Un article de Martine Arpin

Un élève de première année, pour qui l’apprentissage de la lecture est particulièrement difficile, trouve un livre à la maison sur les moyens de transports. Il pense tout de suite à un autre élève de la classe qui ADORE et connaît tout ce qui a un moteur. À la maison, il place des post-its aux (nombreuses) pages qui vont, selon lui, intéresser l’autre. Le lendemain, il arrive dans la classe, et la première chose qu’il fait est d’aller voir l’autre en lui disant : « J’ai un livre à te prêter. Je pense que tu vas l’aimer, ça parle de plein de camions. Tu me le rapporteras quand tu vas avoir fini. Je te le prête plein de jours si tu veux. ». La chance que je sois juste à côté pour entendre cette conversation! Ce ne sont pas les meilleurs copains, ils n’ont pas la même personnalité, ni les mêmes intérêts, mais ils ont une chose importante en commun: Ils sont lecteurs! 

Apprendre à lire, au-delà de l’apprentissage de la technique pour y arriver et de la compréhension, c’est développer des comportements de lecteurs. Avoir des comportements de lecteurs, même quand c’est difficile de lire les mots, c’est déjà bâtir une identité de lecteur. Dans la motivation, l’engagement et l’amour de la lecture, c’est aussi important que la technique. Du moins, ça permet de justifier la technique, de s’y intéresser et d’en saisir l’importance. Cet élève, en adoptant des comportements authentiques de lecteurs, démontre qu’il se considère comme un lecteur, faisant partie d’ un groupe de lecteurs.  Quand lire des syllabes simples est encore difficile en mars, c’est déjà beaucoup, parce qu’il n’y a aucune façon de devenir lecteur si on ne se voit pas soi-même comme tel.

Enseigner, encourager et adopter des comportements de lecteurs.trices en classe pour forger une identité de lecteur est essentiel et, à travers les ateliers de lecture, tout cela est mis en valeur autant que la technique. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’aime cette approche.

Il y a quelques années, lors du congrès De mots et de craie, j’ai adoré une rencontre avec Shanna Schwartz, où elle nous encourageait à  penser à un.e lecteur.trice avide que l’on connait  et aux détails qui font que nous savons que cette personne est amoureuse de la lecture. Ce sont ces comportements de lecteurs que nous devons encourager et enseigner dans notre classe.

Avant de lire la suite, faites l’exercice. Qui est la lectrice avide dans votre entourage? Le lecteur passionné? Comment le savez-vous? (Lors de l’atelier avec Shanna, quelques collègues m’ont dit que c’est à moi qu’elles avaient pensé… J’étais presqu’aussi surprise qu’heureuse!)

Quand je pense aux rats de bibliothèques de mon entourage, je constate ceci:

Ils choisissent leurs lectures (c’est d’ailleurs l’un des droit des lecteurs, selon Daniel Pennac).

Comme un roman, D’eux

Elles connaissent des auteurs, leur oeuvre.

Ils ont des auteurs favoris.

Elles apprécient certains genres littéraires en particulier.

Elles parlent de leurs lectures.

Ils partagent leurs coups de coeur avec d’autres lecteurs (mon amie Annie me surnomme sa « pusher » de livres!)

Elles pénètrent dans l’univers du livre en s’identifiant aux personnages et en se projetant dans l’action (à l’époque où je lisais beaucoup de romans policiers, j’ai voulu devenir agent d’infiltration, ce qui fait bien rire mes amis maintenant… et moi aussi!).

Ils comparent des oeuvres.

Elles ont ou empruntent beaucoup de livres (à l’école, il y a certains livres qui passent de main en main entre collègues, durant des mois!).

Ils attendent le prochain tome d’une série ou la prochaine oeuvre d’un auteur avec impatience (Quand le jour de la parution du livre tu es à la librairie pour acheter le dernier Foenkinos…)

Ils participent à des événements littéraires.

Elles ont un endroit et un moment favori pour lire.

Ils choisissent de mettre la lecture dans leur emploi du temps.

Elles font parfois partie de clubs de lecture.

Ils ont une pile de livres à lire.

Certain.e.s tiennent un journal de lecture (j’ai toujours voulu tenir un journal des premières phrases des romans que je lis. J’adore revenir à la première phrase d’un roman, une fois que je l’ai terminé…).

On a longtemps pensé que pour qu’un enseignant soit un bon modèle de lecteur, il devait lire devant ses élèves. Une jolie mode, comme on en voit beaucoup dans notre domaine, mais qui n’a pas fait ses preuves et donne peu de résultats tangibles sur l’apprentissage, ni même sur la perception des élèves sur le lecteur adulte que l’on est. On sait maintenant que pendant que les élèves lisent, la meilleure façon d’élever le niveau de compétence est de mener des entretiens individuels ou des petits groupes de travail. Le temps que j’ai pour enseigner est précieux et il me semble que je n’en aie jamais assez pour tout faire: je n’ai vraiment pas le temps de lire mon roman personnel dans une journée de classe. Je ne lis jamais mes romans devant mes élèves, et pourtant, ils savent que je suis une lectrice avide…

Ils le savent parce que je leur lis des livres chaque jours. Plus qu’un. Parce que le lundi, ou après un long congé, j’arrive souvent avec un sac de nouveautés littéraires, et quand, en entrant dans la classe, ils voient un sac près de mon banc au coin rassemblement, ils disent: « Encore des livres! ». Parce que je leur fais des suggestions selon leurs intérêts. Parce qu’Annie, Nathalie ou Jocelyne me rapportent le livre que je leur ai prêté, ou m’en apporte un qu’elles viennent de terminer, pendant que les élèves sont là. On prend le temps de se parler un peu du livre, rapidement, de notre appréciation. Ils sont témoins de notre vie de lectrices. Parce qu’il y a des milliers de livres dans la classe, et que je leur parle des auteurs et illustrateurs que j’aime. Et que chaque année ils en rencontrent eux aussi: Marisol Sarrazin, Marianne Dubuc, Mathieu Lavoie, Rogé, Marie Demers, Yves Nadon, Nadine Poirier, Michael Escoffier sont quelques uns des auteurs et illustrateurs chouchous que nous avons accueilli au fil des années. Parce que je leur donne parfois des exemples tirés de mon expérience de lectrice (Les adultes aussi cherchent des mots dont ils ne connaissent pas la signification, même s’ils sont faciles à lire! J’ai appris ce qu’est le test de Borsalino en lisant le roman Shantaram, de Gregory David Roberts)…

Chaque geste compte en classe lorsqu’on voit l’apprentissage de la lecture comme une façon de forger son identité. S’ils ont un modèle authentique de lecteur, de lectrice, devant eux, les élèves nous font confiance et s’engagent davantage parce qu’ils voient que notre discours est authentique.

Quand Violette, dans son livre informatif « Tout sur Martine Arpin », écrit un chapitre qui a pour titre: La passion de la lecture, quand je lis Mon arbre, nouveauté de Marianne Dubuc, et qu’à la page où il y a une taupe qui adore les livres, plusieurs élèves s’exclament «Comme toi! », et quand un élève apporte de la maison un livre choisi avec soin pour un autre, alors je sais que j’ai trouvé l’équilibre entre la technique, la compréhension et l’amour de la lecture. Dans cette classe, Nous sommes lecteurs. Ça fait partie de notre identité. C’est la seule façon non seulement d’apprendre à lire, mais aussi de créer des lecteurs pour la vie, que leur plaisir de lire puisse vivre en dehors des murs de l’école.