Un article de Martine Arpin

Enseigner virtuellement, c’est aussi apprendre à lâcher prise.

On peut bien préparer un Padlet incluant une multitude d’outils pratiques et d’informations: les tableaux d’ancrage de la classe, des consignes précises pour la lecture à soi, des activités numériques et/ou à imprimer pour rejoindre les demandes et les besoins des parents, des idées pour travailler les mathématiques dans la vie de tous les jours, des livres numériques, des capsules d’enseignement de mini-leçons en écriture préenregistrées, etc…

On peut bien préparer un sac de livres adaptés au niveau de lecture et aux intérêts des élèves.

On peut bien organiser des rencontres virtuelles quelques fois par semaine ainsi que des entretiens et de l’enseignement en petits groupes.

On a beau offrir tout cela, ce qui se passe ensuite est totalement hors de notre contrôle. Et ce n’est pas toujours facile, quand on pense qu’un certain besoin de contrôle fait souvent partie de l’ADN d’un.e enseignant.e.

La constance des interventions, la présence et la disponibilité (virtuelles) de l’enseignant.e, les attentes claires, les échéances précises et les célébrations fréquentes favorisent l’engagement. Il est de notre responsabilité professionnelle de fournir un encadrement et un environnement virtuels de qualité. Et malgré tout, les parents font ce qu’ils peuvent en ce moment. Pour soutenir leur enfant, ils utilisent ce qu’ils connaissent de l’éducation. Et souvent, ils sont passés tout comme nous par un parcours scolaire plutôt traditionnel. Il n’est pas rare, lors d’une rencontre virtuelle, même lors d’un entretien individuel, d’entendre un parent souffler rapidement la réponse à son enfant qui est en train de réfléchir, pensant qu’on attend LA « bonne » réponse. Lorsque l’on reçoit des écrits, on ne voit souvent plus les traces du travail de l’enfant : l’orthographe et la ponctuation n’ont jamais été si bien maitrisées (!), souvent au détriment du développement des idées, de l’utilisation des procédés enseignés et du volume d’écriture. Quand on demande à un élève s’il avait des mots difficiles à comprendre dans son texte et comment il a fait pour savoir ce qu’il voulait dire, la réponse est souvent: « C’est maman qui me l’a dit! ».

Il faut être présent, enseigner, conseiller, mais il faut aussi apprendre à lâcher prise. Les enfants apprennent autre chose, autrement. Les parents ne sont pas enseignants. Ça me rassure sur l’importance des pratiques que j’ai choisi de mettre en place depuis des années. Les parents peuvent aider à faire des exercices, aider à corriger un texte et à utiliser un vocabulaire riche, mais pas enseigner des stratégies de compréhension en lecture en lien avec les caractéristiques des personnages et les liens entre eux, ni les différentes façons de montrer au lieu de dire pour rendre son texte plus vivant. Et c’est très bien comme ça.

Quand certains parents décident de s’investir totalement et sont influencés par l’enseignement qu’ils nous voient offrir à leur enfant, par les valeurs pédagogiques que nous leur avons communiquées autant que par ce qu’ils connaissent de l’école, ils prennent parfois des initiatives auxquelles nous ne nous attendions pas. Malgré toute l’offre que nous leur présentons sur un plateau d’argent, ils choisissent parfois  de proposer autre chose à leur enfant. Nous devons apprendre à lâcher prise…et à saisir la balle au bond!

La maman de L.

Lorsque j’ai préparé le sac de lecture de L. pour les prochaines semaines, j’ai pris bien soin de mettre des séries de livres à son niveau, des albums de classe qu’il a aimés ou que je n’ai pas eu le temps de lui faire découvrir encore, et des documentaires sur les sports extrêmes, entre autres, parce que le sujet qui le passionne.

Quelques jours plus tard, sa maman m’a envoyé un courriel dans lequel elle m’écrivait que L. aimait beaucoup la série que j’avais choisie pour lui, qu’elle était touchée de voir que j’avais fait des choix en fonction des intérêts personnels de son enfant, et qu’elle lui avait demandé, pour travailler l’écriture, de faire un résumé après sa lecture. Elle me demandait des conseils parce qu’elle constatait que L. avait écrit très peu, qu’il n’avait pas d’idées, qu’il ne savait pas quoi écrire.

Voici le travail de L. (la photo est petite, mais pour illustrer cet exemple, vous verrez que le contenu n’est pas si important…)

Il y a deux façons de répondre à ce genre de demandes :

La première, c’est de saluer l’initiative tout en expliquant avec doigté que les enfants n’ont pas vraiment appris à faire ce genre de résumé écrit, que ce serait plus bénéfique pour le développement de la compétence à écrire de faire comme il est suggéré et de travailler son texte narratif, un peu chaque jour, en utilisant les leçons, vidéos et tableaux d’ancrage fournis.

La deuxième, c’est de lâcher prise. C’est de saisir l’occasion de renforcer le lien avec les enfants et avec leur famille, que nous construisons depuis le début de l’année, et qui constitue le point positif de ce travail virtuel. Je sens que le lien avec ces familles et notre collaboration se sont accrus, et c’est quelque chose que je veux conserver dans le « après ». Donc, lâcher prise, c’est saisir l’occasion de bâtir et de construire à partir du travail initié à la maison. Quelle est mon intention ? Encourager cette initiative louable et si bien intentionnée, et en profiter pour revenir aux forces et aux besoins de cet élève.

L. lit des livres à son niveau. Il réfléchit ensuite à sa lecture. Il écrit. Il est en contexte réel et signifiant, puisqu’il a des lectrices avec qui partager son résumé et discuter de ses lectures:  maman et moi! Je sais déjà que L. a de la difficulté avec le rappel de l’histoire. Que cela peut démontrer certaines difficultés de compréhension. Qu’un support visuel l’aide habituellement, de même que des questions de son interlocuteur. Que même à l’oral, dans la vie de tous les jours, nous avons travaillé fort cette année pour qu’il élabore un message clair et structuré quand il tente d’expliquer une situation. Normal que cela ait des répercussions à l’écrit, surtout pour faire le résumé d’un livre. En écriture, L. a souvent eu besoin de soutien pour apprendre à élaborer. Il a de bonnes idées, mais reste très concis et utilise peu les procédés enseignés.

Lors de l’entretien que j’ai eu avec L. et sa maman (oui, elle était là aussi !), j’ai rappelé à L. les outils qu’il avait dans son sac de lecture pour l’aider à faire un rappel précis et structuré de l’histoire.

 

 

 

J’ai expliqué et donné un exemple, à l’oral. Ensuite, il s’est exercé à le faire, oralement. Puis, je lui ai montré comment transférer cela à l’écrit. Nous avons aussi discuté de ce que nous avons déjà appris sur les façons de parler de nos lectures et d’écrire sur celles-ci.

 

Voici le travail de L. à la suite de notre entretien, réalisé avec du soutien de maman.

Puis celui-ci, la semaine suivante, réalisé de façon autonome.

 

Lâcher prise, donc, c’est accepter que l’apprentissage à la maison, ce n’est pas l’apprentissage dans la classe. C’est accepter que les enfants, et leurs parents, fassent autrement. C’est surtout célébrer les  apprentissages qu’ils font et construire à partir des initiatives familiales, tout en continuant de  fournir une présence et un soutien émotionnel et pédagogique virtuels signifiants, en fonction de nos valeurs. Et lâcher prise, c’est aussi prendre le temps de savourer et d’apprécier ces moments, en leur accordant de la valeur.