Un texte de Martine Arpin
Depuis quelques semaines, un questionnement revient dans ma tête: Qu’est-ce qu’il y a encore à dire sur les ateliers d’écriture? Le blogue est né, il y a cinq ans déjà, d’un constat : Comment se fait-il que nous n’ayons à peu près pas accès, ici, en français, à de telles connaissances sur l’enseignement? Sur l’enseignement de l’écriture, oui, mais surtout, sur l’enseignement tout court. Sur ce que c’est, être enseignant. Il est parti d’un élan de partage, de passion et d’enthousiasme. Le « pourquoi » était là. Un beau terrain, vaste, défriché par d’autres avant nous, à explorer.
Après quelques années, on finit par se demander si on a encore quelque chose à dire. On a accès aux ateliers en français, on a publié des dizaines d’articles, alors, que dire de plus?
Et dernièrement s’ajoute : Est-ce que j’ai le bon médium? Adapté à l’air du temps?
La vie, souvent, prend soin de nous apporter les réponses à nos questions…
Lundi, j’ai écouté une vidéo de Stéphane Côté, enseignant et auteur du livre Pratiques gagnantes et pédagogie 3.0 (Chenelière, 2020), qui s’est questionné et a réfléchi sur les pratiques probantes en éducation et qui prône, comme mon amie Jacinthe se plait à le répéter, de « faire moins mais mieux ». Faire le ménage de ses pratiques pour investir du temps dans ce qui compte et améliorer l’engagement des élèves, changer leur perception de l’apprentissage et favoriser la réussite de tous. Pas besoin de s’épuiser à tout vouloir réinventer. Investir dans ce qui est un facteur de changement pour eux. Je n’ai pas tout lu, pas encore, mais il nomme, d’une autre façon que moi, ces facteurs qui sont à la base de beaucoup d’interventions que je retrouve dans les ateliers, les même assises théoriques. Des pratiques probantes, ce sont des pratiques probantes. Les petits détails (ou les grands constats) qui font la différence, pour les élèves et pour les enseignants. Ça me rappelle qu’il y a une raison derrière ce que je fais.
Mardi, ma collègue Isabelle a publié une photo du carnet d’auteur de son élève, photo qui a généré plusieurs « j’aime ». On s’étonne ensemble de la popularité d’une publication aussi simple. Mais son invitation concrète à son élève a été un levier pour lui. Elle démontre une intervention pédagogique simple et puissante à la fois. Ce sont les bonnes pratiques ramenées au quotidien de la classe. Ça me rappelle ce à quoi je crois: qu’il doit y avoir une intention derrière les interventions.
Mercredi, Amanda Gorman a ébloui la planète lors de la lecture de son poème à l’investiture du président Joe Biden. Non seulement avec la lumière qui émanait de ses magnifiques yeux pétillants et le jaune ensoleillé de son grand manteau, ou par la grâce de sa gestuelle, mais surtout avec ses mots. C’est son habileté à saisir le moment pour partager haut et fort un état d’âme, un message plus grand que soi, pour faire résonner le cœur des gens, qui nous a éblouis. Quand je l’écoute parler de son écriture, de ce qui l’anime, je retrouve ce qui fait l’authenticité des ateliers d’écriture. Surtout, une jeune fille de 22 ans prend la parole de façon magistrale et majestueuse devant plus de 40 millions de personnes, et ça me rappelle l’essentiel : écrire, c’est dire ce qui nous tient à cœur. C’est jouer avec les mots. Et moi, j’adore jouer avec les mots.
Jeudi, dans la classe, c’est la dernière période de la semaine. Avant le temps de jeux, j’ai prévu de l’écriture. Une réflexion sur les objectifs personnels, le travail d’auteur, l’utilisation de la liste de vérification. La journée a été mouvementée, les enfants sont agités, bavards depuis leur arrivée ce matin. Il y a de l’énergie dans l’air, comme une veille de tempête. Je sais que cette leçon est importante, je n’ai pas envie de la bâcler. On la fera lundi prochain, ils ont besoin de jouer, je pense. J’annonce aux élèves le changement dans l’horaire, anticipant leur excitation.
-Finalement, les élèves, pas de période d’écriture cet après-midi… on va commencer les jeux libres.
-Oh noooon! Je commençais mon nouveau texte aujourd’hui! (Emma)
-Oh non, j’aime ça écrire moi! (Marianne)
-Oh, oh, oh, je finissais mon histoire! (Lukas)
Et bien sûr, quelques « Yes! » (que je ne nommerai pas…)
Si vous vivez les ateliers avec vos élèves, vous reconnaissez cet élan d’enthousiasme pour l’écriture. Il fait encore des petits papillons dans le cœur d’enseignante, même après des années.
Pas le choix! Période d’écriture il y aura! Mais ma leçon reste étoffée. Choisissons autre chose. Mon cerveau se met en mode besoin. De quoi mes élèves ont-ils besoin?
Du temps pour écrire. Ils n’en auront jamais trop. Je pourrais seulement leur donner du temps pour écrire. Mais j’aime bien saisir toutes les occasions pour ajouter à leur bagage.
Y a-t-il un problème général que je pourrais aborder de façon simple et directe? Une idée m’apparait d’elle-même. L’engagement. Je remarque que cette année, je travaille l’engagement plus qu’à l’habitude. C’est un constat que nous faisons dans nos conversations entre collègues. J’ai déjà fait le truc de la minuterie, la couleur différente du crayon de révision, je complimente beaucoup, certains qui perdent du temps ont même dû le reprendre à un autre moment, et pas des élèves en difficulté. Ils ont accès aux tableaux d’ancrage. Plusieurs stratégies ont été enseignées pour chaque partie du processus d’écriture, processus qu’ils maitrisent bien. Je ne sais plus trop comment améliorer leur engagement.
Je me retourne pour avancer mon banc et les inviter au rassemblement, et je vois mon énorme coffre à crayons. Et c’est là que l’idée arrive. Quand mon cerveau est dissipé comme celui des élèves, ça amène de drôles d’idées, parfois. J’ai envie de m’amuser moi aussi.
-Bon, bon, d’accord! Quinze minutes d’écriture. Mais seulement quinze, d’accord? (Dans ma tête : Je ne suis pas dupe… l’énergie du matin n’a pas changé. Je ne pousserai pas ma chance. Ils sont bien enthousiastes, là, mais quinze minutes, ce sera bien assez).
-Yé! (peu importe ce que je propose, Emma est toujours enthousiaste)
-…(lui, il est un peu déçu, il avait envie d’aller jouer)
-Juste quinze? (Ariane n’en a jamais assez. Elle, elle va continuer durant les jeux, je pense)
-Ok! (William se dit que c’est un bon compromis)
-Venez d’abord au coin de rassemblement, j’ai quelque chose d’important à vous dire. Tout comme vous lisez maintenant des livres plus longs et plus compliqués (lien avec l’atelier de lecture du matin), vous écrivez aussi maintenant des textes plus longs. En deuxième année, une ou deux phrases par pages ne suffisent pas. Ça ne suffit pas parce que vous savez maintenant écrire sur les événements qui sont importants pour vous. Vous n’écrivez pas sur n’importe quel petit moment. Et quand on écrit sur quelque chose d’important, on doit utiliser tout ce que l’on sait sur l’écriture pour montrer à notre lecteur que c’est un moment important. On écrit beaucoup de détails, pour que notre lecteur se sente vraiment dans l’histoire, ou ressente vraiment ce qu’on veut qu’il ressente. En deuxième année, on est prêt à faire ça! Je remarque que plusieurs d’entre vous n’écrivent pas encore beaucoup, sur une page, ou n’écrivent pas encore plusieurs textes. C’est dommage, parce que vous avez tellement de choses intéressantes sur vos vies à partager. Alors aujourd’hui, je vous ai apporté quelque chose de spécial. J’ai pensé vous prêter mes crayons super spéciaux. Ce sont les crayons que j’utilise, moi, quand je sens que j’ai une bonne idée et que je veux l’écrire du mieux que je peux. (avec le ton de celle qui présente quelque chose d’extraordinaire).
Et c’est là que j’ai sorti mes PaperMate Flair colorés…

-Wouah!!!!!!!!!!!! (Emma. Enthousiame contagieux, je vous dis! Chaque fois!)
-Ils sont incroyables n’est-ce pas?! Mais surtout, ils me permettent d’écrire plus! D’écrire tout ce que je veux dire. De penser à tous mes trucs d’auteurs quand j’écris, alors j’ai pensé que si je vous en prête chacun un, ils pourraient vous permettre de le faire aussi. Qu’en pensez-vous?
-Ouiiiiiiiiiiiiii! (vous savez qui! Ça en prend une par classe. Un catalyseur.)
-Tu vas NOUS les prêter? (Alyssia sent que c’est un privilège incroyable)
-Ce sont des crayons magiiiiiiques!!! (Léah chuchote à son amie Sarah, excitée)
-Est-ce que c’est avec ces crayons là que tu as écrit Thomas et Philémon? (pragmatique Thomas-Jacob)
-Ma mère en a des pareils! (Une maman prof…)
-Alors voilà ce que nous allons faire… Chacun va choisir un crayon dans mon coffre, et s’installer. Ouvrez votre livre à la page où vous êtes rendus, où vous voulez écrire plus, ou beaucoup. Ouvrez le crayon et tenez-vous prêts à écrire. Je vais partir la minuterie, et à mon signal, vous commencerez à écrire. Nous verrons combien de mots, de phrases, de pages vous pourrez écrire en seulement quinze minutes. Allez-y!
Vous pouvez imaginer l’encre colorée qui explosait sur les pages. Des feux d’artifice! Moi, je circulais, comptais les mots, les lignes, les pages, à voix haute, impressionnée. Certains élèves ont presqu’écrit plus en quinze minutes qu’en six leçons…
15 minutes d’engagement total.
À la sonnerie, nous nous sommes arrêtés. J’ai demandé aux élèves de regarder le travail qu’ils avaient accompli. Puis, je leur ai demandé de lever leur texte bien haut pour créer un arc-en-ciel de mots, de phrases et de pages, preuves colorées de l’engagement qu’ils ont eus en tant qu’auteur. Je les ai félicités pour leur engagement, et leur ai demandé de me rapporter mes crayons, fière de mon coup, mesurant ma chance de travailler avec des petits qui embarquent avec autant d’enthousiasme, et contente aussi d’avoir su trouver un objectif réel à cette période improvisée.
Puis, Évelyne, en me remettant mon crayon, s’est exclamée : « C’est vraiment vrai qu’ils sont magiques tes crayons, Martine! J’ai écrit bien plus que d’habitude! » Et les autres, autour d’elle ont approuvé : « Oui, ils sont vraiment magiques! ».
Et c’est là que j’ai réalisé qu’il manquait quelque chose d’important dans mon intervention improvisée, pour qu’elle soit vraiment magique…
-Les auteurs, venez tous au rassemblement, j’ai quelque chose d’important à vous dire avant que vous alliez jouer…. Vous avez écrit plus que jamais, aujourd’hui! Plus de mots, plus de phrases, plus de lignes, plus de pages. Ces crayons ont vraiment quelque chose de spécial. Mais vous savez ce que c’est, leur magie? C’est qu’une fois que vous SAVEZ que vous pouvez écrire autant en quinze minutes, vous n’avez plus besoin de ces crayons pour le faire. Vous le faites. C’est tout! Peu importe le crayon que vous utilisez. Parce que vous avez VU ce que vous pouvez faire. Vous SAVEZ que vous pouvez écrire beaucoup, que vous connaissez des procédés pour en dire plus, que vous pouvez raconter vos histoires importantes en détail. Les crayons vous ont seulement montré quel genre d’auteur vous êtes. Quel apprentissage important, n’est-ce pas?
-On peut aller jouer, maintenant? (adorable Tim)
Samedi: Je repense à cette anecdote… Pourquoi est-ce que je repense à cette anecdote? Est-ce que ça pourrait devenir un article? Pourquoi écrire à propos de ceci? Pourquoi partager ce « petit moment »? Qu’est-ce que ça apporte de nouveau? Pas l’idée du siècle. Pas révolutionnaire. Pas même nouveau. Plein d’autres l’ont fait avant moi. Une intervention toute simple, un peu pour rire. Pourquoi me reste-t-elle dans la tête? Pourquoi décider de l’écrire?
Parce que cette semaine, différents événements mis ensemble m’ont rappelé que ces petits moments forts en classe n’arrivent pas comme par magie. Ils naissent d’un questionnement, se nourrissant des échanges, des partages des autres, des experts que j’ai pu voir à l’oeuvre, des lectures, des expériences, et grandissent dans la somme de tout ce que j’absorbe sur l’enseignement et sur l’écriture pour finir par s’imprégner et s’intégrer à ma façon d’enseigner, et c’est ce qui en fait la force.
Parce que cette semaine, Stéphane Côté m’a rappelé que l’on doit parler des bonnes pratiques, encore et encore, parce qu’elles sont à la base d’un enseignement de qualité, et tout comme les élèves, on apprend par répétition et avec les autres. Isabelle Robert m’a rappelé que ces grandes pratiques se traduisent aussi dans des détails simples du quotidien de la classe.
Et Amanda Gorman m’a rappelé que maîtriser l’art de l’écriture permet de mieux s’exprimer et que par elle on peut livrer des messages de vie puissants. Quel cadeau important à faire à nos élèves, alors, que de s’intéresser assez à l’enseignement de l’écriture pour leur donner tous les outils afin qu’ils puissent développer cet art à leur façon.

Épilogue :
Dimanche matin : En écrivant le titre de cette chronique, une chanson d’Alexandre Poulin me revient en tête. L’écrivain. C’est tout à fait ça. Plein d’autres l’ont fait avant moi, je vous disais… Bonne écoute!