Un article de Martine Arpin

Un jour, il y a quelques années maintenant, une collègue est entrée au salon du personnel durant la récréation en nous disant: « Je me demande bien combien je vais avoir pour ma présentation orale aujourd’hui! » Nous avons éclaté de rire. Évidemment, elle avait travaillé fort pour aider son fils, alors en première année, à préparer sa présentation: l’affiche (ce n’était pas encore l’époque du power point sur la clé USB, ni de WeTransfer, et encore moins de Teams), les photos, les dessins, les mots-clé, et beaucoup de pratique à la maison devant la famille et les peluches. Après avoir rigolé, nous avons quand même réfléchi à ce que cette situation disait sur nos pratiques face à la communication orale.

Quelques temps après, je me revois, un dimanche soir, avant l’histoire et la chanson du dodo, demander à mon fils, alors en première année, ce qu’il va raconter de sa fin de semaine lors de la causerie du matin. Il me répond: « Ben, la même chose que d’habitude! Que j’ai joué au hockey! » Et moi je lui rappelle tout ce qu’on a fait cette fin de semaine-là: pris le traversier avec des amis, cueilli des pommes, fait un pique-nique, cuisiné ensemble… Mon amoureux, discret sur le bord de la porte, me dit que franchement, il ne doit y avoir qu’un prof de première année pour préparer son enfant à la causerie du matin… En racontant cette anecdote aux copines à l’école, on a bien rigolé (c’est souvent comme ça…). Et nous avons encore réfléchi à ce que cette situation disait de nos pratique à la communication orale.

Nous nous sommes penchées sur ces pratiques. Celles que nous avions étaient celles répandues à l’époque. Nous sommes retournées dans le programme. Nous avons réfléchi au quoi, au pourquoi et au comment.

Qu’est-ce que l’expression orale?

Dans nos pratiques, que mettons-nous en place présentement?

Pourquoi?

Que voulons-nous développer chez les élèves?

Comment le faisons-nous présentement?

Pourquoi le faisons-nous ainsi?

Comment faire mieux?

Les principaux problèmes que nous avions étaient ceux-ci:

-peu des interactions planifiées ou évaluées étaient authentiques,

-les élèves avaient peu de temps de pratique régulière,

-nos méthodes consommaient beaucoup de temps à l’horaire pour peu de développement de la compétence,

Nous sommes parties de ces problèmes pour effectuer les changements nécessaires. Dans ma classe, ça se traduit ainsi:

Mon presque meilleur changement à vie: Fini la causerie le lundi matin! Pour moi, ce moment était non seulement dévoreur de temps, mais aussi énergivore! Et avec raison, quand on y pense. Écouter 20 élèves parler chacun leur tour de leur fin de semaine, de façon pas toujours cohérente ni audible, et souvent répétitive… moi-même, je trouvais ça long. Un passage obligé. Alors un enfant de 6 (ou même 10) ans? Ça devenait plutôt un problème de discipline….Maintenant, les élèves peuvent se raconter leur fin de semaine lors de la collation, et moi je circule parfois pour écouter, m’intéresser, échanger avec eux. Mais pas toujours.

J’ai plutôt remplacé ce long moment par plusieurs petits moments dans la semaine. Chaque jour, ça fait partie de notre routine, au début du rassemblement du matin, quatre élèves prennent la parole sur un sujet donné. En début d’année, je l’appelle la jasette du coeur. Nous parlons de nos jeux préférés à la récréation (cela permet en même temps d’apprendre à se connaitre, de découvrir des intérêts communs, de faire des liens, de trouver un ami sur la cour de récréation quand on se sent seul…). Nous parlons de nos familles, de nos animaux de compagnie. Dans le plan de travail à la maison, j’ai ajouté cette année La discussion en famille. Les parents sont invités à discuter avec leur enfant de différents sujets, et ils savent que nous en discuterons en classe: jusqu’à présent, nous avons parlé de l’histoire du prénom des enfants et de leurs « superpouvoirs » (un talent, puis une qualité, quelque chose qui ne se voit pas mais qui fait du bien aux autres).

Quel est mon super pouvoir?, Aviaq Johnston et Tim Mack, Les Malins. Cet album est magnifique et en plus, parfait pour aborder une discussion sur les talents et les qualités personnelles ce chacun.

Un peu plus tard, on l’appelle la jasette du jour, et les sujets sont centrés sur notre travail lors des ateliers d’écriture. Quand nous travaillons les Petits moments, alors chaque élève, à son tour, raconte un petit moment qui lui est arrivé. Quand nous sommes dans les livres informatifs, alors chaque élève nous enseigne quelque chose sur un sujet qu’il connait. Pour les textes d’opinion, nous parlons de nos préférences. Nous partons d’albums pour construire et partager une opinion, et la justifier.

Cette façon de faire comporte plusieurs avantages: elle favorise la capacité d’écoute, et permet ainsi de développer cette compétence. Elle me permet de travailler la structure de phrase et du discours dans la zone proximate de développement de chacun. Elle donne un contexte authentique de discussion. Elle renforce notre communauté parce qu’en apprenant ainsi à se connaitre dans différents aspects de leur vie, les élèves prennent conscience qu’ils ont des points communs avec d’autres vers qui ils ne vont pas nécessairement. Elle fait aussi un pont vers l’atelier d’écriture et leur travail d’auteur: trouver des idées (souvent, leur sujet de discussion devient le sujet de leur prochain texte, et donne même des idées aux autres), une occasion de planifier et de s’exercer à l’oral avant d’écrire, une façon de travailler la structure à l’oral, ce qui aide automatiquement l’écrit, puisque les élèves peuvent écrire ce qu’ils peuvent dire. Elle offre plusieurs occasions d’enseignement des comportements d’écoute et de prise de parole.

En deuxième année, notre routine du matin commençait toujours par la Jasette du livre, où les élèves discutent du livre lu la veille à partir d’un tableau d’ancrage de sujets de discussion qui s’enrichit au fil du temps et des leçons de lecture. Cela permet non seulement de parler des livres, mais aussi de favoriser un engagement dans la lecture à la maison. On a une obligation envers son partenaire!

Aussi, après une lecture à voix haute interactive, nous favorisons les discussions de groupe sur un sujet donné ou choisi par les enfants, en lien avec la lecture. En choisissant soigneusement les livres, nous pouvons soutenir la profondeur des discussions.

Un petit geste, Jacqueline Woodson et E.B. Lewis, Éditions d’Eux.

Les clubs de lecture sont aussi propices à enseigner et s’exercer à la discussion:

Nous prenons aussi du temps en classe pour enseigner explicitement les stratégies de prise de parole et d’écoute. Les ateliers d’écriture et de lecture, en favorisant les échanges avec les partenaires, donnent aussi plusieurs occasions de le faire. Si on veut organiser une présentation plus traditionnelle, nous prenons le temps de modeler ce qui est attendu. Par exemple, nous pouvons célébrer le module des textes informatifs en donnant du temps en classe pour permettre aux élèves de présenter le sujet de leur livre informatif à la façon de l’émission « Découverte », en se filmant. On peut ensuite envoyer les vidéos aux parents. Et cela n’empêche pas qu’une fois dans l’année, les élèves préparent une présentation orale à la maison, avec leurs parents. Une autre occasion de s’exercer.

Quand on enseigne, on aurait toujours besoin d’une période de plus, ou d’une journée de plus dans la semaine, pour tout faire ce que nous aimerions faire avec nos élèves. Le temps est précieux. On doit miser sur des pratiques efficaces. Si en plus ces pratiques s’enrichissent l’une et l’autre, nous sommes gagnants sur toute la ligne et nos élèves aussi. Chaque fois que nous mettons en place un dispositif, et même pour ce que nous faisons de façon instinctive, il vaut vraiment la peine de se questionner sur la pertinence et l’effet de rayonnement de celui-ci. Réfléchir en équipe sur le quoi, le comment et le pourquoi peut nous aider à mieux choisir et à orienter nos décisions.

Quand au développement de la compétence à l’oral, quand j’entends mon ado me répondre en mono-syllabes, je me demande parfois pourquoi on met autant d’efforts… Et j’essaie de ne pas oublier que nous semons de petites graines, et que la raison pour laquelle nous portons autant d’attention à nos pratiques, c’est que cette base doit être solide pour passer à travers les tempêtes. Parce qu’après l’hiver de l’adolescence, ce sont toutes ces petites choses qui ont solidifié la base qui remonteront à la surface, comme une fleur au printemps… Et quand je vois mon fils être capable de s’exprimer devant mes copines de façon intelligible et intelligente, en leur racontant sa nouvelle saison de hockey, je me dis que tout n’est pas perdu, que la vie nous ramène d’elle même à la base, et que peu importe tout ce que nous faisons, notre famille n’échappera jamais aux discussions sur le hockey…