Série Réflexions pédagogiques en temps de pandémie
Un article de Martine Arpin
« Tout ce qu’on fait depuis toujours pour les ateliers de lecture et d’écriture mène à ce moment que nous vivons. C’est maintenant que ça arrive ! C’est le moment où les élèves peuvent pleinement prendre conscience, ainsi que les enseignants, de ce que signifie : “Tu es l’auteur de ta vie ! Tu as une vie de lecteur !”. » Lucy Calkins
Cette introduction à un institut du Teachers College était parfaite pour souligner l’importance de ce que nous vivons. Maintenant, pendant que nous le vivons, mais aussi pour après, puisque ce que nous en retiendrons devra teinter nos prochains pas afin de nous assurer que nous réussissons à créer ce en quoi nous croyons: que ce qui se passe à l’école soit assez près de la vraie vie pour que les enfants le portent en eux en dehors des murs de la classe.
L’enseignement virtuel en temps de crise est l’occasion de réfléchir à ce qui est important. On ne fait pas l’enseignement habituel. On ne peut pas continuer là où l’on a laissé la classe. Il faut prendre du recul pour mieux avancer en partant des besoins (qui ne sont pas tous pédagogiques…). On ne travaille pas présentement pour que les élèves « passent à travers le programme » et « soient prêts pour l’an prochain ». Et si l’on retourne en classe cette année, ou l’an prochain, ce sera la même chose. Tout le monde s’accorde pour dire qu’on n’en est pas là.
Ce que nous vivons présentement doit permettre de revenir à l’essentiel : que par la lecture et l’écriture les enfants accèdent aux émotions et au monde qui les entoure. Que la lecture et l’écriture leur permettent d’en faire partie et de participer à sa transformation.
Pour cela, il faut miser sur les habiletés de haut niveau, notamment par la réflexion et la communication. Proposer des activités qui favorisent l’engagement (impliquant donc un choix). Partir de ce que les lecteurs et les auteurs savent déjà, afin de favoriser l’autonomie et le sentiment de responsabilité (ce sentiment de pouvoir, de prise, que l’apprenant peut avoir sur ses apprentissages) et continuer de construire la communauté. Nous devons enseigner à quoi peuvent ressembler la lecture et l’écriture à la maison.
Lorsqu’on enseigne virtuellement, que ce soit en préenregistrant une leçon ou en réalisant une vidéoconférence, un avantage est qu’on n’a plus (ou presque !) à se soucier de la gestion de classe. Bien sûr, quand on est « live », il faut s’attendre à tout : un petit frère qui arrive, une petite sœur qui pleure en musique de fond, une maman qui perd patience dans la pièce d’à côté et qui oublie que la vidéoconférence est en cours (ah, Dieu merci, c’est partout pareil !), un papa en boxers qui met ses bas en arrière-plan, un élève qui oublie (ou pas…) que son microphone est allumé et qui chante Baby Shark, l’autre qui tourne sur sa chaise… Et heureusement, parce que ça nous fait sentir un peu plus « connectés », ça ressemble un peu à la classe, on n’a pas l’impression d’être seule devant son écran. C’est virtuel, mais vivant. Moins de gestion, alors profitons-en pour se centrer sur d’autres aspects de notre enseignement, pour gagner en efficacité.
Lorsqu’on envoie une vidéo de leçon préenregistrée, et aussi en vidéoconférence, les enfants doivent choisir d’y être. Si parfois, en classe, ils peuvent être moins attentifs sans même qu’on s’en rende compte, virtuellement, ils peuvent littéralement se lever, et quitter ! L’engagement est donc primordial. On peut, par exemple, demander aux élèves de lever le pouce en l’air, d’utiliser les icônes de réaction de la plateforme que nous utilisons, de montrer leur travail à l’écran. Il faut trouver notre « Passe-Partout » intérieure : Vous savez, cette façon, dans les émissions pour enfants, qu’ont les personnages de parler à l’enfant comme s’ils lui parlaient directement, de faire des pauses après les questions pour « écouter » la réponse, et d’y réagir comme s’ils l’avaient entendue ? Chez les élèves jusqu’à la 3e année, nous pouvons être assurés que les enfants, naturellement, répondront effectivement. Il faut aussi miser sur les indices visuels : l’expression faciale, la gestuelle, les tableaux d’ancrage, le partage d’écran.
Aussi, on peut se permettre de surutiliser la technique de « dire tout haut sa pensée » (voiceover). Les enfants peuvent ainsi accéder à notre processus de réflexion pour pouvoir les reproduire ensuite de façon autonome.
Le travail de l’enseignante, plus que jamais, en est un de cheerleader. Tout comme en débutant un nouveau module d’enseignement en classe, nous devons tout faire pour rallier les élèves autour d’une intention commune. Il faut être un vecteur de motivation. Présentement, surtout après quelques semaines à la maison où l’excitation du début est passée, les enfants, comme les adultes, ont besoin d’un petit plus pour être stimulés. Aussi, il faut être à l’écoute. Nous servons d’auditoire à nos élèves et devons leur offrir des choix pertinents et réalistes.
Avec ces aspects en tête, nous pouvons penser au genre de mini-leçons, d’enseignement en petit groupe ou d’entretiens prioriser avec nos élèves, pour l’enseignement virtuel. Ce tableau en donne quelques exemples généraux :
À partir de ces objectifs, une chose que nous pouvons faire est de préparer des leçons et les enregistrer à l’avance pour les envoyer aux élèves. L’avantage est que chacun peut regarder la leçon quand il veut, selon son horaire. L’exemple ci-dessous est une leçon que l’on pourrait qualifier de caméléon, parce qu’elle fait un pont entre le travail à l’école et celui à la maison, sans appartenir à un module précis. Après l’avoir partagée aux familles de ma classe, j’ai reçu des plans de certains élèves qui l’ont déjà visionnée .
Vous trouverez la leçon Les lecteurs passionnés font des plans ici:
tableau d’ancrage:
Le lien et les échanges sont bien présents, même lorsqu’ils sont virtuels. Et lors du retour en classe, je pourrai miser sur ce lien que nous avons gardé, et sur les habitudes de lecteurs et d’auteurs que nous continuons de développer en les transférant de la classe à la maison, pour les transférer à nouveau dans la classe ensuite et continuer à avancer ensemble.
*Et pour ceux qui se poseraient la question, oui, tous les exemples de ce qui peut arriver durant une mini-leçon en direct sont tirés de mon expérience personnelle…
Réflexions personnelles alimentées par ma participation à l’institut virtuel : Rising to the Challenge, Teaching Litteracy Virtually and with Magic, Teachers College Reading and Writing Project, 8 au 10 Avril 2020.