Un article de Martine Arpin
Les groupes d’élèves sont toujours différents. Malgré des pratiques que l’on sait exemplaires, malgré une séquence d’enseignement qui a fait ses preuves et avec laquelle j’ai de plus en plus d’expérience, des défis se présentent chaque année, et chaque année, ils sont différents.
Cette année, je sens que l’engagement est particulièrement difficile pour mes élèves. Le temps de disponibilité lors des mini-leçon est au minimum. Peu d’élèves semblent mettre en pratique le contenu des leçons. Je l’explique de différentes façons (parce que le premier pas vers une solution efficace est de trouver la cause du problème…): l’âge des élèves (plus du tiers des élèves sont nés en juillet, août et septembre, et personne en octobre, ni en novembre… à 6 ans, ça fait une grande différence!), les différents besoins particuliers, dont plusieurs en lien avec l’aspect réceptif de la communication, les fragilités affectives, les effets de la gestion de la pandémie…
J’ai souvent la voix d’Amanda Hartman en tête : « Quand un élève ne peut pas faire une chose, la première chose à se demander est « Qu’est-ce que je peux faire d’autre, ou différemment, ou de plus pour qu’il soit capable? ». Mais parfois, j’ai l’impression d’avoir essayé tout ce que je connais et qui fonctionne habituellement…
La semaine dernière, après une journée particulièrement éprouvante, je me suis retrouvée dans la classe d’une précieuse collègue: « Jojo, au secours! ». On enseigne aux élèves à être de bons partenaires, et c’est exactement ce que nous tentons de faire entre collègues. On écoute, on réfléchit, on pose des questions. Souvent, les pistes de solutions jaillissent de ces conversations. Exposer le problème à voix haute permet de le voir avec une perspective différente.Discuter avec ma collègue m’a permis de réaliser que le problème finalement, n’est pas tant lié à l’écriture.
Quand je pense à CE groupe d’élèves, comment puis-je m’assurer que mon enseignement « colle », qu’ils se sentent concernés, qu’ils soient motivés et engagés? Comment mieux répondre à leurs besoins? Qu’est-ce que je sais qui fonctionne bien avec eux? Qu’est-ce qui les touche?
La première chose que j’ai décidé de changer est la façon dont j’aborde certaines leçons. J’ai souvent le réflexe de couper les anecdotes lors de la partie connexion de mes mini-leçons. En effet, lors d’un institut sur l’enseignement de l’écriture au Teacher’s College, Mary Eyrenworth avait affirmé que si nos mini-leçons durent trop longtemps, c’est parce que les enseignants aiment particulièrement raconter des anecdotes! Que si c’était à refaire, ils proposeraient moins d’anecdotes lors de la partie connexion de la leçon. Maintenant, sous les conseils de Mary, je préfère faire référence à l’enseignement de la veille ou aux enseignements précédents en montrant le tableau d’ancrage, puis passer tout de suite au point d’enseignement. Le plus souvent, je constate que c’est très efficace. Et comme je trouvais que mes élèves avaient généralement une capacité d’attention limitée cette année, je pensais que c’était la meilleure façon de faire!
Après ma réflexion sur l’engagement, un constat s’est imposé: et si, avec eux, c’était le contraire qu’il fallait faire? Je sais que pour ce groupe d’élève, les images parlent beaucoup. Ils sont pendus à mes lèvres lorsque je raconte des anecdotes, les images que je crée restent dans leur tête et font adhérer ce que je veux enseigner. Ils sont si enthousiastes!
Lorsqu’est venu le temps de parler de la révision dans le processus d’écriture, je sentais le besoin d’avoir une image forte. Je suis revenue à ma base : commencer une mini-leçon avec une anecdote qui permettrait de créer une image marquante dans la tête de mes élèves, assez pour que la stratégie « colle » et qu’elle provoque un engouement pour la période de travail autonome à venir.
J’ai déjà présenté mon image du crémage sur le gâteau quand vient le temps de la publication en fin de module (l’article est ici).

J’aime bien cette image. J’ai toujours trouvé qu’elle était « parlante » pour les élèves, mais je n’avais jamais senti le besoin d’utiliser cette image avant la publication.
Cette semaine, j’ai commencé ma leçon de révision en racontant que la veille, j’avais préparé gâteau avec ma fille (mes élèves savent déjà que nous cuisinons souvent ensemble, et qu’elle est une excellente cuisinière). Que nous avions sorti bols, cuillères, mélangeur, tasses à mesurer et moule, puis rassemblé les ingrédients. Ensuite nous avons mélangé les ingrédients, versé la préparation dans le moule et mis au four. Qu’après 25 minutes de cuisson, nous l’avions sorti, laissé refroidir, décoré et dégusté en famille. Et qu’il était délicieux! Ensuite, je leur ai dit que ce moment m’avait fait penser à leur travail d’auteur et d’autrices. Que je voulais leur enseigner que , comme dans la préparation d’un gâteau, toutes les étapes sont importantes quand on prépare un texte. Nous avons bâti ensemble un tableau d’ancrage pour chacune des parties, en y inscrivant l’étape de préparation du gâteau et l’étape du processus d’écriture correspondante.

Nous avons parlé des outils dont nous avons besoin pour écrire (crayons, livre, dossier d’écriture, idées…).
Des ingrédients qui se retrouvent dans un texte (les mots, les phrases, les stratégies, les croquis, la ponctuation…).
De la façon de « mélanger » tout cela sur les pages pour façonner le texte (on écrit, écrit, écrit, on prend des décisions…).
Pour la mise au four… ça a pris un peu plus d’imagination! J’ai expliqué aux élèves que lorsqu’ils cuisinent, ils ont besoin d’un adulte pour utiliser le four. En écriture, on ne mettra pas notre texte au four! Mais nous avons besoin d’un partenaire. Ensemble, on réfléchit, on discute, et notre cerveau chauffe! Ça fait grandir nos idées, et on peut ajouter au texte, comme un gâteau qui gonfle à la cuisson.
Vous pouvez imaginer l’énergie, à la fin de la mini-leçon, lorsque j’ai lancé: « Les auteurs, aujourd’hui, pendant la première partie de l’écriture autonome, vous voudrez probablement vous assurer que tous les ingrédients se trouvent dans votre texte avant de le mettre au four! Parce qu’après, vous aurez du temps pour faire cuire le tout en discutant avec votre partenaire! Au boulot! »
Lors de la pause de mi-atelier, j’ai arrêté les élèves: Voilà, c’est maintenant le moment de retrouver votre partenaire pour qu’il vous aide à mettre votre texte au four! Faites grandir vos idées. Les partenaires 1, dites à votre partenaire une chose avec laquelle vous avez besoin d’aide. Quelle stratégie vous pose problème? Dans quelle partie de votre texte? Les partenaires 2, écoutez votre partenaire et tentez de l’aider à résoudre ce problème!
Cette relance au milieu de l’atelier est souvent efficace pour favoriser l’engagement. Cette fois, j’ai vraiment senti que chacun saisissait l’urgence et l’importance du moment .
Cette expérience me ramène à une phrase de Lucy Calkins: La seule chose dont on est certain dans une journée de classe, c’est qu’il y aura des problèmes… Quand on y pense, c’est tellement vrai! Quand ça nous submerge, rappelons-nous de prendre un pas de recul, de discuter avec nos collègues, de revenir à la base (image, tableau d’ancrage) et de faire comme on le demande aux élèves… des tentatives! Parfois, on a de belles surprises, comme dans un gâteau coulant au chocolat.
