Cette semaine, dans ma préparation en vue d’une expérience personnelle complètement hors de ma zone de confort, mon premier réflexe a été d’avoir une conversation avec une amie et collègue. Nous avons parlé d’éducation. Un sujet sur lequel on échange souvent en groupe, qui m’interpelle, sur lequel j’ai beaucoup de choses à dire.  Un sujet qui m’intéresse. J’avais déjà planifié mes idées, écrit, et eu de longues conversations avec une équipe de travail, mais cette rencontre individuelle, où je présentais à une personne de confiance des idées et des grandes lignes sous la forme d’une conversation, et l’échange constructif, m’ont aidée à structurer ma pensée et à la faire évoluer, à enrichir ce que j’avais déjà préparé. Je réalise que cette expérience avait les airs d’un entretien individuel comme ceux que je mène en classe avec mes élèves en lecture et en écriture.

Un entretien d’écriture est une conversation avec l’élève, lors duquel il parle à l’enseignante du travail qu’il est en train de faire comme auteur, alors que celle-ci, attentive, réagit aux propos de l’élèves et à son travail d’auteur à partir de ce qu’elle connait de lui et de l’écriture en complimentant un aspect de son travail qui mérite d’être reproduit de texte en texte, et en offrant un enseignement personnalisé qui l’aidera à élever ses compétences comme auteur et une occasion de s’exercer rapidement.  On peut faire la même image en lecture, ou pour tout autre enseignement. La rétroaction en cours d’apprentissage est l’une des pratiques les plus puissantes pour élever le niveau de compétence des élèves et de leur travail, et elle peut prendre différentes formes (entretiens individuels, enseignement en petits groupes, entretiens de table, énonciation à voix haute…).

Les entretiens individuels sont importants parce qu’ils permettent de répondre aux besoins individuels de chaque élève selon ses besoins et capacités, exactement dans sa zone proximale de développement. Ils sont un levier pour l’endurance, le transfert des apprentissages et le sentiment de compétence personnelle. Ils offrent un temps de qualité individuel avec l’enseignante, qui a des répercussions autant sur l’apprentissage que sur la relation.  

Dès les premières périodes d’écriture et de lecture, je m’assure que les élèves savent explicitement ce que sont les entretiens individuels, pourquoi ils sont si importants, comment ils se dérouleront, et mes attentes pour l’élève qui sera en conversation avec l’enseignante et pour les autres.

« Les auteurs, cette année, chaque fois que vous serez en train d’écrire, après la mini-leçon, je circulerai et je m’arrêterai auprès de l’un de vous pour avoir une conversation sur son travail d’auteur. Saviez-vous que les chercheurs qui étudient l’enseignement ont découvert que ce moment est celui qui vous aidera le plus à vous améliorer, et qui m’aidera le plus à vous aider? C’est un moment TRÈS important n’est-ce pas? Je ne pourrai pas rencontrer individuellement chacun de vous chaque jour, mais je ne peux pas non plus passer une heure chaque jour avec chacun. Alors, pour bien profiter du court moment que nous aurons ensemble, voici comment nos rencontres vont se dérouler: Pendant que vous allez écrire (ou lire…) je vais observer votre travail, dans le dossier d’écriture, et vous poser une question ou deux sur votre travail d’auteur. Vous allez me répondre, on aura une discussion. Ensuite, je vais vous faire un compliment, vous nommer quelque chose que vous faites de très bien, et vous enseigner ou vous rappeler quelque chose qui vous aidera à devenir un meilleur auteur. Et voici ce que les autres doivent faire quand je suis avec un élève pour un entretien individuel… »

En enseignement explicitement l’entretien, en expliquant aux élèves ce que c’est, pourquoi c’est important et comment il se déroulera, on leur permet de mieux intégrer cette pratique et d’en mesurer l’importance. On met les chances de son côté pour que le gestion de classe soit plus facile, et on aura un appui pour les différentes interventions que nous devrons refaire à ce sujet, parce que nous travaillons dans une classe, et qu’il y aura toujours des rappels et des mises au point à faire!

En début d’année, en début de module, le temps d’écriture autonome ainsi que le volume d’écriture ne sont pas maximaux. On ne connait pas beaucoup les élèves, et encore moins leurs habiletés et leurs défis en écriture, mais on peut tirer profit des entretiens individuels de plusieurs façons dans être nécessairement centré sur le contenu des textes. Voici quelques pistes qui pourront amorcer votre réflexion à ce sujet et qui peuvent être utiles dès demain matin dans votre classe, peu importe le niveau.

-Miser sur l’autonomie 

Après avoir enseigné explicitement le déroulement des entretiens, quelques interventions positives à voix haute sur l’autonomie, le travail sérieux, les bonnes habitudes sont habituellement très utiles pour favoriser les comportements attendus. En disant : « Wow, Alexandre! Tu t’es déplacé rapidement et calmement, et tu es déjà en train de commencer tes croquis! Tu es un auteur efficace qui ne perd pas de temps! » « Super Rosalie, tu as terminé un texte, tu veux en commencer un nouveau, et tu es allée chercher toi-même de nouvelles pages au coin écriture! Tu n’es pas venue me voir en disant « J’ai fini! J’ai fini! J’ai fini! » Tu as été autonome et tu as pris une bonne décision! Bravo! » « Génial Victor. Tu as le livre entre les mains, tes yeux sur le texte, et tu lis! C’est ce qu’un lecteur fait! » « Violette, je suis impressionnée! Tu étais en train de marcher vers moi pour me demander quelque chose, mais tu as vu que je travaillais avec Jacob et tu t’es dit: Je ne peux pas les déranger! Ils font un entretien et c’est très important! Je vais trouver une solution! Impressionnant pour une élève de 2e année! Merci! Jacob, veux-tu la remercier de ne pas nous avoir interrompu? Comme c’est gentil. »

-Travailler à la mise en place des bonnes habitudes de travail et des comportements

Se mettre au travail rapidement, écrire, faire des tentatives pour l’orthographe en utilisant un signe pour se rappeler de corriger ensuite au besoin, lire sans arrêt, faire une pile à lire, être dans son nid de lecture dos à dos avec le partenaire, utiliser les tableaux d’ancrage, être autonome et trouver des solutions lorsque l’enseignante travaille déjà avec un élève.

-Parler des sujets qui les intéressent (surtout en début d’année. Quand on connait bien les élèves, il n’est plus nécessaire de le faire)

Cela peut aider à générer des sujets pour les textes à venir ou orienter des choix de livres: « Oh! Tu écris un texte sur une fois où tu es allée camper? Quelles autres activités aimes-tu faire avec ta famille? Te baigner? Oh, peut-être ton prochain texte parlera de ça! J’ai hâte de lire pour apprendre à mieux vous connaitre! »   « J’adore ce personnage! As-tu vu qu’il y a beaucoup de livres de cette série dans la classe? Si tu aimes les histoires de ce personnage, tu aimeras sûrement aussi cette autre série, je vais te montrer… »

-Créer des liens, montrer son intérêt réel pour l’enfant et encourager le choix de sujets importants et signifiants 

« Oh! Pourquoi ce moment est important pour toi? Qu’as-tu ressenti? »  « Quels genres de livres aimes-tu lire? Quels sujets t’intéressent? »

-Valider la compréhension de la structure du genre enseigné 

Une simple phrase : « Raconte-moi! », donne à l’élève l’occasion de s’exercer à l’oral une fois de plus, ce qui est précieux dans l’élaboration de son texte.  De plus, la façon de raconter nous informe sur la structure qu’il veut donner au texte, ce qui est primordial au départ pour bien poursuivre dans le genre enseigné.

-Commencer à intégrer le vocabulaire spécifique lié à l’écriture, notamment en ce qui a trait au processus d’écriture 

« Oh! Tu planifies ton texte en faisant des croquis rapides? C’est très important! C’est une chose que les auteurs font toujours, planifier avant d’écrire! »  « Tu es en train de terminer ton histoire? Que feras-tu après? Oh oui, tu es un auteur productif, tu sais qu’après avoir écrit une histoire, un auteur trouve une autre idée et commence une autre histoire! Bravo! Est-ce que je peux t’enseigner quelque chose d’autre que les auteurs font quand ils ont terminé, avant de commencer un autre texte? Les auteurs révisent. Ils relisent et se demandent…»

En septembre, nous savons comment la gestion et la mise en place des bonnes habitudes d’apprenants méritent notre attention et notre temps parce qu’elles teinteront et faciliteront le travail en classe tout au long de l’année. Les entretiens valent la peine qu’on y investisse de l’énergie au départ, parce qu’on sait qu’on y gagnera en efficacité et parce qu’on connait l’impact puissant et réel de cette pratique parfois difficile à instaurer. Tout ne sera pas parfait, mais comme pour n’importe quel apprentissage, une gestion centrée sur la rétroaction en cours d’apprentissage demande de la pratique. On ne peut pas attendre de se sentir prête, parce qu’on n’y arrivera jamais! Il faut faire exactement ce qu’on demande aux élèves quand ils apprennent quelque chose : se lancer, faire des tentatives, prendre une bouchée à la fois, réfléchir à sa pratique, s’appuyer sur nos collègues, être honnête envers les élèves et envers soi-même, se faire confiance et oser!

Dans la classe, pour chacune de nos élèves, nous devons surtout être cette personne de confiance, comme mon amie Julie l’a été pour moi, à laquelle ils auront envie de s’ouvrir pour apprendre et devenir meilleurs.

Pour approfondir le sujet des entretiens
et la rétroaction en cours d’appentissage

https://atelierecritureprimaire.com/2016/03/20/les-entretiens-composante-importante-de-latelier-decriture/