Un article d’Anick Sirard
Et maintenant, quoi? C’est une excellente question! C’est en fait la question que l’on devrait toujours se poser, à chaque étape franchie, à chaque obstacle rencontré et surtout quand on pense être arrivé!
Dans un récent article, ma collègue Isabelle Robert décrit bien ce qui est entendu par « texte sur demande ». Récoltés d’abord en début d’année, ces textes sont des mines d’or d’informations pour nous aider à connaitre nos auteurs, leurs forces et aussi les besoins qu’ils ont et auxquels nous répondrons par un enseignement ciblé et des moments de rétroactions variés.
Parvenir à maintenir l’attente élevée que nos élèves passent par toutes les étapes du processus d’écriture à l’intérieur d’une seule période afin de nous remettre le meilleur texte narratif/informatif/d’opinion qu’ils sont à ce moment de leur apprentissage capables de faire, c’est déjà un pas important. Célébrons! Bravo d’y être arrivé!
Et nous voilà maintenant assis devant 18, 24, 88, 112 ou 128 copies par genre selon le niveau auquel on enseigne et les paramètres temporels de notre tâche. C’est devant ces piles de feuilles que surgit la question « Et maintenant, quoi? »
Le réflexe que l’on a bien souvent, c’est celui de l’évaluation. On nous met un texte entre les mains et nous voilà aussitôt le crayon coloré dans l’autre à chercher les fautes, à vouloir tout encercler, souligner, vaguer.
Premier conseil : quand vous vous retrouverez devant ces textes sur demande, laissez votre crayon bien à plat sur la table ou encore caché dans votre tiroir. Allez d’abord à la rencontre de ces auteurs.
- Qu’ont-ils à dire? Quels genres de sujets ont-ils choisi d’aborder? Le sujet retenu semble-t-il vraiment important pour eux, près d’eux? Que peut-on apprendre d’eux en tant qu’êtres uniques? Le lien avec les élèves est une pierre angulaire dont l’importance n’est plus à défendre.
- Que connaissent-ils du genre pour lequel on leur a demandé d’écrire un texte?
- Quel volume sont-ils parvenus à écrire en une période?
- Qu’ont-ils comme habitude d’écriture quand on s’attarde à la planification? Y a-t-il des traces de cette étape cruciale? On ne cherche pas un plan en cinq parties. On cherche du griffonnage, des schémas, des idées écrites en pattes de mouche dans un coin…
Second conseil : asseyez-vous avec votre (ou vos) collègue du même niveau ou du niveau voisin pour vous exercer avec un échantillonnage de textes à préciser les attentes. On veut développer un discours de plus en plus commun à propos de l’écriture et de ce qui l’entoure. « Notre capacité à parler d’écriture est intimement liée à notre habileté à enseigner l’écriture », soutient Mary Ehrenworth. Nous lisons et lirons à propos de l’écriture. En travaillant ensemble, on multiplie nos connaissances et nos références. C’est l’efficacité collective!
Troisième conseil : utilisez la stratégie des trois piles.
Vous n’avez toujours pas votre crayon en main, ça vous démange, n’est-ce pas? Pas de temps à perdre, on veut que ça serve! Je sais. Tellement!
Si notre réalité nous place en relation avec un grand nombre d’élèves, plutôt que de tout noter, on voudra d’abord faire l’exercice des trois piles. Quand on lit les Writing pathways du TCRWP, on propose quatre piles. L’an dernier, nous avons fait l’exercice ainsi, mais quand j’ai eu l’occasion de travailler avec Mary Ehrenworth, elle nous a proposé trois piles, et je dois dire que ça a grandement accéléré le processus!
Alors, les trois piles. On veut s’exercer à développer l’habileté à repérer rapidement les forces et les défis des auteurs en faisant des lectures de survol.
On cherche à classer des productions, pas des élèves.
1re lecture de survol (2-4 min) : faire trois piles, une pour les textes qui semblent ne pas répondre aux attentes, une pour les textes qui semblent corrects et une pour les textes qui semblent au-delà des attentes de début d’année, et ce, au premier coup d’oeil.
2e lecture un peu plus attentive (6-8 min) : réajuster les piles en fonction des considérations d’organisation, d’élaboration, de style, de conventions.
La pile du milieu devrait devenir la plus épaisse, elle rassemble la majorité des travaux de nos auteurs.
- Qu’apprend-on de leur façon d’organiser leurs idées? Ont-ils l’habitude de faire des paragraphes, d’écrire de longues phrases qui n’en finissent plus de finir, d’utiliser des intertitres? Ont-ils plutôt opté pour un bloc où s’enchevêtrent toutes les idées qui se sont bousculées dans leur tête? Parviennent-ils à garder un point focal?
- Qu’apprend-on de leur capacité à élaborer? Ont-ils l’habitude d’intégrer des détails spécifiques, des dialogues, des preuves, des exemples? Nous donnent-ils suffisamment d’informations pour que l’on puisse saisir leurs idées, s’imaginer les scènes, ressentir, voir, entendre? Y a-t-il même un sens profond, une raison d’être, une réflexion en fin de texte ou intégrée à l’écriture?
- Qu’y a-t-il à apprendre de leur style? Quelle couleur a leur écriture? Figures de style, ton, vocabulaire puissant, symbolisme? Reconnait-on leur voix?
- Et qu’observe-t-on de la maitrise des conventions? Y a-t-il une urgence? Et si on résistait à l’envie de tout vouloir fixer, quel serait l’apprentissage prioritaire que l’on remarque que tous nos élèves gagneraient à pratiquer?
3e lecture : déterminer, pour chacune des trois piles, un prototype, un texte qui représente bien les particularités caractéristiques de la pile. Ces textes deviendront des points de repère pour réguler la progression tant des élèves que de notre enseignement. Ce sont ceux que nous monitorerons si le nombre ne nous permet pas de tous les mettre en relation avec le prochain texte sur demande.
Quatrième conseil : acceptez le gris, l’imparfait. L’important, dans cet exercice c’est de savoir avec de plus en plus de précision ce que l’on cherche dans les textes de nos élèves, de développer une vision claire et limpide de ce qu’on veut que les élèves développent comme habiletés et des stratégies qui leur seront utiles. L’exercice des trois piles devrait prendre environ 20 minutes par groupe de 30 élèves. Au début, nous voulons excéder. Lancez-vous le défi de le faire dans ce laps de temps. Voyez ce que vous découvrez. Qu’est-ce qui retient votre attention? Où investissez-vous plus de temps? C’est tellement formateur comme exercice!
Cinquième conseil : tirez des conclusions généralistes, partielles, particulières. Les conclusions générales permettront de déterminer les forces sur lesquelles nous pourrons construire de nouveaux apprentissages avec les élèves, mais aussi de déterminer les minileçons qui sauront vraiment soutenir tout un chacun.
Les conclusions particulières nous permettront de nous rappeler d’éléments essentiels à connaitre pour chaque élève au regard de qui il est et de sa compétence à écrire.
Audra Rubb mentionnait cet été, lors d’un atelier de formation, que tous nos cerveaux sont câblés différemment. Il n’y a qu’à regarder l’organisation de nos bureaux d’ordinateur ou encore le classement de nos fichiers. Ainsi, une grille de consignation, un outil d’analyse ou un cartable de suivi qui convient pour un ne conviendra pas pour l’autre.
Avec une fenêtre de navigation qui ressemble à cela, je ne suis pas certaine que mes outils conviendraient à plus d’un!
L’an dernier, on a dû essayer au moins trois façons de faire, Stéphanie, Rosanne, Éloïse, Mélanie et moi, on n’a pas toutes retenu la même et ce n’est pas encore tout à fait ça pour chacune! Une chose est certaine, on a beaucoup appris en faisant cet exercice. Et, disons-le, permettons-nous de ne pas prendre toutes les bouchées en même temps! Rien ne nous empêche, pour commencer, de faire l’exercice d’analyse des textes sur demande avec un seul groupe, ou deux, si nous en croisons quatre.
Qui plus est, concevoir ses propres outils de suivi nécessite une réflexion à propos de ce qui est vraiment important, et c’est là toute la force d’une démarche professionnelle : la pratique réflexive. Vous vous impressionnerez! N’est-ce pas déjà le cas?