoup à réfléchir sur les attentes et les finalités de notre système d’éducation, les pratiques, ces écarts entre la pauvreté et la richesse, le besoin de culture que deux semaines de pause mettent en lumière.
Ce que je conclus, c’est que pour prendre une décision, j’ai envie de faire comme pour toutes les décisions que je prends pour mes élèves: revenir aux principes éducatifs auxquels je crois. Mes valeurs. Les raisons pour lesquelles j’enseigne de la façon dont j’enseigne. Ce que je voudrais, c’est garder un lien avec mes élèves. Avec moi, mais aussi entre eux. Pour l’instant, il ne peut être que virtuel. Les courriels, les vidéoconférences par certaines plateformes, peut-être. Je pense à Zoom, entre autres. J’ai envie de recréer le lien que nous avions ensemble, la communauté d’apprentissage que nous avons créée en classe. Les échanges sur les lectures, la révision des textes avec le partenaire, se raconter nos vies, s’intéresser aux autres… J’ai envie de leur lire des livres que j’aime. J’ai envie qu’ils me parlent des livres qu’ils lisent, de ce qu’ils font. Je n’ai pas envie qu’ils fassent des exercices hors de sens et loin de ce que j’essaie de proposer toute l’année. Étrangement, on dirait que la situation m’amène au cœur de ce que Lucy Calkins nous répète si souvent : Comment faire en sorte que la lecture et l’écriture fassent partie de la vie de nos élèves en dehors de l’école et ne restent pas pour eux qu’une tâche scolaire ?
Alors je vais proposer des suggestions aux parents. J’ai pensé à toutes les routines que nous avons dans notre horaire de classe et réfléchi à des suggestions. J’ai emprunté de bonnes idées partagées depuis quelques jours ici et là. J’ai discuté avec Isabelle. Je veux partager les tableaux d’ancrage de la classe. Créer un réseau pour favoriser les échanges entre nous, notre classe. Il y a beaucoup à réfléchir encore, une façon d’organiser efficacement tout ça, prévoir des moments communs etc, mais c’est un début, et ceux qui voudront et pourront travailler avec leur enfant auront un contexte signifiant pour le faire. Je ne vais pas donner d’horaire, je vais suggérer des façons de travailler qui auront du sens. Et je sais très bien que pour plusieurs, ce sera bienvenu, parce que je l’entends souvent, et je l’ai vécu en tant que parent, si ça vient de « Martine », alors ce sera plus facile de le gérer avec les enfants. Cela montre tout l’impact que nous avons pour nos élèves. Je ne vais pas leur envoyer une liste de tâche à faire, je veux d’abord entrer en communication avec eux. Avec les enfants, avec les parents. De vive voix.
Mais je suis consciente que pour certains, ça ne sera pas possible. Alors je devrai m’assurer comme tous les intervenants scolaires qu’au retour, que ce soit cette année ou l’an prochain, je saurai m’ajuster, penser à revoir mes attentes. Je serai peut-être agréablement surprise ! De toute façon, n’est-ce pas ainsi que nous devrions commencer chaque année scolaire : prendre chaque enfant où il est rendu et tenter de l’amener le plus loin possible ?
On dit qu’en ces temps de crises, l’humain apprend à revenir à l’essentiel. Alors en attendant le retour à la normale, je vais savourer l’un des aspects les plus positifs dans tout ça : me centrer sur l’essentiel qui caractérise mon métier: les liens que nous créons, les échanges et les apprentissages et non sur l’évaluation des compétences.
*j’ai supprimé l’accès public au Padlet de classe puisqu’il y a maintenant des photos et documents créés par les élèves et leurs parents, l’accès est donc maintenant réservé à ma classe.*