Un article de Martine Arpin

Lorsque j’ai adopté l’atelier d’écriture dans ma classe, plusieurs collègues qui connaissaient les croyances et valeurs qui teintaient déjà ma pratique depuis quelques années se demandaient bien comment je pouvais m’intéresser autant à un ouvrage aussi structurant, ressemblant pour un non-initié à un « guide du maître » avec une recette toute faite. En anglais en plus. Où tout ce que je pouvais dire et faire était scripté. Moi qui avais laissé tomber les manuels scolaires et les cahiers d’exercices depuis longtemps, qui avais toujours de nouvelles idées pour de beaux projets à partir de la littérature jeunesse…

 

Et je répondais que les ateliers d’écriture et de lecture, ce n’était pas une recette. Au-delà des procédés littéraires et des techniques d’écriture, des stratégies de lecture et des mini-leçons, les ateliers représentent une philosophie qui guide ma pratique et toutes les décisions que je prends en classe pour l’enseignement et l’apprentissage, et aussi pour la gestion de classe et l’environnement que j’offre aux élèves.

Mais je réalise maintenant qu’il y a quand même quelque chose d’une recette, dans tout ça. Et c’est peut-être la raison pour laquelle ce qui s’y trouve est reproductible et efficace. Plus que seulement une façon de motiver les élèves. Parce que cette recette, à l’image de celles que nous proposent les chefs d’expérience reconnus dans leurs livres et émissions de télévision, s’appuie sur des années de recherches et de travail par des experts, a été créée, expérimentée, adaptée. Goûtée, modifiée, peaufinée, goûtée à nouveau, assaisonnée. Et partagée dans un recueil.

Il y a un livre de recettes que j’aime particulièrement depuis quelques années. Bistro de Jean-François Plante (Les éditions de l’homme, 2008). J’ai cuisiné plusieurs de ses recettes et la plupart fait maintenant partie de notre répertoire de favoris. Lorsque nous recevons des invités à la maison, nous choisissons souvent une recette de ce livre, sachant qu’elles sont toujours appréciées. Certaines demandent plus de doigté, d’autres sont plus simples, mais une chose est sûre, elles sont parfaites pour la non-experte que je suis. Simples mais raffinées, toujours savoureuses, avec des ingrédients que je peux trouver un peu partout qui s’agencent à merveille. Présentées de façon précise et attrayante. Avec une image claire pour m’aider à orienter mon travail quand je cuisine. Je n’ai pas étudié à l’institut d’hôtellerie, mais Jean-François Plante, comme d’autres experts passionnés, me transmet son savoir et ses compétences pour que je puisse moi aussi tenter d’être une meilleure chef dans ma cuisine.

Mon coup de coeur de ce livre est la recette de parfait aux deux saumons. C’est après un souper chez nos voisins, qui nous avaient préparé ce plat (et d’autres du même recueil), que je me suis procuré le livre Bistro. La semaine suivante, quand nous avons reçu des invités à notre tour, c’est ce que je leur ai cuisiné. J’ai ouvert mon livre, écrit ma liste d’épicerie, préparé mes ingrédients en n’oubliant rien et en suivant à la lettre les consignes de mon expert. Beaucoup d’étapes bien expliquées, des conseils. Je pouvais presque entendre Jean-François me guider dans la cuisine. Et le repas…un succès, tout le monde a adoré.

J’ai refait cette recette plusieurs fois. J’ai de moins en moins besoin de la suivre « à la lettre ». Mais je sais qu’elle fonctionne bien. Mon livre est encore ouvert quand je la prépare. Jean-François est derrière mon épaule, son expertise est là. Je pourrais décider de mettre un peu moins de purée de piment chipotle et un peu plus de mangues. De changer la crème 35% pour de la crème 15%. De ne pas ajouter la salsa verde au fond de l’assiette lors du service. Je suis certaine que Jean-François, mon expert, serait d’accord.

Mais si je change le saumon pour du bœuf, les mangues par des câpres et la crème fraîche pour de la moutarde de Dijon, alors je ne fais pas la recette « à ma manière », je la change complètement. Bon, peut-être un peu drastique. Disons que je ne mets pas de coriandre dans ma salsa de mangue, ce n’est pas dramatique, mais ça change quand même tout le goût. Si je choisis de ne pas mettre les deux sortes de saumon, ce n’est pas dramatique, mais ça change la recette. Si je n’ajoute pas la chantilly au moment de servir, il manque une part importante de ce qui fait l’authenticité de cette recette et qui la rend unique. Mes invités apprécieront le repas, nous aurons passé une excellente soirée, mais je n’aurai PAS préparé et servi le Parfait aux deux saumons, mangue, coriandre et chantilly de Jean-François Plante.

L’atelier d’écriture, l’atelier de lecture, ce ne sont pas des recettes, mais il y a des incontournables pour que ce soit puissant et efficace, pas juste motivant pour les élèves.

  • Le temps de pratique: entre 3 (un minimum essentiel) et 5 fois semaine. Du temps pour écrire. Du temps pour lire.
  • La rétroaction en cours d’apprentissage
  • L’environnement équilibré en littératie (offrir aussi aux élèves du travail sur les mots et la langue chaque jour, écriture partagée, écriture interactive, lecture partagée, lecture interactive, travail sur la communication orale en développant une culture de partage et d’écoute, lectures à voix haute…)
  • La structure de la période et de la leçon pour créer des rituels et des habitudes prévisibles.
  • Enseigner le processus d’écriture pour que les élèves puissent travailler à leur rythme et naviguer dans ce processus de manière autonome
  • Considérer les stratégies enseignées comme un répertoire et non une commande.
  • Accepter les approximations dans toutes les facettes de l’écriture, incluant l’orthographe, tout en offrant un enseignement spécifique de la langue selon le niveau de l’élève (conscience phonologique, régularités orthographiques, règles de grammaire, orthographe d’usage, sémantique…)
  • Considérer les élèves comme des auteurs à part entière, maîtres de leur texte
  • Développer l’autonomie
  • Bien gérer son temps: limiter le temps de la mini-leçon à 10 minutes (un peu plus aux 2e et 3e cycles)
  • Limiter le temps pour un module: 4 à 6 semaines tout au plus.
  • Utiliser des textes modèles
  • Créer une communauté dans la classe, en appelant les élèves des auteurs et faire partie soi-même de cette communauté, par exemple en écrivant ses propres textes pour les démonstrations et en offrant de multiples occasions d’échanger.
  • Être une enseignante lectrice, qui partage sa passion, fait des suggestions littéraires, connait les goûts des élèves et fait connaître les auteurs aux élèves pour qu’ils puissent les admirer et s’en inspirer.
  • Donner un point d’enseignement clair, le répéter dans toutes les parties de la leçon et s’y tenir. Enseigner de façon explicite.
  • Permettre aux élèves d’écrire et de lire sur les sujets qui comptent pour eux et d’avoir un auditoire.
  • Créer un environnement favorisant l’apprentissage
  • Avoir des livres, des livres et des livres, à portée de main pour les élèves.

Si je raconte une anecdote personnelle lors de la connexion au lieu de celle qui est proposée dans le module, si je change le contenu d’un enseignement de mi-atelier, que je change le nom d’une stratégie car un élève l’a spontanément nommée d’une autre façon et que je crois que ce sera plus signifiant pour mes élèves, qu’une fois dans l’année j’utilise ce qui est proposé à la mise en commun pour concevoir une mini-leçon complète le lendemain car je crois que cela correspond à un besoin pour l’ensemble des élèves, que je modifie un peu la liste de vérification pour la rendre plus conviviale, que j’utilise un texte modèle plutôt qu’un autre, j’adapte la recette à mes élèves, à ma personnalité, aux besoins du groupe. Mais la recette reste la même. L’atelier restera efficace et les élèves seront engagés.

Mais.

Si je coupe toutes les leçons en deux en pensant que ce sera trop de contenu pour mes élèves, que j’escamote la partie « lien » de la mini-leçon pour faire plus rapide, que je ne répète pas mon point d’enseignement, que je choisis les sujets pour mes élèves, que je tiens à tout corriger, que je ne travaille pas les conventions et la langue en dehors des ateliers, que je n’offre aucun travail en groupe pour modeler les stratégies, que je ne fais qu’une période ou deux par semaine parce que je trouve que je manque de temps, alors la sauce ne prendra pas. Parce que si je change des ingrédients à la base de la recette, des indispensables, alors ce n’est PAS l’atelier d’écriture ou de lecture. Une pâle tentative, tout au plus. Élèves encore motivés au départ, mais sans plus.

Plus je travaille avec des enseignants et que je réfléchis à ma propre pratique au quotidien, plus je me rends compte que lorsque la pâte ne lève pas, c’est qu’un des ingrédients principaux manque. Pas la quantité de sel ou de poivre, pas la sorte d’épice.

Le saumon. Les mangues. La crème.

À vouloir trop mettre à sa sauce, on perd l’essentiel. Souvent, la réponse à un problème qui survient lors des ateliers se retrouve dans les incontournables. Les élèves ne sont pas engagés ou se démotivent? C’est peut-être parce que le module s’étire pendant trop de semaines, ou que les mini-leçons ne sont pas assez structurée? Je ne vois pas beaucoup d’évolution dans les travaux des élèves? C’est peut-être parce que je n’offre qu’un ou deux ateliers par semaine ou que je n’offre pas assez de rétroaction. Je ne donne pas assez de rétroaction? C’est peut-être parce que mes élèves ne sont pas assez autonomes ou que je n’encourage pas assez les approximations…

Il y a des recettes qu’on essaie une fois et qu’on abandonne, qui ne sont pas pour nous. D’autres recettes qu’on adapte à sa manière, et d’autres qui deviennent des incontournables et qui se lèguent de génération en génération.

Pour moi, l’atelier d’écriture et de lecture est cette recette qui m’accompagnera longtemps et que je prends plaisir à partager. C’est la recette conçue par des experts, pour des enseignants et des élèves non-experts afin de les accompagner pour devenir plus compétents. Les uns pour enseigner, les autres pour apprendre, écrire, lire, devenir plus empathiques et comprendre le monde. Et pour que la sauce prenne réellement, il faut que les ingrédients de base s’y trouvent…

*Et pour la recette de Parfait aux deux saumons, mangue, coriandre et chantilly au chipotle de Jean-François Plante (Bistro, 2008, Éditions de l’Homme), vous pourrez la trouver ici: