Un article de Martine Arpin
Les ateliers de lecture et d’écriture représentent beaucoup plus qu’une méthode d’enseignement. Derrière toutes les décisions qui modulent nos interventions, il y a une solide philosophie de l’enseignement et de l’apprentissage. L’objectif va bien au-delà d’être « capable de lire ». Quand on veut encourager le plaisir de lire et d’écrire, provoquer un sentiment de nécessité, viser long terme en formant des élèves-lecteurs et non pas nous accommoder simplement de liseurs, faire de nos élèves des lecteurs-pour-toujours (Nadon, 2016), alors la façon d’enseigner est importante.
En lecture, l’une des bases sur lesquelles nous voulons appuyer nos interventions et notre enseignement est la communauté de lecteurs. En créant cette communauté dès la rentrée, en la développant tout au long de l’année et en la valorisant, nous encourageons l’engagement des élèves et le sentiment d’appartenance, et nous jetons les bases d’un environnement qui favorise le questionnement, la réflexion et l’entraide.
À la suite d’une formation sur les études (ou enquêtes) par Kathy Collins au Teachers College de l’Université Columbia en août 2018, mes collègues et moi avons ajouté dans nos classes ce dispositif qui permet aux élèves de mieux se connaitre eux-mêmes et entre eux, qui nous permet de mieux les connaitre aussi, tout en enrichissant et en contribuant à développer notre communauté d’apprenants.
Une étude est une démarche de réflexion évolutive personnelle et collective à partir d’un sujet donné. Le sujet peut venir des enfants : leurs intérêts, leurs questionnements, leur curiosité naturelle. Elle peut venir aussi de l’enseignant : ses intérêts, des questionnements, sa curiosité naturelle. Le sujet peut aussi être lié au programme, aux modules travaillés en classe (dans le cas des ateliers de lecture et d’écriture), aux matières, aux mandats de l’école (par exemple aux programmes de sensibilisation à l’intimidation), aux initiatives locales.
Nous avons choisi d’élaborer une série d’études sur l’identité de lecteur, que nous présentons à différents moments de l’année. Une telle étude étalée nous permet de porter attention au lecteur lui-même, de s’intéresser à la personne, en tant que lecteur/lectrice, ainsi qu’aux sujets, aux genres, aux livres, aux attitudes et aux comportements de lecteurs, autant qu’on porte attention aux stratégies de lecture. Lorsque l’enfant inclut dans son identité personnelle une identité de lecteur, alors il reconnait et réalise que cela fait partie de lui, de la personne qu’il est, et non seulement que c’est une partie de sa journée d’école. Il comprend l’apport que cela peut avoir pour lui, pour elle, personnellement, et non pas pour la tâche scolaire à réaliser. Les lectures que nous faisons contribuent à forger notre compréhension du monde et notre identité personnelle : « Notre cerveau semble fait pour ces histoires. Des histoires tellement bien racontées que nous pleurons, rions, sursautons, réfléchissons… même si nous savons qu’elles ne sont pas vraies. Le cerveau, lui, ne fait pas la différence. Et c’est tant mieux. Grâce aux histoires (…) nous faisons l’expérience de la vie de autres pour mieux vivre la nôtre. (…) Les histoires rendent nos vies plus humaines, nous font devenir plus empathiques et humains(Nadon, 2019). Dans le manifeste On a tous besoin d’histoire, Marie Barguirdjian affirme : S’il n’y a certes aucune recette à suivre pour faire découvrir la vie aux enfants, la littérature, par les milliers de petites expériences humaines qu’elle présente dans les histoires, propose des réponses à leurs questions et les soulage. Dans une fiction, le lecteur peut se connecter de près ou de loin à ce qu’il vit. Il reconnaît dans les situations ou les actions de l’histoire des éléments et des émotions proches de son vécu. Grâce à la littérature, l’enfant explore ainsi le frottement entre la réalité et la fiction, un aller-retour qui active sa pensée et enrichit sa connaissance de lui-même .
Riches de ces constats, une étude sur l’identité de lecteur nous apparait importante. Elle contribuera à ce que chacun puisse affirmer son identité dans notre communauté d’apprenants lecteurs.
La première partie de cette étude, qui a lieu durant les premiers jours d’école, part de la question : « Qui suis-je comme lecteur, comme lectrice? » Nous y présentons, à partir de livres à propos des livres , diverses questions qui amènent les élèves à réfléchir sur eux-mêmes en tant que lecteur, à échanger avec les autres et avec leurs familles à ce sujet. Nous en profitons pour présenter le Carnet de lecture et mettre en place différents comportements et habitudes de lecteurs qui seront importants durant l’année pour le bon fonctionnement de l’atelier de lecture. Chaque jour, nous y consacrons quinze à vingt minutes, incluant la lecture de l’album lorsque c’est le cas.
Voici un exemple de ce à quoi cette étude peut ressembler sur 5 jours (cliquer sur le lien):
Étude identité de lecteur, partie 1
Durant les études, et tout au long de l’année à d’autres moments, des entrées dans le carnet de lecture permettront de laisser des traces de cette identité de lecteur qui se construit. Par exemple, après la lecture d’un livre ou d’un chapitre, les élèves peuvent faire un croquis pour représenter ce qui les a marqué, une information importante pour eux, la partie la plus importante du récit selon eux, les émotions que la lecture leur a fait vivre, une leçon de vie apprise, un lien avec leur propre vie. Plus les enfants sont jeunes, plus l’utilisation du croquis est importante : le visuel est la représentation de la pensée, permettant ainsi l’évolution de la réflexion.
Pour poursuivre dans la même lignée, nos prochaines études seront autour du thème de la communauté, des discussions autour du livre, de l’engagement à la lecture et de la façon dont les livres peuvent changer nos vies (article à venir).
Dans notre horaire chargé, nous sommes toujours à la recherche de ce que nous pouvons faire en classe qui maximisera notre temps d’enseignement. Nous voulons donc adopter des pratiques qui agiront en synergie et qui s’enrichiront les unes et les autres. Dans cette optique, les études sont une valeur ajoutée à notre enseignement. En touchant la construction de l’identité, le développement de la communauté, et les apprentissages, elles nous permettent de faire des liens, favorisant le transfert des apprentissages en contexte authentique, contribuant à créer une ambiance riche et positive et encourageant la réflexion et l »autorégulation, permettant ainsi à chacun d’être reconnu et apprécié à sa juste valeur, pour la personne qu’il est et pour celle qu’il est en train de devenir.
Références:
Planification des questions d’étude : Julie Bouchard, École À l’Orée-du-Bois.
Comme un roman, édition anniversaire, Daniel Pennac, D’eux, 2016
Que sait la littérature?, Collectif sous la direction de Normand Baillargeon et Kateri Lemmens, Leméac, 2019
Pour une lecture à la maison : https://enclasse.telequebec.tv/contenu/papa-maman-nos-livres-et-moi/1455