Un article de Martine Arpin (Inspirée du quotidien de sa classe et du travail de Molly Picardi et ses collègues, Teachers College Reading and Writing Project)

On dit qu’à partir du moment où on aime une série de livres, on devient lecteur, lectrice pour la vie. D’Anne la maison aux pignons verts (Lucy Maud Montgomery) à La bête à sa mère (David Goudreault), en passant par La comtesse de Ségur, les livres de Martine et les aventures du Pigeon de Mo Willems, ma vie de lectrice et d’enseignante est et a toujours été remplie de séries.

C’est avec cette prémisse que j’ai abordé le dernier module de lecture avec mes élèves de 2e année. Ayant réorganisé la bibliothèque de classe pour soutenir leurs clubs de lecture de séries, je leur ai expliqué l’importance pour moi, en tant qu’enseignante de 2e année, de leur offrir le plus d’opportunités possible de tomber en amour avec des personnages, avec une série, pour semer dans leur vie de lecteur et de lectrices des étincelles de plaisir qui ne pourront que continuer à grandir, en même temps qu’eux.

Alors que les lecteurs passent de la lecture de livres pour lecteurs émergents à des livres plus longs, nous devons nous assurer que nous les accompagnons dans cette transition afin qu’elle se fasse en douceur pour qu’ils puissent continuer d’aimer la lecture, se sentir compétents et se centrer sur la compréhension de l’histoire et des personnages même si le niveau de difficulté augmente.

En effet, dans les livres plus longs, notamment les livres à chapitres, non seulement il y a plus de texte, mais il y a aussi plus de dialogues, plus de personnages, un vocabulaire plus élaboré, un langage littéraire plus complexe, et de moins en moins de support de l’illustration pour favoriser la compréhension.

Heureusement, nos élèves ont déjà appris des stratégies de lecture et des bonnes habitudes de lecteurs sur lesquelles ils peuvent compter alors qu’ils s’apprêtent à lire des livres plus longs. Par exemple, ils savent déjà jeter un coup d’œil, utiliser différents indices pour lire un mot difficile (les indices grapho-phonétiques, le sens et la syntaxe), relire pour plus de fluidité, réfléchir à l’histoire et bien plus encore. Ils utilisent ces stratégies et habitudes d’un livre à l’autre lors de la lecture indépendante.

Nous pouvons donc nous appuyer sur les connaissances et habiletés qu’ils ont déjà pour les amener à poursuivre ce travail en lisant des livres plus longs, c’est-à-dire au fil de leur lecture. Ils vont continuer de faire ce qu’ils font déjà, mais de façon plus sophistiquée, plus élaborée. Par exemple, les élèves apprennent à continuer de faire le survol avant de lire le livre, mais d’une autre façon, plus complète. Ils peuvent faire plus de choses en lisant pour garder le fil, par exemple en notant des idées sur des post-its pour marquer le texte.

Au fur et à mesure que la longueur des textes s’allonge, que l’utilisation du langage figuratif se fait plus présente, que la proportion de vocabulaire non familier augmente et que les relations entre les personnages se complexifient, lire une série de livre devient un soutien intéressant et important: les noms des personnages et des endroits reviennent, la structure de l’intrigue est souvent prévisible et la personnalité du personnage aide à prédire les évéenements. Les chapitres sont des balises utiles pour réguler la compréhension. Les problèmes, environnement et personnages familiers soutiennent aussi la compréhension d’un livre à l’autre.

La lecture de livres plus longs comme les livres à chapitres aide les élèves à devenir des lecteurs plus habiles, c’est à dire que c’est à leur contact qu’ils peuvent continuer de développer les stratégies enseignées d’une façon plus élaborée pour lire de façon fluide et coordonner la compréhension et le décodage de façon de plus en plus intentionnelle et automatique.

Il sera important de continuer de travailler les stratégies de lecture de mots plus longs et plus complexes, et surtout les stratégies pour comprendre le sens d’un mot ou une expression nouvelle ou plus complexes en utilisant le contexte, nos connaissances sur la langue et nos connaissances sur le personnage et les constantes des histoires.

Il faudra donc aussi être stratégique lorsque nous étudions certains aspects du texte/à travers les textes de la série avec les élèves. Trois aspects seront des plus importants: la structure de l’intrigue (problème/solution), les traits de caractère des personnages et les changements dans leurs émotions, ainsi que le vocabulaire.

Lorsque je présente une série à un groupe d’élèves qui formera un club de lecture, je m’assure de leur parler du personnage avec enthousiasme, de leur parler de la raison pour laquelle je pense qu’ils vont l’aimer, en m’attardant aux éléments qui pourront être importants pour leur motivation et leur compréhension.

Avant et pendant le nouveau module, les lectures à voix haute avec discussion importante ciblent et font le modelage de ce travail auquel je m’attends lorsque les élèves lisent de façon indépendante et discutent avec les membres de leur club. Avec la classe, j’aime utiliser Bink et Gollie (Kate di Camillo, dont certains livres de la série sont malheureusement épuisés) mais aussi Ma vie heureuse (Eve Lagercrantz), Le facteur de l’espace (pour l’aspect BD qui plait vraiment et le niveau de difficulté qui demande un accompagnement), Grand Loup et Petit Loup (Nadine Brun Cosme et Olivier Tallec), pour la poésie du texte et les possibilités interprétatives du caractère et de la relation entre les personnages, Zig Zag (Tedd Arnold) ou même Tom et Lali, pour rejoindre ceux qui ne sont pas prêts encore pour les premiers romans et ainsi un modèle de réflexion approfondie même à partir de livres courts et simples, pour que chaque lecteur et lectrice se sente interpellé par le travail à faire.

La lecture guidée est un dispositif parfait pour soutenir les élèves dans le nouveau travail qu’ils s’apprêtent à faire. Voici un plan intéressant pour travailler avec un petit groupe d’élèves, idéalement un club qui s’apprête à lire la même série.

Tout d’abord, je choisis un texte au niveau de lecture du groupe. Ensuite, je m’assure de préparer les élèves à la structure du texte en leur présentant les personnages et le problème. Puis, je peux les accompagner dans la lecture du premier chapitre pour modeler le travail de réflexion attendu. Un autre journée, nous travaillerons le travail de réflexion en cours de lecture, et une autre journée, nous discuterons au sujet de l’histoire et des personnages, et ferons un plan pour la suite (lecture de la série). Ce travail permet d’accompagner chacun des clubs de lecture dans le travail plus sophistiqué qui les attend, tant comme lecteur que membre d’un club.

Encore une fois, les liens sont forts entre ma vie de lectrice et ce que j’enseigne à mes élèves, ce que j’apprends encore à créer dans ma classe pour eux. Comme dans la « vraie vie », ils tombent en amour avec des personnages et des auteurs. Ils échangent sur leurs lectures, sur les personnages, sur les histoires, sur leur compréhension, sur les problèmes et les messages. En apprenant à se connaitre comme personne et comme lecteurs, ils peuvent faire des recommandations aux autres. Ils développent les stratégies de lecture et les habitudes de lecteurs dans les différentes dimensions de la lecture, de façon signifiante et dans un but social. Ces actions et ce contexte sont gages de motivation, d’engagement et de durabilité. Je reconnais dans ma classe les mêmes échanges, discussions, réflexions et questionnements que ceux que j’ai avec mes ami.e.s et collègues lecteurs et lectrices: nous parlons de nos lectures, nous parlons des histoires, des styles d’écriture, des intrigues, du langage, de la voix d’auteur, nous nous faisons des recommandations, nous avons des personnages préférés et d’autres avec lesquels nous n’avons pas connecté, nous échangeons et prêtons des livres, nous présentons des séries, des coups de coeur. Nous vivons notre vie de lecteurs, tous les jours, et mes élèves méritent un espace stimulant pour la vivre aussi, du haut de leurs 8 ans. C’est d’ailleurs ce que je revois, parfois, lorsque je m’arrête pour les regarder: ma pile de livres roses, sentant les pages jaunies, remplis des milles aventures de l’espiègle Sophie et de ses cousins et cousines (Les malheurs de Sophie et autres, Comtesse de Ségur), ou des histoires de la sage Martine, célèbre homonyme. Et moi, qui se retrouvait un peu entre ces deux héroïnes que je connais presqu’autant que mes meilleures amies.