Un article de Martine Arpin
« Nous avons pensé et conçu ces modules d’enseignement de l’écriture et de la lecture pour que les enseignants cessent de passer tout leur temps à planifier, et puissent enfin se concentrer à ce qu’ils devraient faire : enseigner et donner de la rétroaction en cours d’apprentissage. Et voilà maintenant que les enseignants nous disent qu’ils passent parfois une heure à planifier une mini-leçon qui doit durer 10 minutes en classe. Quelque chose ne fonctionne pas ! »
Ces mots, ils viennent de Lucy Calkins. L’une des forces des travaux de l’équipe du Teachers College, c’est qu’ils travaillent sur le terrain, avec les enseignants, dans de vraies classes, avec de vrais élèves. Et que, chaque semaine, ils reviennent au Teachers College pour une grande rencontre afin de recevoir eux aussi de la formation continue, mais aussi pour échanger sur ce qu’ils voient dans les classes, ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas, les problèmes soulevés par les enseignants et, surtout, pour réfléchir ensemble à des solutions.
Et ce problème de temps de planification, ils l’ont rencontré partout. Quand je travaille avec des enseignants qui mettent en place les ateliers, je le rencontre aussi. J’ai dû moi-même réfléchir à cette question comme enseignante en refaisant année après année les mêmes modules. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce problème:
– La structure et le contenu des ateliers d’écriture : cette façon d’enseigner l’écriture est nouvelle pour les enseignants. L’utilisation des modules devient une formation continue sur l’enseignement de l’écriture, sur la gestion, le lien avec les élèves. Cela va bien au delà de l’enseignement de l’écriture. Pour s’approprier la démarche, on doit tout lire, prendre le temps de réfléchir, visualiser.
– Les mini-leçons proposées sont très détaillées. On sent bien que tout est important, dans ce qui est proposé. On ne veut pas passer à côté de quelque chose, on aimerait parler comme cette enseignante, copier ses exemples de façon naturelle… on ne veut rien oublier !
– Nous ne sommes pas nous-mêmes des auteurs, les contenus d’apprentissage des mini-leçons sont donc nouveaux pour l’enseignant. Il faut aussi s’approprier ces contenus, les reconnaitre dans les livres modèles.
– En général, les enseignants ne se sentent « jamais prêts ». On veut bien faire. Sans s’en rendre compte, on surplanifie.
Comme pour toute réflexion, il faut se demander d’abord pourquoi c’est important. Et quand on se demande pourquoi il est important d’être plus efficace dans notre planification, certaines réponses sont évidentes :
— Parce que j’ai aussi autre chose à planifier
— Parce que le ratio planification/action n’est pas équilibré (1 heure de planification pour 10 minutes dans ma journée ?).
– Parce que j’ai une vie 🙂
Et d’autres amènent plus loin :
– J’ai besoin de temps pour planifier l’enseignement en petits groupes et les autres aspects de l’environnement riche en littératie que je veux offrir à mes élèves
— J’ai besoin de temps pour lire ce qui concerne les entretiens, pour me pencher sur cette partie importante et primordiale de l’atelier d’écriture
— il y a beaucoup d’autres aspects importants de l’atelier d’écriture qu’il serait important de lire, mais je n’ai plus de temps pour le faire.
Alors, comment arriver à planifier en moins de temps tout en offrant un atelier d’écriture aussi puissant et efficace ?
Règle #1 : Se faire confiance.
Règle #2 : Si c’est la première année que je mets en place les ateliers d’écriture, je n’y échappe pas. Je m’attends à y mettre beaucoup, beaucoup de temps. Je comprends que c’est ma priorité, offrir des mini-leçons efficaces à mes élèves, donc claires, concises, précises et que pour ce faire, elles doivent être bien planifiées. C’est mon défi d’enseignante. Je dois lire plus en profondeur, parce que je n’ai pas d’image claire dans ma tête de ce que je suis en train de faire. Je prépare un résumé, mais il doit être un résumé ! Quelques notes pour chaque partie de la mini-leçon, avec le point d’enseignement très clair. Celui-là, je le recopie tel quel. S’il y a une chose qui doit me guider dans ma leçon et qui doit être claire, c’est le point d’enseignement. Je m’approprie les phrases-clés de chaque partie de la mini-leçon (en général), ce qui peut ressembler à ceci :
Hier nous avons…
Aujourd’hui, je vais vous enseigner que les auteurs…
Regardez comment je (ou comment cet auteur…)…
À votre tour, avec votre partenaire, de…
Maintenant, et pour le reste de votre vie, vous saurez que l’une des façons de…
Au boulot les auteurs !
J’aime bien dire à mes élèves : « Vous, vous apprenez à devenir de meilleurs auteurs, moi, j’apprends à devenir une meilleure enseignante. Et une chose qu’on m’a apprise, c’est que pour bien enseigner, je dois vous offrir des mini-leçons claires, précises et concises. Je vais donc utiliser ma minuterie, et je me suis fait un résumé, il se peut que je le regarde parfois, pour m’aider. » Le contenu de l’apprentissage de l’enseignante peut changer selon ses changements de pratique (j’apprends à faire de meilleurs entretiens, alors je vais…), mais cette transparence renforcit le lien avec les élèves et le sentiment de communauté d’apprentissage en plus de modeler le travail et l’effort nécessaire pour s’améliorer.
Règle #3 : Seul, on avance plus vite, ensemble, on va plus loin. Il faut prendre le temps de préparer un module en lisant l’introduction. Ne pas tout de suite sauter aux ateliers. Le temps investi AVANT de commencer un module nous permet de gagner du temps en cours de route. Comme il est impossible de lire tous les ateliers avant de commencer, l’introduction nous permet d’avoir une vision d’ensemble, une idée générale. Et si l’on peut travailler en équipe, c’est l’idéal ! Pourquoi ne pas se partager la lecture de chacun des chapitres de l’introduction du module, puis prendre le temps d’échanger sur ce qu’on a lu, sur ce qu’il est important de retenir ? En plus de donner moins de lecture à chacun individuellement, cela permet de partager les idées et perceptions. Comme pour les élèves qui planifient avant d’écrire, la lecture de l’introduction d’un module est une étape importante du processus d’appropriation. Comme la carte routière ou l’itinéraire GoogleMaps, elle nous permet de voir où on s’en va en gardant le cap vers le but, sans s’égarer en cours de route. Et s’il y a un embouteillage, si un problème survient, c’est cette carte, l’introduction, qui nous guide vers le meilleur chemin à prendre, sans perdre de vue l’objectif général, la destination.
Règle #4 : Si j’ai déjà expérimenté un module, et que j’en expérimente un deuxième ou un troisième, ça devrait me prendre un peu moins de temps que pour le premier. En effet, la structure de chaque module est la même, et la structure de chaque mini-leçon aussi. Le contenu d’apprentissage change, mais pas la structure. En l’ayant déjà expérimenté dans un autre module, pour un autre genre de texte, je devrais mieux comprendre cette structure et l’avoir intégrée. Lorsque je me rends au même endroit plusieurs fois, je prépare encore mon itinéraire, mais je le regarde moins souvent, ou du moins, pas à toutes les parties du trajet.
Règle #5 : Si je refais cette année un module que j’ai déjà enseigné, je DOIS mettre moins de temps à planifier. Je connais la structure ET le contenu. En lisant la mini-leçon, j’ai une image plus claire. Cet été, à l’institut offert par Arlene Casimir-Siar à Sherbrooke, elle nous a expliqué, et surtout fait vivre, une démarche de planification de mini-leçon en 10 minutes chrono. Nous partons du fait que chaque mini-leçon est écrite, dans un module, comme un scénario. Tout y est. Ce qui est en gras est un résumé, et le reste est l’image de ce que ça peut avoir l’air dans une classe. Si le résumé amène une image dans notre tête, pas besoin de lire tous les détails ! Mon amie et collègue Josée L’Italien en a fait un résumé clair et précis qui pourra vous guider dans votre planification plus efficace.
Étape 1 :
Lors de votre préparation, commencez par lire l’introduction, c’est-à-dire le petit texte qui donne une idée générale de la leçon que vous vous apprêtez à planifier.
Étape 2 :
À la 1re page de la mini-leçon, il y a un petit encadré qui s’intitule DANS CET ATELIER. Vous devez le lire.
Étape 3 :
Maintenant, il faut lire la partie Énoncez le point d’enseignement. Il faut vous poser alors deux questions :
- À quelle étape du procédé d’écriture fait-on référence ?
- La planification
- La rédaction (l’écriture)
- La révision
- La correction
- Sur quel aspect de l’écriture la leçon portera-t-elle ?
- L’engagement et l’autonomie
- La recherche d’idées
- La cohérence et le sens
- L’organisation et la structure
- L’étoffement
- Les procédés littéraires (dialogues, émotions, actions, caractères gras, comparaisons…)
- Les conventions
Étape 4 :
Maintenant, allez tout de suite lire la partie L’ENSEIGNEMENT. Comme vous remarquerez, vous aurez alors sauté la partie LA CONNEXION. Nous y reviendrons. Pour la partie L’ENSEIGNEMENT, vous devez lire seulement le texte en gras (si cela n’est pas suffisant pour votre compréhension, vous pourrez alors lire ce qui n’est pas en gras).
Il faut ensuite se poser la question suivante :
- Quelle méthode d’enseignement* est mise de l’avant lors de cette mini-leçon ?
- La démonstration ?
- La pratique guidée ?
- La description explicite assortie d’un exemple ?
- L’étude ?
*Vous pouvez vous référer à l’ouvrage L’atelier d’écriture, fondements et pratiques, pour les 5 à 8 ans afin d’obtenir une brève description des quatre méthodes d’enseignement (pages 58-59).
Étape 5 :
Ensuite, allez lire la partie L’ENGAGEMENT ACTIF. Pour cette partie, vous devez lire seulement le texte en gras (si cela n’est pas suffisant pour votre compréhension, vous pourrez alors lire ce qui n’est pas en gras).
Étape 6 :
Maintenant, allez lire la partie LE LIEN. Pour cette partie, vous devez lire seulement le texte en gras (si cela n’est pas suffisant pour votre compréhension, vous pourrez alors lire ce qui n’est pas en gras).
Étape 7 :
Pour éviter d’étirer la CONNEXION, vous devez la lire en dernier. Vous devez lire seulement le texte en gras (si cela n’est pas suffisant pour votre compréhension, vous pourrez alors lire ce qui n’est pas en gras).
Étape 8:
Préparer le matériel nécessaire: post-it pour le tableau d’ancrage, marquer le livre modèle…
Voilà ! Votre mini-leçon est prête !
Cette méthode pour planifier est donc utile quand on a un peu d’expérience avec un module, puisque les images dans notre tête reviennent plus facilement lorsqu’on enseigne une leçon qu’on a déjà enseignée avant. Arlene nous a rappelé par contre qu’il faut faire attention de ne pas enlever la « magie » d’un atelier, le petit « quelque chose » qui rend l’apprentissage durable et transférable, qui motive et qui pousse à écrire.
Règle #7 Appliquer pour nous-mêmes les principes de base de l’apprentissage que l’on sait importants pour nos élèves : Se faire confiance. Réaliser que ce que nous faisons en changeant nos pratiques est important. Se donner du temps pour s’exercer chaque jour. Accepter nos approximations. Faire confiance aux experts qui ont conçu tout ceci. Travailler avec un collègue, une équipe. Recevoir de la rétroaction. Se lancer même si l’on ne se sent pas toujours aussi prêt qu’on le voudrait.
Peu importe où vous en êtes dans votre appropriation des ateliers d’écriture ou de lecture, une chose est certaine, vous savez déjà qu’il faut y mettre du temps. L’atelier d’écriture, de lecture, c’est une multitude de détails qui rendront notre enseignement puissant. Dans notre planification, même si on veut être plus rapide, on doit être à l’affût de ces détails et ne pas les oublier par désir d’accélérer le processus. Mais chacun doit trouver sa façon personnelle et efficace de planifier en sachant pourquoi il est important de le faire, pour que même quand il y a des embouteillages, on continue toujours d’avancer en sachant très bien qu’à un certain moment, sur le trajet, la voie va se dégager et on va reprendre de la vitesse…