Par Catherine Lapointe

Il y a dans nos classes, des moments non inscrits dans un planificateur scolaire. Des moments d’école avec des ailes d’oiseaux. Une envolée d’écoliers à travers des pages de livres. Des soupirs d’espoir, des mains tendues vers une couverture de livre et des mots suppliés pour une histoire assis en cercle. 

Ce matin-là, j’inscris seulement le mot Lecture à mon agenda. Mes étiquettes de stratégies attendent à côté de mon escalier de lecture. Le petit papier orange collé sur la marche 15 minutes témoigne des traces de notre endurance en lecture autonome de la veille. 

Nous sommes en septembre. Septembre 2020. C’est une rentrée qui joue avec une pandémie. On vit des bulles, nos mains sentent l’éthanol, on court dans des zones, on marche sur des flèches, on apprend le langage des signes des yeux des personnes masquées. 

C’est une époque d’incertitude. Des chassés croisés d’adaptation scolaire. Je dois avouer que certains matins, l’anticipation de lire un livre à mes petits humains est la seule motivation forte que je ressens…

Je m’accroche aux livres comme à des radeaux. Certains comme des bateaux de fortune, d’autres comme de grands voiliers. Je sais la place qu’occupe les livres dans ma vie. Je doute encore de la place dans celle de mes élèves. 

Jusqu’à ce point de bascule.

Période de lecture, donc. Eloïse, 7 ans,  s’approche de moi, franchit la ligne des 2 mètres. Le regard franc, le pas des filles qui veulent tout vivre à la fois.  Elle tient dans sa main (celle qui n’a pas de plâtre), le livre La vie secrète. Les espaces n’existent plus. Le projet est plus fort que le «tape» sur le plancher et c’est très bien ainsi. Elle a besoin d’un bout de papier.  Sur ce papier, elle veut marquer 4 lettres. HUGO. «Madame Catherine, j’aimerais prêter ce livre à Hugo dans l’autre classe. Je sais qu’il aime les histoires de Renard. ».

L’autre classe est une autre bulle. Mais on ne confine pas les initiatives, encore moins celles qui ont comme enjeu un livre.

Ça m’aide à mieux saisir la place qu’occupe les livres dans la vie de mes élèves. Ils sont le symboles des choses qui n’ont pas changées. Leur certitude est rassurante. Les livres sont rassurants. Fidèles, loyales, forts, protecteurs, libres, fous, légers, bons, porteurs…

Les livres portent parfois des messages plus grands que l’histoire elle-même. 

Nous cognons à la porte de l’autre classe. Eloïse, son regard franc et La vie secrète dans sa main, offre ce prêt en quarantaine. Hugo sourit. Ce livre sera un trait d’union, un pont ou une ficelle. Il sera à lui seul cette note sur le frigo: Tu n’es pas seul. Je pense à toi.

Les jours qui suivent, je me place en éveil. Et je me mets à observer nos comportements de lecteurs, nos rituels. Parce que je les juge importants. Éloquents même.

J’observe les lecteurs avides, les lecteurs discrets. Je note des comportements authentiques. De petites fourmis qui fouillent, choisissent dans les bacs à livres partout. Par terre, dans des bibliothèques, dans des paniers suspendus, sur des présentoires, dans des chariots. Je n’ai jamais tout recensé, mais je crois en avoir autour de 400 (j’enseigne depuis 20 ans, j’ai tout investi dans les livres avec mes budgets stagiaires et j’ai couru les marchés aux puces plus d’une fois). Certains sont classés par auteurs, par réseaux littéraires, par illustrateurs, par sujets, par émotions, par questions.

Et d’autres ne sont pas classés du tout. Par manque d’espace ou par pure paresse, je l’avoue. Comme une boîte à surprise. La chasse au trésor d’un livre projeté à l’écran provoque toujours un cri de joie quand un élève le trouve dans ce joyeux fouillis. Juste pour ça, j’aime en égarer quelques-uns dans la classe et les regarder se faire repêcher comme on repêche un homme à la mer. 

Sur mon rebord de fenêtre, j’en fais des murailles d’espace protégé, des montagnes de livres sans fin, des maisons intérieures où les cloches n’existent pas, des piscines sans couloirs. Des libres services dans un dépanneur de livres ouvert 24 heures sur 24.

Les élèves viennent souvent y déposer un livre à lire à toute la classe. J’adore leur demander «Pourquoi lui?». Les livres, c’est collectif. Ça nous réunis autour d’un enjeu commun, comme une gang autour du feu. On partage les découvertes, les fous rire, les réflexions, les émotions. On discute. Sans être toujours d’accord, les livres nous amènent à nous ouvrir sur la vie intérieure des autres, la vie extérieure, nous amène vers d’autres livres et nous poussent même à nous mettre en action.

Un jour, nous avons lu l’album à la chute vertigineuse, Bonhomme de Sarah V. et Claude K. Dubois.  Ce livre a donné une puissance insoupçonnée à l’intention des gestes. Il est devenu un moteur social. Du haut de leurs 8 ans, les élèves ont lancé l’idée de cuisiner des pains pour les sans-abris de la ville de Québec. Merci à ce grand livre. Merci à mes grands lecteurs.

L’intention. Le geste qui pousse à choisir un livre plus qu’un autre, c’est si révélateur aussi. L’identité de mes élèves, je les découvre à travers leur boîte à livres, dans les liens qu’ils font avec les événements de la vie. Comme cet arbre près du boisé où nous allons lire qui, un jour, était marqué d’un triangle rouge. Le lendemain, nous l’avons retrouvé coupé. Un groupe de garçons s’est approché du tronc pour lui rendre hommage, le remercier. Comme dans L’arbre généreux. J’étais soufflée. J’étais remplie surtout. Car il y a tout dans les livres. Avoir des livres, c’est reconnaître que l’on est riches et  équipés!

Équipés oui, mais en toutes circonstance? On nous a toujours dit de ne rien apporter lors d’un incendie. Go on sort en chaussette en laissant Néfertiti le chat à l’intérieur ou en bobette en laissant Tabasco le cochon d’Inde ou Jello de poisson rouge. Mais si on doit se confiner à nouveau, je ne pourrai pas laisser ma matière première en classe. Et je devrai choisir quels livres nous aurons le plus besoin. Nous avons besoin des livres pour grandir. Même à mon âge! Une croissance sans fin avec un terreau littéraire, des vitamines Pierrafeu pour l’esprit. 

Je crois que les enfants ont besoin eux aussi de pousser dans les livres, de s’accrocher à eux comme à de grands voiliers. Car au contact des livres, on se sent enracinés, connectés aux autres, on trouve notre place, on construit un pouvoir sur notre vie, on lui donne du sens ainsi qu’aux événements que nous ne pouvons pas contrôler.

Nous sommes en septembre 2020. Je lis à mes élèves Quand le vent souffle. Cette histoire aux dessins puissants sur le vent, les cycles, la vie. La page où le vieil arbre parle au plus jeune et lui dit que le vent est parfois dévastateur et casse des branches, mais qu’en même temps il disperse les graines qui permettent à d’autres arbres de grandir. Le jeune arbre dit «Que penses-tu du vent?», le vieil arbre répond «Je choisis de l’embrasser». 

Je choisis d’embrasser ce vent de septembre 2020, en serrant très fort dans mes bras mes caisses de livres à l’étiquette «Kit de survie», le regard franc, le pas des filles qui veulent tout vivre à la fois, comme Éloïse. 

Un aperçu d’une quinzaine de paniers à livres ESSENTIELS dans notre classe.

Une soixantaine de livres incontournables.

Une caisse de Marianne Dubuc

  • Le chemin de la montagne
  • Le jardin de Jaco
  • La mer
  • L’autobus

Un panier de Claude K. Dubois

  • Bonhomme
  • Un papa d’aventure
  • Pas belle
  • Cassandre
  • Le jardinier qui cultivait des livres

Un bac de Mario Ramos

  • C’est moi le plus beau
  • Le loup qui voulait être un mouton
  • Mon ballon
  • C’est moi le plus fort

Une boite de Michaël Escoffier

  • L’anniversaire
  • La tarte aux fées
  • On verra demain
  • Tous les mots n’existent pas
  • Tempête sur la savane
  • Le jour où j’ai perdu mes super pouvoirs
  • La petite bûche

Réseaux littéraires «Les murs»

  • Cher Donald Trump
  • Après la chute
  • Au-delà de la forêt
  • De l’autre côté du mur
  • Les deux arbres
  • C’est mon arbre

La séparation et la reconstruction

  • Lili entre deux nids
  • Quand l’amour court
  • C’est un papa
  • Des couleur sur la Grave

Les coups de coeur de Madame Catherine et des élèves

  • Après la chute
  • L’arbragan
  • Le chemin de la montagne
  • Bonhomme
  • Mon frère et moi
  • La case 144
  • Ne laissez pas le pigeon conduire le bus
  • Léo tête en l’air
  • La maison en petits cubes 

Tu as besoin de s’enraciner et de reconnecter

  • Le vide
  • Un grand jour de rien

La nature inspire les humains

  • La milléclat dorée
  • L’arbre généreux
  • Quand le vent souffle

Des documentaires qui n’ont pas l’air de documentaires

  • Le goût des insectes
  • La science du caca
  • Les grosses bêtes de Tatsu Nagata (Thierry Dedieu qui se fait passer pour un scientifique japonais)

Un adulte te racontera (sujets sensibles)

  • Deux garçons et un secret
  • Le garçon invisible
  • Pablo trouve un trésor
  • L’éphémère
  • La croûte
  • Azadah
  • Elliot

Je m’affirme. Je suis unique.

  • Boris Brindamour et la robe orange
  • Ada la grincheuse en tutu
  • Nos héroïnes
  • De petit à grand, David Bowie
  • Les enfants à colorier
  • Ce que j’aime vraiment

L’art dans notre vie

  • Riopelle l’artiste magicien
  • Frida, c’est moi
  • Le gardienne du musée

Être ensemble

  • Le concours de force
  • Bob et Marley Les ricochet
  • S’unir, c’est se mélanger
  • Ce qui nous rassemble

Le livre n’existe pas encore, alors écris-le:

  • Livres des auteurs de la classe (un de mes bacs à livres préférés)

Catherine Lapointe, enseignante de 2e année, septembre 2020