Un article de Martine Arpin
Mon fils adore le hockey. Il joue au hockey depuis qu’il a quatre ans. Depuis des années, donc, des entraineurs lui ont enseigné et montré les habiletés et les règles de ce sport, pour lui permettre de se développer comme joueur. Tous les jours, il est sur la patinoire: il pratique ses feintes, ses lancers, son coup de patin. Il regarde des parties de hockey avec son père et sa sœur (et parfois avec sa mère aussi, mais moi, j’aime bien mieux le regarder, lui, jouer!). Grâce à la technologie, il recule parfois la séquence pour visionner à nouveau certains jeux impressionnants. Il écoute des émissions qui parlent de son sport. Il est aussi à un « clic » des vidéos de ses joueurs favoris, les meilleurs de la ligue, qui jouent, s’exercent ou font des démonstrations d’habiletés exceptionnelles. Il les observe souvent. Il s’en inspire ensuite sur la patinoire, dans la rue, dans la cour, dans sa chambre, dans le corridor… Il ne jouera probablement jamais dans la ligue nationale, heureusement qu’il a un plan b (ne lui dites pas que j’ai écrit ça!), mais il développe une passion grâce aux modèles qui l’entourent.


En écriture, j’aime penser que je suis maintenant une entraineure pour mes élèves. Je leur enseigne une foule d’habiletés et les règles de l’écriture. Tous les jours, je leur permets de s’exercer pour qu’ils puissent se développer en tant qu’auteurs. Ils pratiquent des procédés et des techniques utiles à chaque étape du processus d’écriture de façon autonome, sous mon œil et mes conseils d’entraineure.
Mais on n’a pas d’auteur ou d’autrice en permanence dans la classe que l’on pourrait observer à l’œuvre. On voit peu (pour ne pas dire pas du tout…) d’auteurs, et encore moins d’auteurs jeunesse, à la télévision. Il y a peu de vidéos accessibles, diversifiées et disponibles où les auteurs parlent de leur passion et de leur travail, expliquent et démontrent leur processus de création, et les différentes techniques et procédés qu’ils utilisent. Dans notre école, on privilégie les rencontres d’auteurs dans nos activités éducatives, mais ce n’est souvent qu’une fois dans l’année… Où les élèves peuvent-ils alors trouver ceux qu’ils pourraient observer, commencer à admirer et dont ils pourraient s’inspirer?
À l’école, dans la classe, il est de notre devoir de faire connaitre ces auteurs, ces autrices, et leur travail. Pour que nos auteurs puissent être inspirés et se développer en tant qu’auteurs, ils doivent être entourés des meilleurs « de la ligue ». Les livres modèles que nous utilisons pour faire baigner les élèves dans un langage littéraire riche et démontrer les techniques d’écriture et procédés littéraires d’experts qu’ils voudront reproduire, doivent être choisis avec soin, selon nos intentions.
En deuxième année, à partir du module S’inspirer des grands auteurs pour écrire (Collection Les ateliers d’écriture, Chenelière), nous voulions travailler la richesse du langage littéraire, l’art de jouer avec les mots. Nous avons fait une enquête dans trois livres modèles : Des ailes dans la nuit (Jane Yolen, D’Eux), Le monde secret d’Adélaïde (Élise Hurst, D’Eux) et Grand-mère, elle et moi (Yves Nadon, 400 coups). Ce sont trois albums superbes, dont l’écriture coule avec la douceur du propos, dont la prose a une touche poétique, des livres qui nécessitent une réflexion et dont, surtout, chacun des mots, précis et évocateurs semble être choisi avec soin. Dans chacun de ces livres, il y a un passage où je m’arrête, chaque fois, pour le relire aux élèves en leur disant : « Écoutez. Écoutez cette phrase. Comme c’est joli! Voyez-vous l’image? Sentez-vous l’importance de ce passage? »



Ces trois livres, donc, sont une patinoire idéale pour enquêter sur la façon dont les grands auteurs utilisent les mots, comme les grands joueurs de hockey manient la rondelle. Avec les élèves de 2e année, nous avons parlé de comparaisons, de répétition, de mots précis, d’adjectifs, d’allitérations, de personnification, d’images, d’émotions.
Ensuite, avec leur partenaire, ils ont lu une page ou deux d’un de ces livres, et ont relevé des passages, des mots ou des expressions qui les touchent, qui leur font un petit quelque chose dans le cœur en lisant. Nous avons essayé de nommer ce que l’auteur a fait, la raison pour laquelle nous croyons qu’il pourrait l’avoir fait, et ce que ça nous fait comme lecteur.

Puis, chacun a noté le passage qui l’a touché et qui l’inspire. Nous avons créé un tableau des grands auteurs qui nous inspirent.

Finalement, chaque élève a choisi une partie dans son texte qui mérite qu’on s’y attarde, en réfléchissant et en faisant des essais pour le choix des mots, en s’inspirant de ce que nous avions découvert et avec l’intention de montrer, par des mots riches qui évoquent des images puissantes, l’importance de cette partie pour tenter de créer eux aussi « un petit quelque chose » dans le cœur de leurs lecteurs.









Ce jour-là, j’ai priorisé pour mes entretiens les élèves qui ont le plus d’habiletés en écriture. Même si je recherche toujours l’équilibre dans mes entretiens au fil des jours, ce ne sont pas ces élèves qui sont prioritaires. Certains élèves ont deux entretiens dans un cycle de 10 jours, d’autres, les plus forts, un seul. C’est juste, parce que les besoins sont différents, mais ils ont le droit, eux aussi, d’être amenés à un autre niveau. Et cette leçon est parfaite pour cela. Elle peut être approfondie avec certains.
Et parfois, cela crée des moments magiques:
-Martine, c’est ici que c’est important, parce que j’ai réussi à monter sur le poney, après avoir essayé plusieurs fois. J’ai déjà fait la répétition, mais je veux faire autre chose aussi. C’était très important!
-Et pourquoi cette partie est si importante dans ton histoire?
-Parce que j’ai été courageuse, alors j’ai écrit « J’ai réussi ». Mais je ne veux pas que ça finisse par « J’ai réussi ». Je veux écrire quelque chose de plus beau.
-C’est vrai que tu as été courageuse. Persévérante, aussi. Comment te sentais-tu quand tu as réussi? Tu sais, ce sentiment quand tu fais beaucoup d’efforts et que tu réussis finalement?
-J’étais fière!
-Oui! Ça peut être ce sentiment! Donc tu as été courageuse au début, puis fière quand tu as réussi?
-Oui! Je pourrais écrire que la fierté est arrivée jusqu’à moi! Parce qu’elle n’était pas là au début.
-Wouah! Charlotte! C’est vrai que c’est une belle image, que la fierté soit finalement arrivée jusqu’à toi! Je pense que tu pourrais même aller plus loin, avec cette image, si tu veux.
-Oui?
-Parfois, un auteur choisit des mots qui vont avec le thème de son histoire, ou avec l’ambiance. Comme quand Jane Yolen écrit que ses pas « crissent sur la neige craquante ». Ou quand Elise écrit que « même si son cœur parle haut et fort, elle reste muette ». Si tu penses à ton histoire, tu peux penser à différents mots qui vont avec ce thème, ce sujet, ou l’ambiance que tu veux créer tout le long, et t’amuser avec ces mots en les utilisant de différentes façons. Tu peux essayer cela, ici.
-…. (Charlotte réfléchit)
-… (je laisse Charlotte réfléchir, le sourire aux lèvres. Un encouragement silencieux qui démontre ma confiance).
-Je sais! Je vais écrire : « La fierté a galopé jusqu’à moi! ».
-…. (moi, émue…) Oh! Charlotte! Tu as choisi un mot précis et évocateur, tellement en lien avec ton histoire! Tu viens d’apprendre quelque chose de vraiment important comme auteure, hein!
-Je pense que mon lecteur va avoir son petit quelque chose. On dirait que toi, tu l’as eu, le petit quelque chose. Tu l’as lue deux fois, comme la phrase dans Adélaïde! Je vais l’écrire tout de suite!
-…

Permettre à nos élèves d’avoir accès à des livres de qualité, d’observer et d’apprécier le travail des grands auteurs et d’en discuter, puis leur accorder du temps pour faire des tentatives dans leur propre texte, c’est leur permettre de développer leurs habiletés d’auteur. Ils ne deviendront pas tous des joueurs élites de premier trio: des Marianne Dubuc, Jacqueline Woodson, Michaël Escoffier, Simon Boulerice, Élise Gravel, Alain Bergeron, Yves Nadon, Jane Yolen, Élise Hurst et compagnie, mais certains découvriront peut-être une nouvelle passion et pourront l’alimenter, la partager, et tous, assurément, pourront évoluer et se développer au meilleur de leurs capacités dans un environnement favorisant l’inspiration, les échanges, et surtout l’amour de la langue, des livres et de leurs créateurs.