Un article de Martine Arpin

La semaine dernière, j’étais à la maison de mes parents. Au sous-sol, de nombreux articles de collection de sports, surtout des Canadiens de Montréal. Mais aussi un espace dédié aux nombreux marathons que mon papa a fait durant plus de 40 ans, dont les certificats qui attestent de ses participations aux marathons de Montréal (où il a réalisé son meilleur temps à vie, 2h45),Boston, New York et Paris. Je suis loin d’avoir les capacités et l’intérêt de mon père pour la course à pieds. Mais comme tout le monde, je sais bien que l’exercice physique, c’est important. Autant physiquement que mentalement. Quand vient le temps de se mettre en forme et de bouger, plusieurs choix s’offrent à nous. Nos intérêts, mais aussi nos buts, vont modeler le genre d’entrainement choisi. On ne choisit pas la même activité, et on ne s’entraine pas de la même façon si on veut juste garder la forme ou courir un marathon. On ne choisit pas les mêmes exercices si on veut développer l’endurance, le cardio, des habiletés spécifiques ou la musculature. Mon père n’a pas fait que ce qu’il pensait être correct pour pouvoir atteindre ses objectifs durant de nombreuses années. Il s’est intéressé à ce qu’il se faisait de meilleur, a consulté des experts, a fait partie d’un club. Au fil des ans, ses objectifs ont changé.

Selon nos besoins, nos intérêts et nos objectifs, un entraineur peut nous aider à faire les meilleurs choix. Peu importe l’objectif, on veut évidemment obtenir les meilleurs résultats dans le meilleur temps possible, avec le moins d’efforts nécessaires. Pas par paresse. Par souci d’efficacité. Imaginons que vous décidez de consulter deux kinésiologues, des spécialistes dans leur domaine, et que chacun vous propose un entrainement :

Dans le premier, le kinésiologue propose ce qu’il croit être très bien pour vous. Les exercices vous intéressent beaucoup. Vous êtes familiers avec ceux-ci. Il y a beaucoup d’exercices qui travaillent chacun un aspect différent, et qui vous permettront d’atteindre vos objectifs. Vous devrez en faire plusieurs fois par semaine, pendant deux ans, pour atteindre vos objectifs. Votre entraineur sera là au début pour vous montrer comment faire. Il vous dira ensuite ce qui va et qui ne va pas. Vous serez en groupe, ce qui peut aider à la motivation. Tous les participants auront le même programme.

Dans le deuxième, il vous propose ce qu’il se fait de mieux dans le moment. Les exercices vous intéressent autant. Certains sont familiers, d’autre pas. Vous devrez en faire plusieurs fois par semaine, pendant un an, pour atteindre vos objectifs. Votre entraineur vous montrera comment faire, vous guidera, puis évaluera l’efficacité et les impacts sur votre forme physique, en fonction de vos objectifs, puis réajustera le tir au besoin. Les exercices changeront au fil du temps. Vous serez en groupe, ce qui peut aider à la motivation. Tous les participants auront la même base de programme, mais le kinésiologue ajustera certains exercices selon les besoins ou capacités spécifiques de chacun.

Quel programme choisirez-vous?

Le lien avec la pédagogie est direct. Cette recherche d’efficacité est toujours présente pour les enseignants. Comment arriver à un maximum de résultats dans les meilleures conditions, pour nous et pour les élèves?

C’est bientôt la fin d’une année scolaire. La fin d’un marathon de 180 jours.  C’est un bon moment pour faire un bilan, c’est donc aussi un excellent moment pour préparer la prochaine. Regarder derrière pour mieux avancer ensuite. En guise de dernier article de l’année, des idées inspirées de formations offertes par Nell Duke ainsi que d’articles qu’elle a écrits. Professeure émérite en littératie, langue et culture ainsi qu’au programme combiné éducation et psychologie à l’Université du Michigan, ses travaux portent essentiellement sur le développement de la lecture et de l’écriture informative et sur le développement de la compréhension chez les jeunes élèves. Elle a écrit de nombreux articles et contribué à plusieurs ouvrages pédagogiques, notamment sur les pratiques efficaces de niveau 1 appuyées par les recherches.

Concepts liés à l’écrit, conscience phonologique, décodage et connaissance des mots, stratégies de lecture de mots, régulation de la compréhension, fluidité, vocabulaire, analyse morphologique, contenus spécifiques (par exemple en univers social et sciences), flexibilité graphophonétique, grammaire, syntaxe, structure de textes, fonctions exécutives, connaissances sur les genres littéraires, stratégies de compréhension, compréhension littérale, inférentielle et critique, promenades visuelles et recherche, endurance, attitudes favorables… Quand on pense à toutes les stratégies et habiletés que nous devons développer chez les élèves pour former des lecteurs/scripteurs/élèves compétents, on peut rapidement se sentir dépassée. D’où l’importance de choisir les meilleures pratiques et de bien planifier leur orchestration pour nous permettre de répondre aux besoins de tous les élèves et nous préserver de l’épuisement.

Par exemple, j’ai longtemps pensé que la meilleure façon d’aider mes élèves à apprendre les mots d’orthographe ou les mots fréquents en lecture était de préparer des ateliers (ou centres d’apprentissages, ou bacs de travail) avec différents jeux et matériels pour s’exercer. Après beaucoup de budget dépensé et de temps à photocopier, découper, plastifier et découper à nouveau plusieurs pour préparer différents centres durant l’année, nous nous sommes rendu compte, mes collègues et moi, que les résultats pour nos élèves n’étaient pas au rendez-vous. Beaucoup de temps investi avant et pendant la classe pour peu d’impact sur l’apprentissage des élèves. C’était « cute », et amusant. Les élèves aimaient beaucoup les centres et étaient motivés. Mais nous ne voyions pas ou peu d’amélioration dans le transfert de ces habiletés ou connaissances dans le travail d’écriture ou dans la lecture. On croyait encourager l’autonomie, mais être capables de faire les tâches seuls ou à deux ne les rendaient pas plus autonomes face à l’apprentissage. Le même questionnement s’est posé à notre école au sujet de nos interventions pour le développement du langage oral (voir article https://atelierecritureprimaire.com/2021/10/17/loral-au-service-de-lecrit/).

Être conscient de l’impact de ce qu’on met en place nous permet de faire de meilleurs choix pédagogiques et de mieux planifier notre horaire. Nos précieuses minutes dans une journée de classe sont comptées, alors ce que nous recherchons, c’est un maximum d’impact sur les élèves pour un investissement de temps minimum (pour nous et pour les élèves).

Voici donc les conclusions de Nell Duke par l’étude de méta-analyses au sujet des pratiques de niveau 1 à instaurer dès la rentrée, notamment celles au sujet des enseignants efficaces, c’est-à-dire les enseignants dont les élèves progressent significativement, même (et surtout) ceux qui en ont le plus besoin. N’est-ce pas là notre objectif, sinon notre obligation professionnelle, et surtout, ce à quoi tous les élèves devraient avoir droit?

Les enseignants efficaces :

Portent attention à l’environnement de la classe

Organiser la classe pour soutenir le développement de la littératie :

-avoir un espace pour l’enseignement en groupe

-avoir un espace pour l’enseignement en petit groupe

-prévoir des espaces de collaboration

-avoir des livres, des livres, des livres et autres matériels accessibles (lettres magnétiques, post-its, bandes de révision…) pour la lecture et pour l’écriture.

Planifient et agissent intentionnellement

– Savoir pourquoi on fait chaque chose, et en connaitre l’impact

-Établir des routines et procédures claires dès la rentrée

Ne perdent pas de temps, entre autres en et centrant leur enseignement sur les pratiques appuyées par les recherches (et en évitant les pratiques qui sont peu ou pas efficaces selon les recherches)

Réfléchir à ce qui gruge notre temps inutilement et aux pratiques prouvées comme étant peu ou pas efficaces :

Par exemple : travail du matin (occupationnel), fiches d’activités ou cahiers d’exercices (quantité?), recherche de définitions dans le dictionnaire, façon de prendre les présences, temps alloué calendrier (certaines activités sont peut-être superflues selon le temps de l’année ou les contenus à enseigner, ou peu bénéfiques), déplacements inutiles dans l’école, trop de temps pour la promenade visuelle en lecture, temps de lecture autonome qui ne serait pas ajusté au temps de l’année…

Des exemples de pratiques « payantes : lecture à voix haute interactive avec conversations signifiantes, lecture partagée, enseignement explicite des stratégies de compréhension, enseignement explicite de la conscience phonologique et des habiletés graphophonétiques, application des connaissances et stratégies pour comprendre et appliquer le principe alphabétique en lecture et en écriture (enseignement systématique et explicite des relations entre les graphèmes et les phonèmes en suivant une séquence planifiée et intentionnelle, conscience phonologique et phonémique, formation des lettres, concepts liés à l’écrit, mots fréquents…), dictées d’apprentissage, techniques pour travailler la fluidité, construction de connaissances, écriture interactive, enseignement explicite de la calligraphie et de l’orthographe, enseignement du processus d’écriture, enseignement des stratégies d’écriture, étude de la morphologie, étude du vocabulaire… dans un contexte motivant. (Vive les ateliers!)

Orchestrent tous les éléments

Illustration non exhaustive d’un environnement efficace en littératie

Nous voulons faire d’une pierre deux coups :  les pratiques de niveau 1 bien intégrées, en synergie, valent plus que la somme de leurs parties. Il faut donc rechercher et créer les occasions d’apprentissages et les dispositifs qui permettent de travailler plusieurs aspects en même temps : l’écriture interactive en est un bon exemple. (pour en savoir plus au sujet de ce dispositif : https://atelierecritureprimaire.com/2018/11/04/lecriture-partagee-et-lecriture-interactive-un-support-a-latelier-decriture-partie-2/)

On peut aussi penser à la synergie entre la conscience phonologique, les habiletés graphophonétiques, la reconnaissance des mots, l’apprentissage de mots fréquents et le concept de mots :  il y a de la réciprocité dans les liens entre les concepts de base alors on veut des opportunités de les travailler simultanément et non en silos.

Lorsque nous prévoyons notre horaire quotidien, chaque minute compte. Il faut s’assurer que chaque élément qui s’y retrouve est pédagogiquement bénéfique.  Des discussions avec les collègues sur les pratiques s’imposent! Est-ce qu’on connait l’intention et l’impact pédagogique d’une pratique? Est-ce qu’on fait cette activité par habitude? Parce qu’on ne connait pas une autre façon de faire? Parce qu’on nous a dit de le faire? Parce qu’on a toujours fait comme ça? Répondre à ces questions en équipe nous permet de mieux cibler nos interventions.

Alors, on peut bâtir l’horaire quotidien (qui ne sera jamais parfait…) avec soin en incluant, par exemple :

20 minutes* d’enseignement des compétences sociales et émotionnelles (ou habiletés sociales) et de travail sur le développement de la communauté de classe :   On a longtemps pensé que cet apprentissage devait se faire tout au long de la journée, de façon implicite et intégrée aux activités de la journée, mais plusieurs recherches démontrent qu’un enseignement explicite et spécifique quotidien de ces habiletés serait plus profitable.

10 minutes* : De courtes leçons de groupe sur un aspect de la littératie (concepts de bases en lecture et en écriture (conscience phonologique, grapho-phonétique, travail sur les mots…), écriture (stratégie, orthographe…), stratégies de lecture…

20 minutes* de travail sur la langue (lettres, sons, orthographe, vocabulaire, grammaire, régularités orthographiques…) incluant la leçon sur le sujet traité au besoin.

Du temps de lecture et d’écriture individuelle

45 minutes* : Beaucoup de temps pour les entretiens individuels et l’enseignement en petits groupes de besoins.

Du temps de récréation

Les autres matières au programme (dans lesquelles il est profitable d’intégrer des éléments de la littératie. Effectivement, il est démontré que cela augmente les compétences autant dans les contenus spécifiques que dans les compétences en littératie). Par exemple, des lectures à voix haute d’inscrivent bien autant dans le temps alloué à la lecture en groupe que dans le cours de sciences, d’univers social ou d’éthique, et le développement de la compétence à l’oral peut faire partie de la période de mathématiques)

*le temps suggéré n’est pas une prescription, mais une approximation selon différentes études, du minimum requis pour un maximum d’impact.

J’aime bien l’image de la balance pour illustrer le choix de pratiques et dispositifs à mettre en place. L’équilibre est le même, mais dans le premier cas, beaucoup d’énergie et de temps à planifier chaque objet d’apprentissage, chaque moment d’enseignement ou de travail, alors que dans le deuxième, le choix de dispositifs permettant de travailler sur diverses compétences en même temps permet de mettre son énergie à la bonne place. C’est le deuxième programme d’entrainement! (vive les ateliers!)

Enseignent de façon explicite

Vive les ateliers! Mais c’est aussi valable en mathématiques, pour les habiletés sociales, etc.

Donnent plusieurs occasions de s’exercer

Vive les ateliers, et cela doit aussi être vrai pour les autres éléments de la littératie.

Favorisent les interactions avec les familles

Les entrevues de parents, par exemple, sont une belle occasion de les impliquer dans la vie de la classe.

Favorisent l’autorégulation chez les élèves

Vive les ateliers!

Font en sorte que les élèves écoutent, parlent, lisent et écrivent beaucoup

Vive les ateliers!

Utilisent judicieusement l’enseignement individuel, en petit groupe et en grand groupe

On devrait passer plus de temps sur l’enseignement en petits groupes et les entretiens individuels que sur l’enseignement de groupe. Il faut savoir tirer profit du temps en petit groupe parce qu’il est très important pour la différenciation et a un impact significatif sur l’apprentissage.

Il faut bien utiliser le temps en petit groupe pour les élèves avec l’enseignante autant que pour les élèves qui ne sont pas avec l’enseignante. Avoir un rythme soutenu d’enseignement et des routines claires, enseignées avec attention et avoir des structures de participation et des outils pour favoriser l’engagement des élèves maximise l’effet de « rester sur la tâche » pour ceux qui ne sont pas avec l’enseignante.

Utilisent des évaluations et observations pour éclairer leur enseignement

Baser son enseignement sur une évaluation (à ne pas confondre avec notation) en cours d’apprentissage. Vive les ateliers!

Sont réactifs et flexibles

Former et re-former les groupes durant l’année pour répondre aux besoins et créer des leçons pour répondre à ces besoins.

Créent des occasions pour les élèves de collaborer

Vive les ateliers!

Offrent des choix et du contrôle

Vive les ateliers!

Apportent un soutien en cours d’apprentissage

Vive les ateliers!

Encouragent les réussites (attentes claires et élevées, font la démonstration de ce qu’est la réussite, par exemple une application d’une stratégie en particulier avec succès, et offrent du support étayé pour l’engagement des élèves. Vive les ateliers!

Mettent l’emphase sur l’effort 

Notamment en voyant les erreurs comme des occasions d’apprentissage, et en célébrant les marques de révision et de correction. Vive les ateliers!

Sont positifs et enthousiastes lorsqu’ils parlent de lecture et d’écriture

Vive les ateliers!

Finalement…

Nous sommes toujours à la recherche des meilleures pratiques. De nombreuses recherches en éducation nous sont accessibles. Le problème est que, peu importe le domaine, pour chaque recherche qui prouve une chose, il en existe une autre qui dit son contraire. Il faut être prudent quand quelqu’un arrive avec une idée. Dans le milieu de l’éducation, nous avons été, à travers les années, échaudés avec « les nouvelles modes ». Je me souviens d’une époque, pas si lointaine, où chaque année, quelqu’un arrivait avec une nouvelle idée, une nouvelle « affaire », qui allait tout changer. Maintenant, nous sommes plus à l’affût. Nell Duke est catégorique. On ne peut pas ne pas savoir pourquoi on fait quelque chose en classe. Comme on ne peut pas prendre une seule étude et changer ses pratiques. On ne peut pas prendre quelque chose qui fonctionne avec un certain groupe d’élèves à besoins spécifiques et penser qu’on doit l’appliquer à tous. Même les méta-analyses ont leurs limites.  La science, c’est essayer de trouver des convergences, des noyaux communs dans le plus de recherches possible, et être conscient des limites des résultats. Ensuite, notre responsabilité professionnelle nous oblige à ne pas ignorer ce que l’on sait. Et à utiliser nos meilleurs talents de jongleurs pour tenter d’intégrer tout ce que l’on sait de bien dans nos pratiques et surtout, dans notre horaire.

Oui, vive les ateliers!

Cette liste confirme plusieurs choix pédagogiques que de nombreux enseignants ont faits dans les dernières années, notamment en ce qui concerne les ateliers de lecture et d’écriture qui favorisent cette synergie, procurent un contexte favorable aux apprentissages et aident à la mise en place d’une structure gagnante pour l’enseignement en petits groupes et les entretiens individuels. Ils assurent aussi une progression réfléchie, intentionnelle et étayée des contenus, des stratégies et des méthodes d’enseignement. Ils forment un noyau fort pour ancrer la littératie et toutes ses composantes et s’appuient naturellement de nombres pratiques probantes . Même si au départ ils peuvent nous effrayer avec le temps qu’on y met, je peux maintenant affirmer, comme plusieurs, que chaque minute investie dans leur mise en place et chaque plongeon dans un module, même s’il peut sembler ardu, en vaut la peine parce qu’il assure une base solide à ces pratiques connues pour être efficaces en plus d’apporter une formation continue individuelle et de groupe. Ensuite, il reste peu de morceaux à coller à l’orchestration déjà en place.

Et l’an prochain?

Les conclusions de Nell Duke m’aident aussi à réfléchir aux incontournables à mettre en place dans ma classe dès la prochaine rentrée scolaire. À notre école, nous voulons nous pencher, en équipe, sur l’efficacité de notre enseignement en petits groupes. L’impact de cette pratique sur les élèves vaut la peine de s’y investir. On le sait depuis longtemps, mais, comme pour l’entrainement, on remet souvent à plus tard. Là, ça y est, on s’y met. Réfléchir ensemble, discuter, planifier, s’organiser. Faire un pas en avant, c’est bien, mais avancer ensemble, c’est encore mieux! 

Surtout quand on avance aussi 3 ou 4 midis par semaine, 3 kilomètres bien comptés, à vitesse rapide dans les rues autour de l’école…