Dans la classe de 5e année d’Isabelle Denis
Lors de la parution du dernier texte de Martine, La lecture partagée et Half Moon Run, Marie-Ève, une enseignante, a posé la question suivante : Est-ce qu’il y a des profs du 3e cycle dans la salle qui font la lecture partagée avec leurs élèves? Martine et moi avons alors avancé l’idée que la formule de lecture à voix haute interactive semblait plus appropriée chez les grands.
Je dois toutefois vous dire que la question de Marie- Ève a continué de me trotter dans la tête, en plus d’en faire émerger d’autres. Est-ce vrai que la lecture partagée est utilisée davantage avec les petits? Pourquoi n’utilisons-nous pas ou très peu ce dispositif de lecture avec les plus grands? Je me suis alors amusée à faire quelques recherches sur les moteurs de recherche de l’Université afin de voir ce que la recherche en disait.
Dans les lignes qui suivront, vous pourrez lire ma réponse qui explique pourquoi je privilégie, de prime abord, la lecture à voix haute interactive avec mes grands. Par la suite, de façon très brève, ce que j’ai remarqué et appris par rapport à la lecture partagée.
Marie-Ève,
Je suis d’accord avec Martine. Je crois que chez les plus grands on appelle cela lecture à voix haute interactive… Mais comme je ne suis pas excellente pour bien catégoriser ces dispositifs, mon but avec mes grands est de partager avec eux une lecture à voix haute par rapport à laquelle je modélise et on échange.
Je viens de commencer l’année avec mes élèves de 5e année du bain linguistique. Ce sont des élèves qui craignent les livres épais, les petits caractères et les livres sans image. J’ai choisi de leur lire La quête de Despereaux de Kate DiCamillo.
Pourquoi?
Parce qu’ils n’auraient pas osé…
Parce que le genre fantastique représente un défi pour mes élèves…
Parce qu’ensemble, on sera plus forts pour visualiser, comprendre, se questionner, prédire, tenter des premières interprétations avec notre « bâtonnet ARRÊT»…
Parce que c’est un roman au-dessus de leurs capacités (pour le moment) qui me permet de créer un espace dialogique où il y a complexification de l’acte de lire et, par le fait même, cela augmente leur engagement. Ici, c’est un point IMPORTANT. Je suis en train de lire une étude sur les pratiques enseignantes et l’engagement des élèves. Les chercheurs ont remarqué que la complexification des tâches en lecture (c’est-à-dire offrir un espace où on se questionne avec des questions de haut niveau, on échange, on modélise avec de vrais livres, on favorise l’autonomie des lecteurs, on soutient la collaboration, on demande aux lecteurs de se fixer des objectifs, où l’on a des attentes élevées comme enseignants etc.) a un impact énorme sur l’engagement des lecteurs et, par conséquent, sur leur réussite plutôt que si on propose des tâches simples de lecture.
Parce que ça me permet de modéliser et de revenir en direct sur ce que j’ai modélisé: « Hum… je crois que Despereaux se sent rejeté, car sa mère n’arrête pas de lui faire remarquer qu’il est différent de ses frères et sœurs… Avez-vous remarqué que je viens de m’arrêter et de me questionner sur ce que Despereaux ressent en ce moment? Hum, Kate DiCamillo n’a pas écrit qu’il se sentait rejeté, mais quand je m’arrête et que je prends le temps de lire entre lignes, ça me permet de tenter un début d’interprétation. »
Parce qu’on prend conscience que cela prend un certain temps « entrer dans un livre »…
Parce qu’on prend conscience qu’une fois que cela est fait, bien la magie opère et l’on attend impatiemment la suite…
Parce que ça nous rapproche…
Parce que ça nous permet de vivre ensemble le moment où on arrive à la fin d’un livre …
Parce que ça nous permet de développer un langage littéraire commun…
…
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Comme je vous disais plus haut, je me suis donc amusée à faire quelques recherches qui m’ont fait réaliser que la majorité des études portant sur « la lecture partagée » ou sur « shared reading » semblent être réalisées au préscolaire, en 1ère et en 2e année. J’ai trouvé une étude réalisée par Bazinet (2021) en contexte d’enseignement du français langue seconde au secondaire auprès de garçons du 3e secondaire. Cette étude très intéressante « révèle que le SEP en lecture des garçons est à son plus haut niveau dans le cadre des tâches collaboratives, ce SEP est directement associé aux tâches de lecture partagée et guidée qui leur permettent de s’entraider et d’enrichir leurs connaissances liées au vocabulaire ainsi qu’à s’exprimer sur des sujets d’intérêts et signifiants pour eux » (Bazinet, 2021, p. 276).
Poursuivant mes recherches, j’ai jeté un coup d’œil sur le site de Fountas et Pinnell (États-Unis) qui présente des ressources pour les grands au niveau de la lecture partagée. C’est donc dire que la lecture à voix haute se vit avec les élèves plus grands. Voici une liste des bienfaits énumérés (traduction libre) quant à la lecture partagée :
- Procure une agréable expérience de lecture en groupe avec un texte en grand format.
- Favorise le développement de tous les aspects du processus de lecture.
- Renforce les compétences liées à la construction de vocabulaire.
- Procure l’occasion de s’engager comme lecteur dans une expérience de lecture significative.
- Aide à la fluidité en lecture.
- Renforce la compréhension d’une variété de types de texte.
- Contribue à l’émergence d’une communauté de lecteurs.
J’ai alors réfléchi à ce que je fais en classe quand nous lisons un poème sous la caméra de documents pour s’approprier le sens au jour 1. Qu’au jour 2, nous portons un regard sur le choix des sauts de ligne fait par l’auteur et, qu’au jour 3, nous savourons les mots qui créent des images…. Ou encore, quand nous utilisons une partie précise d’un livre modèle lu à voix haute comme Mon frère et moi et que nous remarquons les répétitions, ce qui nous donne envie de l’essayer comme auteur.e… Et voilà que je me dis que dans le fond, j’utilise la lecture partagée avec mes grands, mais moins fréquemment que la lecture à voix haute interactive.
La beauté de la chose est qu’il existe une variété de dispositifs en lecture qui nous permettent de répondre à nos intentions d’enseignement. J’espère que ce texte entraînera des échanges au niveau de vos pratiques d’enseignement de la lecture chez les plus grands. Dans le fil des commentaires, n’hésitez pas à partager vos réflexions. Vive les échanges qui nous permettent de grandir.
P.S. : Merci Marie-Ève pour ta question. Elle m’a permis de voir la lecture partagée autrement.
Référence
Bazinet, N. (2021). Le sentiment d’efficacité personnelle (SEP) en lecture des garçons du secondaire en contexte de français langue seconde [thèse de doctorat, Université de Montréal]. https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/26186/Bazinet_Nadia_2021_these.pdf?sequence=2&isAllowed=y