Un article de Martine Arpin

 

Placer les meubles, organiser mes bibliothèques, préparer mes listes d’élèves, lire et relire leurs noms pour commencer à m’imprégner d’eux, préparer mon coin écriture, rendre ma classe accueillante pour le nouveau groupe d’élèves qui arriveront bientôt… La rentrée est toujours un moment de fébrilité. Ce sera bientôt l’automne, mais tout renaît, comme au  printemps!

C’est le moment idéal pour réfléchir à la façon dont les choix que je fais pour organiser ma classe reflètent mes valeurs et convictions pédagogiques. Quand je prends du recul et que je regarde ma classe, qu’est-ce que je vois? Qu’est-ce qui est important pour moi?

Dans ce tourbillon effervescent, juste avant l’arrivée des élèves,  on oublie souvent de prendre d’abord le temps de réfléchir au genre de communauté que nous voulons créer dans notre classe. Au-delà des apprentissages académiques, nous vivrons en collectivité plusieurs heures par jour. Comment s’assurer que chacun contribue à « soutenir les efforts des élèves, à leur permettre d’oser, d’expérimenter, de relever des défis dans un milieu où ils sont appréciés? »

Quand l’enfant timide prend la parole en classe, ça a de l’importance.

Quand les leaders naturels invitent l’enfant timide à prendre la parole, ça a de l’importance.

Mais.

Quand l’enfant timide exprime son désaccord avec l’opinion du leader naturel…

Alors, vous avez réussi.

Cette phrase, Peter H. Johnston, professeur d’éducation et directeur du département de lecture de l’Université de l’état de New York et auteur d’ouvrages et articles pédagogiques, l’a prononcée devant des dizaines d’enseignants venus l’entendre lors d’une conférence au Teachers College. J’y étais. Cette phrase m’a touchée droit au coeur.

Depuis mon premier contact avec l’atelier d’écriture, j’ai été séduite par l’authenticité de cette démarche et par la  mission première que s’est donnée l’équipe du TC de tout mettre en oeuvre pour que les enseignants puissent aider les jeunes à devenir des lecteurs et scripteurs compétents et passionnés toute leur vie et, surtout, en dehors des murs de l’école. De les soutenir en vue de devenir des citoyens engagés, capables de jugement critique et d’ouverture. Dans le contexte socio-politique mondial actuel,  et avec tout ce que l’on entend  sur « l’autre » autour de nous et dans les médias sociaux depuis quelques temps, cela me semble encore plus vrai et nécessaire.

Les mots de Peter H. Johnston allaient tout à fait en ce sens. Il a démontré que dans le milieu scolaire, tellement de méthodes contradictoires sont utilisées qu’on en oublie trop souvent l’intention première de l’éducation:  aider des êtres humains à se développer intellectuellement, socialement et émotionnellement. Pour y arriver, il faut s’intéresser aux autres. Et dans une classe, si tout le monde fait toujours la même chose, comment peut-on s’intéresser à ce que les autres font? Dans le chaos des choix pédagogiques qui s’offrent à nous, on oublie souvent l’essentiel. On doit savoir ce que l’on fait, pourquoi on le fait, et les effets que ça a.

C’est ce que je retrouve dans l’environnement riche en littératie dont font partie l’atelier d’écriture et l’atelier de lecture. Au-delà des pratiques pédagogiques gagnantes mises de l’avant, il y a tout cet aspect de création d’une communauté d’apprentissage chaleureuse, respectueuse, enjouée, dont les membres prennent les idées des autres au sérieux et essaient de se comprendre, dans un partage des rôles et des responsabilités.

Comment mon attitude, mes gestes, mes paroles et mes actions contribuent-ils (ou nuisent-ils) à créer ce climat? À établir ce sentiment d’appartenance et de confiance, cet esprit de groupe, où chacun peut évoluer en interdépendance et dans le respect, puisque ce sont les éléments essentiels pour une vie saine socialement et sur le plan affectif  et qui créent le contexte le plus favorable aux apprentissages?

Comme nous le sommes pour nos propres enfants, nous sommes toujours un modèle pour nos élèves. Notre façon d’agir et de s’adresser à eux teintera assurément la façon dont ils agissent et discutent entre eux.

  • Lorsque je dis à un élève: « Que tu es réfléchi! » plutôt que « Que tu es intelligent », je lui donne une prise, une responsabilité sur ses réussites. Elles sont le résultat de ses décisions et de ses actions.
  • Quand je permets des moments de silence, j’encourage la réflexion et augmente la participation verbale en donnant à chacun une chance de prendre la parole.
  • « Les auteurs » ou « Quel travail feras-tu aujourd’hui en tant que poète? » sont importants dans la construction de son identité. On fait une affirmation. L’élève peut alors endosser ce rôle et poser les actions qui lui correspondent. On le considère comme un expert.
  • « Quels problèmes avez-vous eu aujourd’hui comme auteurs? » présente les difficultés comme étant normales et prévisibles et le partage des solutions permet de considérer les problèmes comme des éléments d’apprentissages.
  • Le « et » au lieu du « mais » est fort:  Par exemple, lors d’un entretien: « Je remarque que tu es un auteur qui a vraiment une voix narrative unique, mais si tu veux, on pourrait regarder ensemble différentes façons de… ». Remplacez le « mais » par un « et » en relisant l’exemple. Le terme change la perception. On ajoute aux compétences de l’élève plutôt que de mettre en opposition ce qu’il a fait et ce qu’on veut lui enseigner.
  • « Essayons de le faire nous aussi… » L’utilisation du « nous » est puissante. Elle amène la collaboration de tous et invite à l’inclusion, la solidarité, l’appartenance.
  • « C’est comme… » permet de faire des liens avec les autres expériences, permet des comparaisons, aide au transfert mais surtout à la compréhension et au raisonnement. Et appliqué à une personne, l’expression met l’accent sur notre humanité commune. Elle joue ainsi un rôle déterminant dans l’instauration d’une collectivité attentive aux autres et tolérante.

L’atelier d’écriture donne des occasions aux élèves d’en apprendre sur les intérêts et les compétences des autres. « La lecture et l’écriture sont des « espaces naturels » pour se découvrir. Et lorsqu’on se connait, l’utilisation des différences individuelles de façon négative  diminue, tandis que la compréhension mutuelle, le sentiment d’appartenance et l’intérêt porté aux autres augmentent. »

La littérature est aussi une alliée précieuse quand on veut développer une communauté d’apprenants inclusive, invitante et ouverte, où chacun a la liberté et le désir de s’exprimer. Plusieurs albums ont des contenus riches pour encourager les discussions et mettent en valeur des personnages auxquels les élèves peuvent s’identifier et même identifier leurs camarades. On doit leur proposer des livres et des histoires qui démontrent des émotions et des valeurs qui aideront à créer cette ambiance, cette communauté en classe. Ces oeuvres et les discussions qui en découlent donnent aussi du vocabulaire aux enfants pour leur permettre de s’exprimer et d’avoir de meilleures relations. Nous devons saisir toutes les occasions d’exploiter cette richesse qui devient aussi un modèle pour les enfants.

Le livre Le garçon invisible, de Trudy Ludwig, à paraitre au printemps 2018 aux Éditions D’Eux, deviendra un incontournable pour illustrer aux élèves la responsabilité de chacun pour faire une place à l’autre et permettra de mettre une image sur le sentiment d’exclusion. Il promet des discussions aussi puissantes qu’intimes, autant avec les petits qu’avec les grands.

En attendant, voici quelques suggestions de textes qui amèneront des discussions et des modèles intéressants pour les enfants.

(la suite ici  Des livres pour réfléchir, discuter, s’ouvrir)

 

Cette rencontre avec P.Johnston et la lecture de son livre L’importance des mots (Chenelière, 2010) a mené à quelques pistes de réflexions qui guideront mes décisions cette année:

  • Qu’est-ce que je mets en place pour favoriser le partage, l’entraide, la collaboration, les échanges?
  • Comment permettre aux élèves d’être engagés et actifs dans leurs apprentissages et dans leurs relations avec les autres?
  • Comment puis-je les amener à se questionner davantage?
  • Dans quels aspects puis-je diminuer mon contrôle pour donner plus de choix et d’autonomie aux élèves? L’autorité et les prises de décisions sont-elles partagées?
  • Est-ce que mes élèves voient les erreurs comme des occasions d’apprentissage? Comment valoriser les approximations et la prise de risque?
  • Comment puis-je mettre en valeur les stratégies employées par les élèves afin qu’ils deviennent des modèles pour leurs pairs?
  • Est-ce que j’apprends aux élèves à reconnaître les besoins des autres dans différentes situations sociales et d’apprentissage?
  • Comment puis-je m’assurer de renforcer le sentiment de compétence de chacun?
  • Comment puis-je démontrer et enseigner l’empathie, le contrôle des émotions, le souci des autres, la gratitude?
  • Comment encourager les discussions productives pour que tous les élèves aient (et non prennent…) leur place?

L’éducation, c’est une transformation de l’individu et de la communauté sociale. C’est une responsabilité qu’ont les enseignants, qu’ils le veuillent ou pas.

Moi, je l’aime bien, cette responsabilité. C’est ce qui donne de la valeur au métier que nous faisons. Imaginez, toute une génération qui saurait enfin que les désaccords non seulement existent, mais alimentent les discussions et poussent la réflexion. Qui savent l’exprimer. Qui valorisent les différents points de vue…

Alors, vos choix pédagogiques proviennent-ils d’une réelle réflexion? Savez-vous ce que vous faites, pourquoi vous le faites et les effets que ça a sur les apprentissages à long terme et sur les élèves? Comment vos mots, vos gestes, votre attitude contribuent-ils à créer ce climat de confiance nécessaire pour que vos élèves se sentent accueillis, pas seulement la première journée d’école, mais chaque jour de l’année. Dans leur individualité, avec leurs forces, leurs défis, leurs similarités et leurs différences? Par vous et aussi, surtout, par chacun d’entre eux.

 

Pour aller plus loin:

L’importance des mots, le langage au coeur de la relation élève-enseignant, Johnston, Peter H. (adapté par Yves Nadon), Chenelière Éducation, Montréal (2010)

(Les citations dans cet article proviennent de cet ouvrage ou de la conférence de P.H.Johnston)

Merci à Susane, Caroline et leur équipe de libraires extraordinaires de la librairie Monet pour les suggestions littéraires.